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À mon avis

Pour une évolution de la thèse dans la forme et le fond

Dans un rapport, un groupe de travail de l’Association canadienne pour les études supérieures conclut qu’il est temps de repenser le doctorat.

par SUSAN PORTER & LISA YOUNG | 24 SEP 18

À quoi sert un doctorat en 2018? Voilà une question qui fait débat. L’objectif premier du grade demeure bien évidemment la réalisation d’une recherche indépendante et rigoureuse consignée dans la thèse. Mais au vu des changements sans précédent dans le milieu universitaire et le reste du monde, chercheurs et administrateurs peinent à cerner sa finalité au sens large.

De plus en plus perméable à la société, l’université modifie notre perception de la recherche et de sa communication. L’innovation est plus volontiers considérée comme un mandat important des chercheurs. Le concept de savoir lui-même évolue. Et les problèmes du monde sont tels qu’ils nécessitent une variété d’approches pas forcément employées par les chercheurs. Cette réalité nous impose de repenser le doctorat.

Bien entendu, le débat porte également sur la sensibilisation aux carrières qui s’ouvrent aux titulaires de doctorat. Seule une minorité d’entre eux deviennent professeurs. La plupart poursuivront une carrière de chercheur (au sens large), mais qui ne s’inscrit pas forcément dans la continuité du travail réalisé pendant leur doctorat. Chose certaine, ils devront conserver leur pensée critique, mais aussi s’adapter et être disposés à intégrer des façons différentes d’apprendre et de faire.

Les buts et les limites de leur travail changeront. Ils communiqueront avec des personnes différentes pour des raisons différentes. En plus de vouloir mieux comprendre le monde, nombre d’entre eux voudront contribuer à le changer. Il leur faudra aussi savoir appliquer des connaissances pratiques dans divers contextes et faire appel à leur esprit créatif pour réfléchir de façon différente et synthétique afin de régler de manière inédite des problèmes mal structurés grâce à des solutions ouvertes. Que leur carrière se déroule à l’intérieur ou hors des murs de l’université, ils auront besoin d’une formation doctorale transformatrice encourageant et valorisant l’acquisition de ces capacités intellectuelles, créatives et pratiques. L’expérience hors université et les occasions de perfectionnement professionnel leur seront certes utiles à cette fin, mais assurément insuffisantes. Qui plus est, l’acquisition de ces capacités par les étudiants n’est généralement ni évaluée ni nécessaire à l’obtention du doctorat.

Les critères définissant le format et le contenu de la thèse, pièce maîtresse de la formation doctorale, pourraient‑ils être assouplis afin de refléter la nature évolutive de la recherche doctorale? Quels devraient être alors ses contraintes et objectifs? Comment l’évaluer? Ces questions ne datent pas d’hier, et les doctorants repoussent déjà les limites : des thèses autrement traditionnelles intègrent déjà des travaux de mobilisation du savoir et des produits de la recherche connexes, les résultats obtenus grâce à des approches étrangères aux disciplines traditionnelles sont de plus en plus admis, l’expression savante par les produits créatifs se répand, et les formes non traditionnelles comme les sites Web, les bandes dessinées romanesques, les thèses réalisées en collaboration et les œuvres de la tradition orale autochtone sont de plus en plus acceptées.

Évaluer et garantir la qualité de ces nouveaux genres et approches savantes représente tout un défi pour les nombreux chercheurs qui y sont peu habitués. Depuis deux ans, un groupe de travail de l’Association canadienne pour les études supérieures (ACES) se penche sur ces changements et sur les rôles que les professeurs, les étudiants, les programmes de doctorat et les établissements d’enseignement supérieur devraient jouer pour les faciliter et s’y adapter. Son rapport vient de paraître.

Le rapport décrit la série de consultations réalisées avec des chercheurs et doctorants partout au pays, majoritairement en faveur de l’évolution de la thèse. Les partisans de cette évolution mentionnent le potentiel de gains intellectuels, les retombées plus grandes des bourses d’études, une meilleure préparation à des carrières à l’intérieur et hors des murs universitaires, une meilleure capacité à relever des défis complexes et une plus grande adéquation aux motivations des étudiants. De nombreux répondants ont également formulé d’importantes préoccupations et mises en garde quant au possible manque de rigueur et de profondeur de la recherche, aux risques que présentent l’innovation pour les étudiants qui s’y investissent, à la possible baisse de productivité des chercheurs et au manque de préparation ressenti par de nombreux professeurs pour le mentorat d’étudiants s’engageant sur une voie non traditionnelle.

Ces consultations ont confirmé notre constat : le changement s’opère, et il faut avancer avec lui. Alors que les normes évoluent, les établissements et les programmes d’enseignement devront préciser leurs critères d’évaluation des thèses afin de protéger la rigueur et le prestige du grade. Les programmes et disciplines devront préciser ceux de leur propre domaine. Les établissements d’enseignement supérieur devront établir des règles suffisamment souples pour stimuler l’innovation, prévoir des ressources d’appoint pour les évaluations, préserver la rigueur de l’examen, communiquer les normes aux évaluateurs, présenter aux superviseurs et aux étudiants des exemples de thèses novatrices et favoriser l’innovation par des projets encourageant les étudiants à élargir leur perception de la recherche.

Dans son rapport, le groupe de travail insiste sur le consensus qui se dégage de nombreuses analyses de l’avenir de la formation doctorale : le monde universitaire doit se structurer autour des étudiants et des besoins du xxie siècle. Il s’agira d’un changement continu, parfois difficile et peut-être risqué, que vivront tous ceux se destinant à former la prochaine génération de chercheurs. Poursuivre l’expérimentation et le développement de ces idées est essentiel à l’avenir des études doctorales et de la société.

Susan Porter est doyenne et vice-rectrice aux études supérieures et postdoctorales à l’Université de la Colombie-Britannique et présidente de l’Association canadienne pour les études supérieures. Lisa Young est doyenne et vice-rectrice aux études supérieures à l’Université de Calgary.

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