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À mon avis

Miser sur l’équité en santé pour aller au-delà de la Charte de l’Okanagan

L'importance de prendre en considération le vécu des personnes autochtones et racisées afin de corriger les iniquités en santé sur nos campus.

par LEVONNE ABSHIRE | 07 NOV 23

Imaginons une vaste rivière surplombée par une très haute chute. Au pied de la chute, des centaines de personnes tentent depuis la rive de sauver les gens dans la rivière, bon nombre peinant à se tenir à flot. On ne cesse de sortir des corps de l’eau. Une personne lève le regard et aperçoit ce qui ressemble à une succession ininterrompue de corps tombant dans la chute. Curieuse, cette personne s’élance vers le haut de la chute. Quelqu’un l’aperçoit et crie : « Où vas-tu? Nous avons besoin de toi ici pour aider ces personnes. » Poursuivant son chemin, elle lui répond : « Je vais là-haut pour découvrir pourquoi tous ces gens tombent dans la rivière. »

En tant que spécialiste de la promotion de la santé, j’ai toujours affectionné cette parabole. La place qu’elle accorde à la justice sociale, une valeur qui m’est chère, et au besoin d’agir sur les causes profondes derrière une mauvaise santé et une mauvaise qualité de vie, qui vont bien au-delà de la volonté individuelle, m’interpellent particulièrement. J’ai toujours trouvé, cela dit, qu’il manquait quelque chose à cette histoire. Une meilleure fin ressemblerait à : « Je vais là-haut pour découvrir pourquoi tous ces gens tombent dans la rivière, mais surtout, pourquoi il y a autant de personnes autochtones et racisées parmi ces gens. »

Des dizaines d’années de recherche nous ont montré que les personnes autochtones et racisées continuent d’avoir une moins bonne santé que leurs concitoyen.ne.s allochtones et non racisé.e.s. Plus récemment, la COVID-19 a jeté une lumière encore plus vive sur ce contraste, avec des taux de mortalité supérieurs chez les populations canadiennes racisées et en situation de pauvreté. À l’approche de 2025, année qui marquera le dixième anniversaire de la Charte de l’Okanagan, nous avons l’occasion de mettre fin aux inégalités en santé qui perdurent au détriment des communautés autochtones et racisées sur nos campus.

Charte internationale pour les universités et les institutions d’enseignement promotrices de santé, la Charte de l’Okanagan invite les établissements postsecondaires à inclure la santé dans tous les aspects de la culture des campus et à mener, dans une perspective à la fois locale et mondiale, des actions et des collaborations pour promouvoir la santé. Nous avons observé quelques réussites depuis la création de la Charte en 2015, telles que l’adoption du cadre stratégique pour le mieux-être de l’Université de la Colombie-Britannique et la naissance du réseau canadien des universités et collèges pour la promotion de la santé. Ce dernier réunit 45 établissements engagés à faire progresser la promotion de la santé.

Mais les aspirations universelles de promotion de la santé ne suffisent pas. J’appelle à un virage transformateur de la promotion de la santé à la promotion de l’équité en santé, où l’équité et la justice sociale, dont la Charte de l’Okanagan fait mention, sont placées au cœur des appels à l’action. Au-delà de la santé, incluons l’équité en santé dans tous les aspects de la culture des campus, dans l’ensemble de l’administration, des opérations et des fonctions universitaires. Je propose ainsi deux nouveaux appels à l’action :

  1. Reconnaître et corriger les iniquités en santé sur nos campus
  2. Décoloniser et diversifier la promotion de la santé sur nos campus

Appel à l’action 1 : Reconnaître et corriger les iniquités en santé sur nos campus

Pas besoin de chercher bien loin : des travaux de recherche réalisés dans nos propres universités nous montrent que les iniquités perdurent chez les groupes étudiants historiquement et constamment marginalisés. Une étude récente menée à l’Université de Toronto a révélé que les étudiant.e.s racisé.e.s rapportent un piètre état général de santé comparativement à leurs collègues blanc.he.s. On observe une tendance semblable dans les taux de traitement des étudiant.e.s universitaires présentant des troubles de santé mentale, la race, l’ethnicité et le statut d’étudiant.e de l’étranger figurant parmi les plus grandes disparités. Ces conclusions montrent le besoin de se détourner des initiatives globales et universelles de promotion de la santé, qui visent le mieux-être de l’ensemble de la population, pour se pencher de manière plus consciente à la réduction des iniquités en travaillant avec les groupes représentant les personnes autochtones et racisés. L’adoption de l’approche Santé dans toutes les politiques (SdTP, ou HiAP), qui reconnaît l’influence qu’ont les politiques économiques et institutionnelles sur la santé, et la prise en compte des multiples parties aux décisions influant sur la santé du campus sont incontournables. En appui à l’approche SdTP, l’évaluation des impacts sur la santé (EIS) permet d’examiner les impacts potentiels d’une politique, d’une initiative ou d’un programme sur la santé d’une population, spécialement chez les groupes historiquement et constamment marginalisés.

Appel à l’action 2 : Décoloniser et diversifier la promotion de la santé sur nos campus

La promotion de la santé est avant tout une affaire de justice sociale : le reflet d’un souhait d’agir pour atteindre l’équité en santé en rendant les personnes et les communautés capables de se défaire du legs colonial et du racisme qui continuent de pousser les corps autochtones et racisés dans la chute et la rivière. Nous devons décoloniser la promotion de la santé. P. Paul Chandanabhumma et Subasri Narasimhan proposent un cadre pour faciliter le processus. D’abord, ce cadre nous invite à décoloniser notre esprit et à reconnaître les répercussions continues du colonialisme, plus précisément les structures coloniales qui continuent de générer de la pauvreté et de miner la santé des personnes autochtones et racisées. Nous devons ainsi examiner et remettre en question les pratiques actuelles de promotion de la santé, et prendre conscience qu’elles ont été créées par certaines personnes pour certaines personnes. Ensuite, nous devons accorder la priorité aux perspectives et à la parole des personnes autochtones et racisées afin qu’elles puissent participer à un dialogue significatif visant à réinventer et à raviver la promotion de la santé et à honorer les façons qu’on eues les communautés de prendre soin de leur santé et de leur mieux-être bien avant l’avènement de la santé publique.

Beaucoup d’entre nous s’attellent déjà à cette tâche, comme en fait foi le nombre d’établissements ayant signé la Charte de l’Okanagan et la Charte de Scarborough contre le racisme anti-Noir.e.s et pour l’inclusion des Noir.e.s dans l’enseignement supérieur. Je demande donc à toutes les universités membres du réseau canadien des universités et collèges pour la promotion de la santé pour corriger les iniquités en santé sur nos campus et s’engager à décoloniser la promotion de la santé, en s’assurant que les groupes autochtones et racisés codirigent ou dirigent ce travail, et en mettant à disposition les ressources nécessaires. Comme promotrice de l’équité en santé et surtout comme mère racisée, j’entrevois les 10 prochaines années en souhaitant qu’on ne voit plus s’accumuler les corps autochtones et racisés dans la rivière et qu’on puisse simplement admirer la chute!

Levonne Abshire est directrice de l’équité, de la promotion et de l’éducation en matière de santé à l’Université de la Colombie-Britannique.

 

 

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