Rares sont les universitaires qui vous diront que la journée de l’entrevue d’embauche pour un poste de titulaire n’est pas l’une des plus stressantes de leur vie. Dans notre département, elle commence par deux rencontres : la première avec la direction du département et la deuxième avec le décanat ou le vice-décanat. L’aspirant.e doit ensuite animer deux séminaires d’une heure, l’un portant sur l’enseignement et l’autre, sur la recherche. Après un dîner avec quelques professeur.e.s, on reprend de plus belle avec une entrevue intense et poussée qui dure une heure et demie. Puis, on amène la personne candidate dans une autre pièce, où elle devra s’entretenir avec des professeur.e.s du même champ d’expertise. La journée se conclut par un souper, invitation qu’acceptent la plupart des candidat.e.s en signe de déférence.
Pour en arriver là, un.e candidat.e doit avoir passé plusieurs années éreintantes aux études supérieures pour obtenir au minimum un doctorat. Certain.e.s vont et viennent entre emplois dans le secteur privé et postes postdoctoraux, tandis que d’autres quittent leur poste actuel pour des raisons familiales ou pour se joindre à un établissement plus prestigieux offrant plus d’occasions d’avancement. Or, les chances de décrocher un poste universitaire sont minces. Très minces. Le nombre d’étudiant.e.s au doctorat monte en flèche; seulement dans notre faculté, on compte environ 750 doctorant.e.s. Les hommes ont 8 % de chances de souffrir de daltonisme : c’est quatre fois plus que les chances d’obtenir un poste universitaire, qui sont de 2 % sur une moyenne de 50 candidatures pour chaque poste affiché. (Fait cocasse, le seul de mes ancien.ne.s doctorant.e.s qui a réussi à décrocher un poste au Canada est daltonien!)
Étant donné son importance et son caractère sacré tant pour les candidat.e.s que pour les établissements, les membres des comités et les autres intervenant.e.s devraient traiter le processus d’embauche en conséquence. J’aborderai ici des questions importantes et des points saillants dont devraient tenir compte ces comités et intervenant.e.s lors de la planification, de la mise en œuvre et de la conclusion du processus d’embauche de professeur.e.s, particulièrement dans les STIM.
La question la plus importante est peut-être celle-ci : quelles sont les qualités recherchées chez la personne candidate? Les comités d’embauche ont toujours cherché à trouver la « meilleure » candidature, un concept nébuleux qu’on ne peut jamais évaluer de manière concrète et objective. Mener des recherches novatrices, tisser des liens avec les étudiant.e.s de tous les cycles et être de bon.ne.s membres de l’établissement sont quelques-unes des attentes nourries à l’égard des candidat.e.s. Or, comme l’explique Henry Rosovsky, ancien doyen de la Faculté des arts et des sciences de l’Université Harvard, la notion de « meilleur.e » est une question de goût. J’ai moi-même constaté que des arguments servant à justifier l’embauche d’un.e candidat.e pouvaient tout aussi bien servir à expliquer le refus d’un.e autre. En fait, comme les opinions des membres des comités sont une manifestation de leurs propres expériences et croyances, l’embauche de la « meilleure » personne candidate « autoperpétue » le cycle d’excellence… ou de médiocrité. Mais qu’en est-il des qualités personnelles de la personne candidate? Historiquement, la bienveillance ou la capacité de collaboration ont rarement été prises en compte. De nos jours, cependant, on demande au moins aux candidat.e.s comment ils et elles prévoient travailler avec leurs collègues.
Il est utopique de penser pouvoir fournir une réponse universelle à ces questions. Quand je préside un comité d’embauche, je propose souvent à mes collèges d’essayer d’engager une « bonne personne » qui s’intègrerait bien dans la culture de collégialité de notre établissement. Il est également essentiel que sa capacité à tisser des liens avec des étudiant.e.s de tous les cycles ne soit jamais ignorée au détriment d’autres compétences.
On demande aux comités de choisir la personne avec le potentiel de recherche le plus prometteur dans l’espoir qu’elle devienne d’ici quelques années un excellent chercheur ou une excellente chercheuse à la tête d’un programme de recherche bien établi et pérenne. Dans cette optique, il ne faudrait jamais mesurer le potentiel uniquement par le nombre de publications; il faut aussi – et surtout – tenir compte de la qualité, de la profondeur, de la polyvalence et du rythme des travaux. Les chercheurs et chercheuses d’exception doivent pouvoir plonger à fond dans leur champ d’expertise et en explorer de nouveaux lorsque l’occasion se présente. Les membres des comités doivent en outre garder en tête que la présence des « plongeurs et plongeuses » – les spécialistes – et celle des « surfeurs et surfeuses » – les polyvalent.e.s – est aussi bénéfique de part et d’autre pour les établissements. Enfin, les anciens milieux de recherche des candidat.e.s, par exemple leur superviseur.e ou leur laboratoire, ne devraient jamais servir à les disqualifier.
