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À mon avis

L’empathie : une compétence clé pour les leaders universitaires

L’adage festina lente résume bien la nouvelle manière de diriger en contexte postpandémique.

par LYNN BOSETTI & MARTIN BETTS | 29 NOV 22

Avant la pandémie, les dirigeant.e.s universitaires travaillaient à élaborer des plans stratégiques afin de déterminer le créneau et la pertinence de leur établissement dans un marché hautement concurrentiel. Il leur fallait alors faire preuve de créativité pour trouver de nouvelles sources de revenus, vu la diminution du financement gouvernemental. La plupart des solutions envisagées tournaient autour de partenariats avec des entreprises ou le milieu des affaires, du recrutement de nouvelles cohortes d’étudiant.e.s provenant de l’étranger, de rationalisation des programmes et de restructuration des établissements. Les objectifs stratégiques reposaient sur la compétitivité, le contrôle budgétaire, l’entrepreneuriat et l’excellence évaluée au moyen de diverses mesures de rendement.

Or, de nouvelles préoccupations se sont imposées à la lumière des défis découlant de la pandémie, notamment lors de discussions semi-structurées tenues par l’un des personnes qui signent ce texte avec des dirigeant.e.s de 50 universités en Australie, en Nouvelle-Zélande, au Royaume-Uni, au Canada et aux États-Unis. En ressortent de nouvelles priorités, au cœur desquelles se trouvent non pas des facteurs économiques, mais bien les gens.

Le bien-être organisationnel sous une autre optique

Giselle Byrnes, provost de l’Université Massey en Nouvelle-Zélande, met au jour la dure réalité des membres de la communauté universitaire qui retournent à contrecœur sur les campus après les confinements, amoché.e.s, épuisé.e.s et encore sous le choc de l’isolement et des changements à leur manière de vivre et de travailler. Nombre d’établissements se remettent de restructurations attribuables à des négociations syndicales, aux redondances au sein du corps professoral et du personnel, et à des compressions dans les programmes, alors même qu’ils doivent gérer leurs conséquences sur la culture organisationnelle : le moral du personnel est bas et la confiance à l’égard de la haute direction s’est effritée. La synergie de ces facteurs ébranle les membres du corps professoral et du personnel et explique leur appréhension face à un avenir incertain.

L’ancien vice-chancelier intérimaire de l’Université Charles Sturt en Australie, John Germov, demande aux dirigeant.e.s universitaires d’adopter un point de vue différent et de prioriser la santé globale de leur établissement ainsi que la santé mentale et le bien-être des membres de leur communauté. Selon lui, il faut privilégier d’autres mesures et données pour orienter la prise de décisions et les changements. La pandémie a rendu urgent le besoin de changer les choses. La suite dépend des directions d’établissements. Le défi de leadership consiste à mobiliser les gens autour de l’approche et des pratiques nécessaires à l’accomplissement de leur vision et de leur mission ainsi qu’à la création d’un sentiment d’appartenance.

Les membres de la haute direction ont l’habitude des défis de taille, mais la situation actuelle est particulière. Il leur faut maintenant déterminer comment tirer parti du potentiel des membres du corps professoral et du personnel pour repenser l’université. Comment délaisser une culture et des traditions désormais néfastes à l’accomplissement de la vision? Comment incarner la stabilité et demeurer convaincu.e.s de l’efficacité de leurs méthodes et de leur vision? Comment guider leurs collègues à travers les défis d’un contexte changeant tout en faisant preuve d’ouverture et de générosité?

L’expérience a démontré que la culture organisationnelle s’ancre dans les valeurs, les paroles et les actes de la haute direction. Aucune culture n’est coulée dans le béton; elle évolue au rythme des normes et des attentes qui déterminent comment les choses sont faites. Carolyn Evans, rectrice de l’Université Griffith en Australie, compare les valeurs de justice sociale intrinsèques à la culture de son établissement à une étoile polaire le guidant lorsqu’il y a des décisions organisationnelles difficiles à prendre, particulièrement comme ce fût le cas pendant la pandémie.

Jane Den Hollander, ancienne vice-chancelière de trois universités australiennes, rappelle le rôle crucial du personnel pour assurer la poursuite des activités pendant les périodes de bouleversements et de changement. Héroïnes et héros de 2020, les membres du personnel sont le fondement de l’organisation. C’est grâce à leurs efforts et à leur talent que les universités ont pu poursuivre leurs activités pendant les moments les plus creux de la pandémie et maintenir la cohésion culturelle et organisationnelle.

Mme Byrnes estime qu’en temps de pandémie, comme en situation régulière, ce sont les mêmes principes de leadership qui garantissent une culture positive, ils doivent seulement être plus prononcés. Les dirigeant.e.s qui se démarquent sont authentiques dans leurs paroles comme dans leurs actes, s’adaptent au contexte et savent transmettre une vision optimiste à laquelle les gens s’identifieront.

Revoir les compétences nécessaires au leadership

De nouvelles approches en matière de leadership et de culture universitaires ont émergé au cours des trois dernières années. Ce qui sert d’exemple maintenant est différent de ce qui a fait ses preuves dans le passé. Après tout, il fallait relever les défis qui évoluaient et se pointaient depuis des années dans le milieu et qui ont été mis au jour sous la pression exercée par la pandémie.

