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À mon avis

Rédaction universitaire : repenser les pratiques pédagogiques à l’ère de ChatGPT

La clé pourrait être de se pencher sur l’exercice de la rédaction plutôt que sur son produit.

par JAMES SOUTHWORTH | 03 FEV 23

Ne passons pas par quatre chemins : le récent lancement de ChatGPT par OpenAI est une révolution. En quelques secondes, l’agent conversationnel libre produit un texte sophistiqué dans le style que vous lui demandez. Une dissertation critique en faveur de la taxe sur le carbone au Canada, composée d’un sujet posé, d’arguments principaux et de réfutations? Et voilà. Une revue de la littérature sur les pratiques alimentaires durables qui comprend huit articles scientifiques évalués par les pairs? Aucun problème. Entrez simplement votre requête et ChatGPT exaucera vos vœux. Les résultats sont si convaincants que selon un article paru récemment dans The Atlantic, la plateforme pourrait bien signer l’arrêt de mort des dissertations.

C’est indéniable : ChatGPT pose un gros casse-tête aux établissements d’enseignement supérieur. Il y a la question de l’intégrité universitaire, évidemment. Comme ChatGPT génère des écrits originaux, il passe sous le radar de logiciels antiplagiat comme Turnitin. Mais l’un des enjeux amenés par cette technologie est encore plus complexes et s’attaque à la nature même de la mission universitaire, celle de faire fleurir la réflexion et la pensée critique dans la société. Parce que si maintenant tout le monde peut produire un texte complexe et original à l’aide d’une simple commande, pourquoi demander aux étudiant.e.s de réaliser des travaux de rédaction tout court?

Depuis longtemps, sur les bancs de l’université, on se doit d’apprendre l’art de la rédaction, l’art d’exprimer nos idées de façon claire et concise. L’exercice sert non seulement à communiquer, mais aussi à développer notre pensée. Comme il en avait le don, George Orwell a bien résumé la question : « Ne pas pouvoir bien écrire, c’est ne pas pouvoir bien penser. Et ne pas pouvoir bien penser, c’est assujettir nos idées à celles des autres. » C’est potentiellement ce que nous réserve ChatGPT : la perte de notre capacité de raisonnement.

Devant ce problème, comment peut-on transformer notre approche pédagogique de la rédaction? D’abord, évitons les sujets de dissertation généraux comme la taxe sur le carbone et l’alimentation durable, en axant plutôt notre réflexion sur des questions pointues, qui portent sur des travaux précis ou des chercheuses et chercheurs en particulier. J’ai suivi ce modèle pour demander à ChatGPT : « Expliquez les argumentaires respectifs de Tom Regan et de Peter Singer quant aux droits des animaux. Où se rejoignent-ils? Comment se distinguent-ils? Que dirait Regan à Singer, et comment Singer répliquerait-il? » J’ai été surpris de lire la réponse convaincante de la plateforme, y compris son explication des échanges qu’il y aurait entre les philosophes. Étant donné que Regan et Singer sont tous deux des philosophes de grande renommée, il serait préférable de concevoir des questions axées sur des personnes ou des textes moins connus. Lorsque j’ai fait des tests selon ces paramètres, ChatGPT ne pouvait pas répondre à mes requêtes. Aussi, comme la plateforme est limitée aux contenus parus avant 2021, une bonne stratégie, si possible, serait de poser des questions sur l’actualité. Mais comme la technologie ne cesse d’évoluer, je crains qu’il ne s’agisse que de solutions temporaires.

Au fil des prochains mois, nous devons construire une approche durable pour relever les défis posés par l’intelligence artificielle et, entre autres, réfléchir aux façons de l’intégrer dans notre enseignement et nos apprentissages de manière éthique. Il faut aussi procéder à une refonte des pratiques de rédaction, en particulier au baccalauréat. En général, on demande une dissertation, les étudiant.e.s la rédigent et la remettent, et on offre ensuite une rétroaction synthèse pour justifier leur note. Il est rare, lors de ces travaux rédigez-jetez, qu’on offre des commentaires constructifs. Il y a quelques exceptions (par exemple, certaines personnes reçoivent une rétroaction du centre de rédaction de leur établissement), mais cet accent sur le produit final de la rédaction prépare mal les étudiant.e.s aux réalités professionnelles qui les attendent : qu’il s’agisse d’un rapport d’activités, d’un mémoire de politique gouvernementale ou d’un article scientifique revu par les pairs, la rédaction en milieu professionnel passe généralement par un long processus de rétroaction et de révision.


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Depuis longtemps, les spécialistes de la rédaction vantent les vertus de la rétroaction constructive sur les travaux étudiants, qu’elle provienne de collègues, du corps professoral ou d’un centre de rédaction. En misant sur le processus plutôt qu’en jugeant le résultat, on contre ChatGPT, mais surtout, on aide les cohortes à améliorer leurs compétences en rédaction, en pensée critique et d’ordre métacognitif. Imaginez la scène : nous sommes dans une classe inversée. Chaque membre du groupe arrive avec un brouillon de dissertation et fait un exercice de révision par les pairs – lecture du travail des collègues, suivi de commentaires guidés par un document que vous avez distribué. Chacun.e reçoit des commentaires, les soupèse, puis décide de ce qui est à intégrer dans le texte avant de s’attaquer à la révision. On pourrait se baser sur un petit texte initial pour en créer un plus long à partir de la rétroaction reçue. ChatGPT peine en ce moment à reproduire le processus de rétroaction et de révision, et n’est pas non plus capable d’étoffer un texte pour l’allonger. Mais surtout, il y a une excellente valeur pédagogique dans le fait de mettre l’accent sur le processus de rédaction. L’exercice de donner, de recevoir et d’intégrer des commentaires développe des compétences essentielles. Ce que montrent les recherches sur la révision par les pairs chez les étudiant.e.s, c’est l’effet bénéfique de l’acte de donner des commentaires, comparativement à celui de les recevoir, sur les compétences métacognitives.

Mis à part la rétroaction et l’autorévision, il existe d’autres façons de contrer ChatGPT tout en visant l’acquisition de compétences. Par exemple, on pourrait prévoir en complément d’une dissertation finale la remise d’un texte d’autoréflexion qui documente le processus de recherche et d’apprentissage. Même si ChatGPT sait générer des textes de réflexion, la justification de choix rédactionnels lui pose un peu plus problème : « Pourquoi avoir choisi d’intégrer ce commentaire-ci, et non celui-là? » Les questions qui invitent ce type de réflexions ajoutent une composante métacognitive aux apprentissages.

Quoique ChatGPT soit une technologie révolutionnaire, il est, comme toute révolution, un bon prétexte pour se perfectionner. En axant notre enseignement sur le processus rédactionnel plutôt que sur le produit final, on enrichira les apprentissages des étudiant.e.s. Après tout, c’est le geste qui génère la pensée.

James Southworth est consultant en rédaction, en pédagogie et en apprentissage à l’Université Wilfrid Laurier.

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