Est-il préférable d’embaucher un.e universitaire chevronné.e ou une personne tout juste diplômée au potentiel manifeste? Les opinions varient. Bien sûr, un postdoctorat ou de l’expérience dans le secteur privé, c’est fort intéressant, mais ce n’est pas essentiel. J’ai souvent entendu qu’une candidature était excellente, mais que la personne n’était pas prête. À mon avis, il vaut mieux embaucher cette personne avant qu’un autre établissement ne pose ses griffes dessus. En fait, en l’engageant puis en lui offrant du mentorat, on favorise chez elle l’adoption de la culture de l’établissement. Enfin, le manque de connaissance des systèmes de financement canadiens ne devrait jamais nuire à une candidature. La capacité à tisser des liens et à repérer des occasions surpasse de loin cette exigence.
La publication d’offres d’emploi génériques ou trop vagues est une pratique courante que je trouve contre-productive pour ce qui est de la recherche. Si on attire ainsi davantage de candidatures, le risque d’égarement est grand, le choix étant brouillé par des membres du comité clamant haut et fort leurs opinions et leurs préférences sur des candidat.e.s qui excellent dans divers domaines. Il faut alors un.e président.e ferme, qui recadre les discussions tout en encourageant les membres à s’exprimer. Je propose plutôt que l’affichage soit aussi précis que possible et rigoureusement conforme à la vision stratégique de l’unité d’embauche, laquelle tient compte des besoins de l’ensemble des intervenant.e.s. Par exemple, si un laboratoire expérimental a reçu trop d’inscriptions dans le domaine de l’analyse et qu’il faut augmenter le nombre de professeur.e.s dans cette spécialité, il serait contre-productif d’accepter les candidatures des analystes et des expérimentalistes uniquement pour rejeter celles du second groupe, après avoir longuement débattu de leurs qualifications.
Mais une telle précision n’est pas toujours possible, ce qui force les comités à évaluer un grand nombre de candidatures aux sphères de recherche variées. Le chevauchement entre le domaine de recherche d’un.e candidat.e et celui des professeur.e.s constitue d’ailleurs un point de discorde. Un tel chevauchement peut favoriser une candidature ou lui nuire : si certain.e.s. y voient une occasion de collaboration et de croissance, et donc de renforcement du domaine commun, d’autres craindront une compétition interne et une division des ressources. Dans ces cas, il faut un.e président.e chevronné.e, capable d’expliquer aux membres du comité les avantages et les inconvénients du chevauchement et les besoins de l’unité d’embauche tout en insistant pour axer les discussions sur les qualifications et la capacité d’adaptation des candidat.e.s.
L’un des principaux freins aux efforts des comités d’embauche en matière d’équité, de diversité et d’inclusion (EDI) est la compréhension superficielle et l’application inadéquate des principes d’EDI. Les efforts d’EDI visent à attirer les candidatures d’horizons divers. Pour cela, il faut commencer par des affichages de poste dont le langage est inclusif et tout faire pour encourager les personnes qui se sentent indignes de ce poste à tenter leur chance. Les comités doivent ensuite évaluer les réalisations des candidat.e.s au regard des ressources disponibles lors de leur formation. L’EDI et le mérite ne sont pas mutuellement exclusifs. Au contraire, l’EDI met en lumière et renforce le mérite. Cela dit, les comités doivent faire très attention de ne pas se servir de l’EDI à mauvais escient pour rejeter une candidature méritante. Enfin, les intervenant.e.s doivent s’abstenir d’utiliser des informations malvenues et superflues pour salir la réputation d’un.e candidat.e.
Les membres du comité doivent traiter la décision finale avec le plus grand des respects. Les personnes qui n’ont pas participé au processus n’ont pas à apposer un veto décidé en coulisses. Ces personnes ont droit à leur opinion, que la personne qui préside le comité peut transmettre aux membres durant les dernières discussions.
Le processus de sélection est un moment palpitant pour toutes les personnes qui y participent. Pour les candidat.e.s, c’est l’occasion de réfléchir à leurs réussites et à leurs ambitions et de les présenter de manière convaincante. Pour certain.e.s, c’est la chance de vivre une journée unique qui leur permettra d’apprendre à connaître leurs éventuel.le.s collègues et de se faire une idée de l’établissement qui pourrait les embaucher. Et pour les responsables de l’embauche, c’est l’occasion de rencontrer des personnes exceptionnelles qui leur dévoilent leurs aspirations profondes et s’engagent à respecter les standards élevés de notre milieu universitaire.
Samer Adeeb est directeur par intérim du Département de génie civil et environnemental de l’Université de l’Alberta.