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À mon avis

Quand les étudiant.e.s de l’étranger représentent à la fois problèmes et solutions

Le vent tourne pour la filière éducation-immigration canadienne.

par LISA BRUNNER & ROOPA DESAI TRILOKEKAR | 12 FEV 24

Peu après avoir annoncé un plafond encore jamais vu sur le nombre de permis d’études accordés, le ministre canadien de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, Marc Miller, a fait la déclaration suivante au sujet du rôle de son ministère dans l’augmentation rapide du nombre d’étudiant.e.s de l’étranger au pays : « Les provinces en retirent de l’argent. Les établissements en retirent de l’argent. Le gouvernement du Canada est le seul au bar à ne rien boire, et bientôt, on va nous refiler la note. »

La nature abusive et la mauvaise gestion de notre système « commercial » d’éducation internationale, tous niveaux confondus, quoiqu’à des degrés divers, ne font aucun doute. Il ne fait aucun doute non plus que les droits de scolarité imposés aux étudiant.e.s de l’étranger ont permis aux provinces d’esquiver la question de la stagnation du financement postsecondaire, et ce, au moment où la mission universitaire s’élargie. Mais le gouvernement du Canada n’aurait jamais laissé son système d’études supérieures atteindre l’effectif étranger proportionnellement le plus élevé au monde s’il n’en retirait aucun avantage.

Le secteur postsecondaire a sans doute commencé à se commercialiser à la fin des années 1970, quand les établissements ont commencé à exiger des droits de scolarité distincts aux ressortissant.e.s de l’étranger. Dans les années 1990, le gouvernement canadien a toutefois présenté explicitement l’éducation comme un secteur à commercialiser à l’étranger en mettant sur pied les missions Équipe Canada et les Centres d’éducation du Canada ainsi qu’en façonnant une image de marque pour l’éducation canadienne. La toute première stratégie canadienne d’éducation internationale, adoptée par l’ancien gouvernement conservateur, considérait les étudiant.e.s de l’étranger comme « synonymes de retombées immédiates et significatives pour les Canadiens partout au pays », et comme « une source de main-d’œuvre qualifiée pour l’avenir […] des candidats idéals pour immigrer au Canada ». Les divergences politiques n’ont pas empêché le Parti libéral de poursuivre la stratégie d’internationalisation de son prédécesseur, qualifiant les étudiant.e.s de l’étranger « d’excellents candidats à la résidence permanente », dont l’importante contribution économique s’est « fait sentir partout au pays ». Ces stratégies insistent toutes deux sur la nécessité pour le Canada de tirer son épingle du jeu pour accéder à cette « source importante de revenus et de capital humain ».

Ce discours n’était pas que celui d’Affaires mondiales. Ces deux dernières décennies, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) a aussi graduellement fait la promotion de l’axe éducation postsecondaire-immigration, « l’édugration ». En facilitant l’octroi de permis de travail aux étudiant.e.s de l’étranger (pendant et après leurs études) et en mettant sur pied des programmes sur mesure de résidence permanente, IRCC a activement accolé à ces personnes l’étiquette d’« immigrant.e.s de choix ». Tant du côté fédéral que provincial, les programmes d’immigration ont explicitement rattaché diplômes canadiens d’études postsecondaires et voies vers la résidence permanente, ce que n’ont pas manqué de crier haut et fort agent.e.s de recrutement et services d’agrégateur, sous l’impulsion de leurs propres motivations monétaires. Plus qu’heureux d’en récolter les fruits, les établissements ont joué un rôle important dans le recrutement, le suivi et l’établissement d’immigrant.e.s potentiel.le.s de choix au nom du gouvernement.

Aux premiers jours de la pandémie de COVID-19, le milieu postsecondaire s’est préparé à une dégringolade des inscriptions étrangères, qui ne s’est finalement jamais produite. Vu les restrictions de voyage qui limiteraient la venue de travailleurs et travailleuses temporaires ainsi que d’immigrant.e.s, les étudiant.e.s de l’étranger sont devenu.e.s plus important.e.s que jamais pour l’économie canadienne et IRCC. L’un des premiers pays à permettre aux étudiant.e.s de l’étranger d’entrer sur son territoire, le Canada a rapidement adopté une série de politiques inédites pour que les études en ligne n’annulent pas l’admissibilité au permis de travail postdiplôme. Au début de l’année 2021, Marco Mendicino, ancien ministre d’IRCC, a réitéré un « message simple » aux étudiant.e.s de l’étranger, plus limpide que jamais : « Nous ne voulons pas seulement que vous fassiez vos études ici, nous voulons également que vous demeuriez ici. » Les chiffres ont rebondi. Et en 2022, alors que les inscriptions étrangères étaient à leur sommet, IRCC a pris une nouvelle mesure sans précédent en autorisant les étudiant.e.s de l’étranger – qui devaient pourtant effectuer des études à temps plein – à exercer un emploi à temps plein hors campus.