Le besoin d’empathie et de compassion se fait sentir plus intensément, tout comme la nécessité de trouver de meilleures manières de mobiliser et de diversifier le personnel. Jamais la capacité de bien lire un groupe et d’entretenir avec lui de bonnes relations pour trouver de nouvelles voies d’avenir et l’y guider n’a été si importante tout en étant mise à l’épreuve.

Cette capacité n’a encore jamais été prioritaire dans la sélection, le perfectionnement, la reconnaissance ou la rétention des dirigeant.e.s universitaires. Les choses changeront sans doute à l’avenir. Comment peut-on diriger un groupe diversifié de 5 000 personnes et de 50 000 étudiant.e.s sans avoir cette sensibilité aux autres? Si les universités ont souvent grandi, survécu et même prospéré sans dirigeant.e.s aux qualités humaines développées, l’état des choses ne le permet plus.

Certain.e.s leaders sont plus transactionnel.le.s et visent l’obtention de résultats, suivant une logique utilitaire axée sur les processus organisationnels, les audits et l’atteinte des cibles. D’autres sont charismatiques, à l’écoute et ont l’esprit d’équipe, cherchant à mobiliser les gens autour d’une vision d’avenir, à adopter une attitude positive, à favoriser la créativité et l’innovation, et à inspirer la confiance et l’engagement nécessaire pour contribuer au changement.

On choisissait autrefois les têtes dirigeantes pour leur feuille de route prestigieuse et leur statut d’universitaires de renom; on valorise désormais le sens des affaires, l’entrepreneuriat et les bonnes relations avec le gouvernement et la collectivité, mais aussi l’intelligence émotionnelle, le charisme et la capacité à inspirer confiance et à susciter l’adhésion des gens à l’égard d’une vision d’avenir. La compassion, l’intégrité et l’éthique sont des incontournables des dirigeant.e.s modernes, et leurs gestes et décisions en font acte, surtout dans les moments difficiles.

Se hâter lentement tout en agissant rapidement quand il le faut

Les dirigeant.e.s empathiques savent bien à quel point il est important de fonder les relations sur l’écoute, la compréhension, la compassion et le soutien de manière à ce que les gens se sentent valorisé.e.s, respecté.e.s et motivé.e.s à faire de leur mieux. Ces personnes connaissent les avantages de se hâter lentement (festina lente) tout en sachant agir rapidement au besoin. Elles prennent le temps de bien réfléchir pour juger les choses soigneusement et agir calmement et mesurément. Elles ont à cœur l’avancement efficace de l’organisation et prennent les décisions difficiles en se souciant véritablement du bien-être des gens et de l’organisation. Comme le dit l’expert en gestion Peter Drucker, « la culture mange la stratégie au petit déjeuner », c’est pourquoi il faut ancrer les changements à la culture organisationnelle et bien comprendre les leviers de changement.

Mais la compassion n’est pas la seule qualité qui est désormais recherchée. Il faut des personnes qui savent diriger la transformation, favoriser l’innovation, créer de nouveaux modèles organisationnels et établir des partenariats. Il est aussi important de reconnaître le travail émotionnel que sous-tend le leadership universitaire ainsi que la sélection, la préparation et le soutien des dirigeant.e.s, de même que la manière dont on valorise, juge et guide vers la réussite. Tout cela met en lumière l’importance de bien déterminer les mesures, les caractéristiques et les capacités qui servent au recrutement des futur.e.s dirigeant.e.s dans un contexte mondial incertain.

Lorsque Mark Scott, qui n’est pas un universitaire, a été nommé vice-chancelier de l’Université de Sydney, on a senti toute une vague d’étonnement et de curiosité dans le milieu, mais surtout au sein même de l’Université. Si son parcours universitaire est moins impressionnant que d’autres, M. Scott possède cependant de grandes compétences en matière de transformation et de relations gouvernementales. Les compétences, l’expérience et le style de gestion recherchés à l’avenir chez les dirigeant.e.s universitaires pourraient être très différents de ceux d’aujourd’hui, de même que la façon dont on procède à leur recrutement, leur nomination et leur évaluation. Ces personnes ne demeureront peut-être pas toutes en poste pendant 20 ans comme l’a fait Michael Crow à l’Université de l’Arizona, mais elles devront posséder le même flair entrepreneurial et le même engagement à l’égard de l’entreprise universitaire qu’elles aient la feuille de route d’un vice-recteur principal d’une université comme Columbia ou non. Elles devront se concentrer à la tâche et savoir mobiliser les gens autour de grands projets transformateurs pour relever les défis que nous réserve l’avenir.

Lynn Bosetti est professeure à la Faculté d’éducation de l’Université de la Colombie-Britannique. Martin Betts est cofondateur de HEDx, une société de services-conseils spécialisée dans l’enseignement supérieur, professeur émérite à l’Université Griffith, en Australie, et auteur de l’ouvrage The New Leadership Agenda: Pandemic Perspectives from Global Universities.

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