Au cours des dernières années, on a beaucoup entendu parler de « lacunes en matière de compétences » et du besoin de travailleurs de métier en industrie. Cette question étant en grande partie liée au cycle économique, la baisse des prix de l’énergie a mis fin au débat. On a cependant moins entendu parler « d’apprentissage intégré au travail ». Ce type d’apprentissage prend de nombreuses formes, allant des programmes coopératifs et des stages d’un an à l’apprentissage intégré à des cours. Depuis quelques années, certains établissements comme l’Université Queen’s investissent considérablement dans la création de programmes et d’occasions qui permettront aux étudiants de tirer des leçons (parfois de dures leçons) sur le plan de l’entrepreneuriat et de l’innovation. C’est un projet valable, dans la mesure où un nombre suffisant de diplômés se dirigent vers les entreprises, l’industrie et les secteurs public ou à but non lucratif. En effet, il n’est pas donné à tous d’être entrepreneur indépendant.
Mais qu’en est-il des besoins des entreprises et de l’industrie dans les secteurs de pointe? Lors d’une récente réunion du regroupement d’universités U15, des chefs d’entreprise du domaine des STGM (sciences, technologie, génie et mathématiques) ont dit percevoir une baisse dans le nombre de doctorats décernés, en particulier dans les disciplines des STGM. Or, même si selon les données les plus récentes de Statistique Canada le nombre de doctorats décernés a augmenté de façon constante entre 2006 à 2013, le fait que le Canada se situe sous la moyenne de l’OCDE pour le nombre de titulaires de doctorat soulève un problème pour le maintien d’un avantage concurrentiel dans l’économie mondiale du savoir, et explique peut-être cette perception de « baisse ».
Plusieurs facteurs expliquent le nombre peu élevé de titulaires de doctorat au Canada, dont entre autres :
- une baisse, en valeur réelle, du financement accordé aux travaux de recherche fondamentale dirigés par des chercheurs au cours des dix dernières années;
- la léthargie du marché de l’emploi universitaire qui, en raison des contraintes budgétaires des provinces (les principaux bailleurs de fonds des universités canadiennes pour les dépenses de fonctionnement) et de l’absence de toute politique de retraite obligatoire, n’est pas près de se résorber;
- la piètre capacité du Canada à appuyer efficacement les entreprises et les organismes dans leurs efforts pour assimiler l’innovation à une stratégie de croissance — les effets cumulés conduisent inévitablement à un tarissement de la relève formée qui devrait stimuler la croissance économique et accroître la compétitivité à l’échelle mondiale.
Les dirigeants d’universités et d’entreprises sont conscients du problème qui se trouve exacerbé par l’incapacité de bon nombre d’entre nous du milieu universitaire à entretenir des liens étroits avec l’industrie. Je tiens à préciser qu’il ne s’agit pas ici de modeler la recherche en fonction des objectifs du secteur privé, mais bien de s’assurer que les doctorants potentiels connaissent les possibilités qui sont offertes dans d’autres milieux, avant et pendant leur cheminement universitaire. Les programmes de partenariat entre le milieu universitaire et l’industrie, comme ceux qu’offre Mitacs, connaissent beaucoup de succès. Mais je me demande ce que nous pourrions faire de plus pour favoriser le développement des compétences par des partenariats directs avec l’industrie. Ces partenariats ne devraient pas se limiter aux disciplines des STGM; après tout, les banques et autres entreprises ont également besoin des compétences essentielles que possèdent les titulaires de doctorat en études anglaises ou en sciences politiques. Je m’en tiendrai toutefois, dans la modeste solution que je propose, aux disciplines des STGM.
Les universités et les entreprises pourraient s’inspirer des Forces armées canadiennes qui, depuis des dizaines d’années, combinent divers mécanismes d’enseignement en formant elles-mêmes leurs officiers (par exemple, au Collège militaire royal de Kingston) ou en finançant leurs études dans d’autres établissements. En retour, elles obtiennent des étudiants un nombre convenu d’années de service une fois leurs études terminées.
Pourquoi ne pas élargir ce modèle aux doctorats? Les entreprises et l’industrie pourraient, de manière individuelle ou concertée, financer quatre années d’études doctorales dans une université axée sur la recherche à des candidats qualifiés qui, en retour, travailleraient pendant quatre ans au sein de l’entreprise une fois leurs études terminées. Ce modèle réglerait plusieurs problèmes d’un seul coup. Il offrirait une nouvelle forme d’aide financière aux étudiants, et permettrait aux professeurs d’accueillir des chercheurs au niveau doctoral dans leur laboratoire. Il éliminerait le questionnement personnel à la sortie de l’université, produirait un nombre régulier de titulaires de doctorat en STGM dans les secteurs qui en ont besoin et aiderait les entreprises à intégrer des gestionnaires qui perçoivent l’importance de la recherche universitaire et de ses répercussions sur l’économie canadienne. Enfin, il éliminerait la notion néfaste et irréaliste selon laquelle les titulaires de doctorat doivent nécessairement faire carrière dans le milieu universitaire, et faire des études postdoctorale, sous peine de trahir la confiance du milieu.
Un nouveau modèle de formation au doctorat doit être élaboré avec soin. Il faut d’abord résoudre les questions de propriété intellectuelle et établir la recherche en tant qu’exigence universitaire menée sous la direction d’un superviseur universitaire. Idéalement, il faudrait aussi y incorporer des occasions d’apprentissage intégré au travail. Bon nombre de programmes universitaires le font déjà et il est fort à parier qu’en raison de leurs investissements, les entreprises chercheront également à offrir une formation complémentaire aux doctorants afin de mieux les préparer à leur entrée en fonction une fois diplômés.
Le modèle actuel des relations entre les entreprises et les universités repose principalement sur les brevets. Nous en tirons parti depuis des dizaines d’années. Mais le monde évolue. En tant que pays, il nous faut intensifier nos efforts et examiner d’autres modèles d’intégration. Nous ne pouvons courir le risque de perdre la prochaine génération de chefs de file en recherche. Au-delà des entreprises et des universités, c’est le Canada en entier qui en serait appauvri.
Daniel Woolf est principal et vice-chancelier de l’Université Queen’s.