Autrement dit, le gouvernement fédéral s’est tourné pendant des décennies vers les étudiant.e.s de l’étranger comme solutions à toutes sortes de problèmes, particulièrement la pénurie de main-d’œuvre et le manque d’immigrant.e.s économiques, jusqu’à ce que ce même groupe devienne, à leurs yeux, le problème.

Ce changement de paradigme découle de multiples raisons complexes. Une série d’articles parus depuis le début de la pandémie ont relaté des récits d’exploitation et de négligence, alimentant une mauvaise perception des étudiant.e.s de l’étrnager et braquant les projecteurs sur le dysfonctionnement du système d’édugration. Dans certains domaines, niveaux, types d’établissements et lieux géographiques, l’effectif a exagérément augmenté, ce qui a eu un effet boule de neige considérable. Les étudiant.e.s de l’étranger sont devenu.e.s le parfait bouc émissaire de la crise canadienne du logement, même en ne représentant qu’une partie de la croissance démographique du pays. Pour IRCC, l’effet n’a pas été aussi positif et homogène que prévu pour le marché du travail, sonnant le glas du discours de « l’immigrant.e de choix ».

Il faut dire que malgré son importance croissante dans les pays du Nord, l’édugration s’avère très difficile à gérer. L’enseignement supérieur et les systèmes d’immigration ont beau afficher une symbiose apparente, leurs objectifs sont en fait très différents, si bien que leur synchronie ne va pas de soi.

Il y a quelques années, on a vu les mêmes événements se produire en Australie, où l’axe éducation postsecondaire-immigration a créé les mêmes déséquilibres. S’en est trouvée compromise la sécurité des étudiant.e.s de l’étranger, victimes d’attaques et subissant l’exploitation dans les marchés du logement et de l’emploi, jusqu’à ce que la situation devienne source d’embarras diplomatique pour l’Australie à l’égard des gouvernements de la Chine et de l’Inde. Et pourtant, malgré des avertissements lancés il y a plus d’une décennie, le Canada n’a pas su tirer des leçons des erreurs australiennes.

L’Australie a depuis mené une action concertée pour réglementer l’éducation internationale et continue de dénouer les fils entre l’éducation et l’immigration, affinant ses politiques à la lumière de ses objectifs en immigration. Le nouveau plafond canadien ne représente qu’une première étape dans le plan fédéral. On peut s’attendre à voir autant de carottes que de bâtons dans la mise en œuvre par IRCC de son programme d’étudiant.e.s provenant de l’étranger, et pas nécessairement en concordance avec les objectifs du secteur national de l’enseignement supérieur. En matière d’enseignement supérieur, les objectifs – et les valeurs – doivent être réévalués maintenant.

Au lieu de se demander qui doit porter le chapeau et qui sont les victimes, notre société se doit de s’unir et de saisir les occasions qui se trouvent devant nous, pas seulement en ce qui concerne le lien de dépendance avec les étudiant.e.s de l’étranger, mais pour tout le secteur de l’enseignement supérieur. Pour commencer, nous devons répondre courageusement, honnêtement et collaborativement à ces deux grandes questions :

  1. Voulons-nous continuer d’appuyer un modèle d’éducation internationale qui repose sur l’exploitation? L’enseignement supérieur canadien est devenu tributaire d’un vaste transfert de richesses du Sud au Nord, sur la base d’une suprématie occidentale, malgré de nombreuses conversations parallèles entourant l’autochtonisation, la décolonisation et l’équité. À quoi ressemblerait une stratégie plus visionnaire et davantage en phase avec la supposée proposition de valeur canadienne?
  2. Surtout, nous devons réévaluer notre investissement et notre engagement dans l’enseignement supérieur. IRCC a peut-être forcé la discussion collective, mais celle-ci était nécessaire depuis longtemps. Quels rôles devrait jouer l’éducation postsecondaire? Comment devrait-elle être financée? Et qu’apprend-on de nos valeurs en tant que société à la lumière de ces deux réponses?

Lisa Brunner est titulaire d’une bourse de recherche postdoctorale au Centre d’études sur les migrations à l’Université de la Colombie-Britannique. Roopa Desai Trilokekar est professeure agrégée à la Faculté d’éducation de l’Université York.

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