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À mon avis

Réflexion sur les efforts nécessaires pour « criper » le milieu universitaire

Le modèle traditionnel a souvent exclu bon nombres de membres de la communauté et l’appel pour un milieu plus inclusif, accessible et empathique se fait entendre.  

par ALAN MARTINO | 05 JAN 24

L’utilisation du terme « crip » (dérivé de « cripple », qui signifie estropié.e, infirme, invalide) représente pour certaines personnes handicapées un moyen de se réapproprier un vocable péjoratif. En tant que nom, il transforme un mot stigmatisant en une source de fierté et d’identité. En tant que verbe, « crip » (et son équivalent français, le néologisme « criper ») incarne une forme dynamique d’action et de transformation.

Le mouvement crip bouscule les normes et biais sociaux en plaçant les expériences et les points de vue des personnes handicapées au cœur du discours. Il cherche à éliminer les obstacles, à créer des milieux plus accessibles et à faire avancer les droits des personnes handicapées. Il montre que le handicap n’est pas une déficience, mais plutôt une facette de la diversité humaine et que l’accueil de cette diversité mènera à une société plus inclusive et empathique.

Le mentorat « crip »

En tant que chercheur en études sur le handicap, mon rôle de mentor à l’université suscite chez moi des émotions vives et parfois contradictoires. L’équilibre est mince, car je dois guider les chercheurs et chercheuses en devenir tout en étant parfaitement conscient des pièges qui les guettent. Au cœur de ce paradoxe : ma peur de perpétuer, sans le vouloir, des attentes irréalistes et problématiques en ce qui a trait à la productivité et à la réussite en milieu universitaire alors que je veux développer le potentiel de mes étudiant.e.s pour leur permettre de devenir de bon.ne.s candidat.e.s aux études supérieures et à des postes menant à la permanence.

Cette question me taraude sans cesse. Je suis pris entre nourrir l’ambition de mes étudiant.e.s et veiller à ce qu’elles et ils évitent l’engrenage des attentes incessantes qui ont fragilisé la santé mentale – parfois au point de l’épuisement – de tant d’universitaires. Conscient de ce paradoxe, je me fais un devoir d’être ouvert et franc avec les personnes que je mentore. Je les encourage à élaborer leur propre définition de la réussite, qui ne se limite pas au milieu universitaire traditionnel.

Le mentorat « crip », c’est chercher des méthodes qui remettent en question et redéfinissent les pratiques de mentorat classiques afin d’avoir plus d’inclusion, d’empathie et de soutien. Par exemple :

  • Faire preuve de flexibilité – Reconnaissez que les étudiant.e.s aux cycles supérieurs handicapé.e.s peuvent avoir besoin de calendriers et d’attentes plus flexibles, notamment en étant disposé.e à tenir compte des besoins particuliers quand vient le temps d’établir les échéanciers, le calendrier de recherche et la charge de travail.
  • Communiquer avec ouverture – Créez un environnement qui favorise la communication ouverte et honnête, entre autres en faisant en sorte que les étudiant.e.s soient à l’aise de parler de leur handicap, de leurs besoins et de leurs inquiétudes sans craindre de se faire juger ou stigmatiser.
  • Surveiller la santé mentale – Soyez à l’affût de l’état de santé mentale et du bien-être des personnes mentorées. Sachez reconnaître les signes de stress et d’épuisement et orienter les personnes qui en ont besoin vers des ressources d’aide.
  • Créer des communautés de mentorat Promouvez la création de communautés de mentorat pour les étudiant.e.s handicapé.e.s.

La temporalité « crip »

Les échéances, les calendriers et les attentes sont indissociables de la vie universitaire. Or, la conception traditionnelle du temps peut être impitoyable, surtout pour les chercheurs et chercheuses vivant avec un handicap. Le concept de temporalité « crip » vient alors à la rescousse, en proposant de réévaluer le rythme universitaire et les attentes qui en découlent.

  • Reconnaître les différentes réalités temporelles – La temporalité « crip» reconnaît qu’un handicap change du tout au tout le rapport au temps. Elle tient compte des divers types de handicaps, qui peuvent mener à des variations du niveau d’énergie, de la capacité physique et des fonctions cognitives.
  • Redéfinir la productivité – Dans le milieu universitaire, la notion de productivité valorise un travail constant avec peu de repos ou de récupération. La temporalité « crip» nous encourage à faire autrement, à préférer la qualité à la quantité et à accorder des périodes de repos et de ressourcement sans culpabilité.
  • Adopter la flexibilité – Une plus grande flexibilité des échéances, des horaires et des régimes de travail serait bénéfique pour le milieu universitaire. On pourrait ainsi mieux répondre aux besoins des chercheurs et chercheuses ayant un handicap en leur permettant de travailler à un rythme adapté à leurs capacités sans nuire à la qualité de leurs contributions.
  • Favoriser l’inclusion – La culture de la temporalité « crip» valorise les expériences et les points de vue des chercheurs et chercheuses ayant un handicap. Elle met en lumière que chacun.e peut apporter des contributions importantes dans son domaine, et ce, peu importe son état de santé physique ou mental.
  • Promouvoir le bien-être – Il faut insister sur l’importance du bien-être des universitaires en plaçant leur santé physique et mentale au cœur de leurs activités professionnelles.

Cette redéfinition du temps et des attentes n’est pas incompatible avec la rigueur; il s’agit plutôt d’une reconnaissance du fait que le modèle traditionnel a souvent exclu bon nombre des membres de la communauté universitaire et leur a parfois causé du tort. C’est un appel à un milieu plus inclusif, accessible et empathique, où les universitaires peuvent s’épanouir et contribuer à l’avancement du savoir sans sacrifier leur bien-être.

Alan Martino est professeur adjoint au Département de réadaptation communautaire et d’études sur le handicap de l’Université de Calgary.

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