Alors que l’Institut national de santé publique du Québec dévoile que plus d’un jeune adulte sur trois affiche un score de détresse psychologique problématique et que le premier ministre François Legault invite les étudiant.e.s à garder espoir, des voix s’unissent pour souligner la rareté, voire l’absence, de mesures destinées aux étudiant.e.s du postsecondaire. Nous saisissons cette occasion pour contribuer à la réflexion en partageant nos données et notre expérience au sein de Thèsez-vous, un organisme à but non lucratif qui vise à soutenir les étudiant.e.s et transformer les façons de faire en milieu universitaire.
Depuis cinq ans, nous documentons les logiques individualistes, compétitives et utilitaristes qui teintent le parcours postsecondaire. Le maintien des standards de productivité dans les derniers mois a certainement alimenté l’anxiété, l’isolement et la détresse psychologique qui étaient, par ailleurs, déjà très présents avant la pandémie. Ce sont des problèmes dont la gravité est influencée par les inégalités sociales. Les données propres à la pandémie collectées le printemps dernier corroborent les constats d’autres études : certains profils sont plus affectés par la pandémie, notamment les mères ou ceux et celles qui travaillent dans des conditions difficiles.
Que ce soit du côté des services aux étudiant.e.s ou des réseaux sociaux, nous observons une prolifération de ressources en ligne qui préconisent les stratégies de « self-care », les routines, le travail sur soi, la méditation ou l’activité physique. Les trucs et astuces pour « survivre » aux études universitaires circulent amplement et les ateliers en vidéoconférence s’accumulent, alors que l’isolement et la pression ressentis ne diminuent pas. Il faut souligner que ces stratégies sont limitées et qu’elles ne tiennent compte des inégalités en étant centrées sur les individus plutôt que le collectif et les environnements. Elles ne peuvent compenser pour un accès limité aux ressources psychologiques et matérielles nécessaires au maintien du bien-être des étudiant.e.s.
Au-delà d’un meilleur accès à ces ressources, nous souhaitons qu’une attention soit portée au collectif. Depuis mars 2020, nous travaillons à la création de « commun de rédaction » en ligne. En répondant d’abord au besoin utilitaire qui est de persévérer dans la rédaction de son mémoire ou de sa thèse, des étudiant.e.s de toutes les universités et les disciplines se réunissent quotidiennement. Au-delà des tâches réalisées de façon synchrone, ces espaces virtuels permettent un partage de préoccupations, de ressources et d’expériences. La culture universitaire traditionnelle est remise en question par une approche de copratique et de réciprocité dans un mode de fonctionnement « par et pour les pairs ». Au-delà de l’humour et des jeux de mots pour lesquels Thèsez-vous est reconnu, l’idée est d’offrir des occasions stables et récurrentes de faire ensemble, chacun chez soi, afin de permettre à une culture alternative de se discuter et se construire.
Et c’est tant mieux! Notre analyse d’impact révèle l’importance du sentiment d’appartenance à une communauté solidaire, multidisciplinaire et interuniversitaire, comme facteur de protection face à la prolongation, à l’abandon et aux problèmes de santé mentale. Plusieurs universités et associations étudiantes soutiennent l’accès à des initiatives comme Thèsez-vous. En revanche, les derniers mois ont aussi révélé que le réflexe de plusieurs est de tenter de s’organiser seuls et, malgré les difficultés, de tenter de se démarquer des autres. Dans une situation aussi complexe, nous croyons qu’il est prioritaire de collaborer, d’échanger nos bonnes (et moins bonnes) pratiques et de faire preuve de solidarité.
Ainsi, nous recommandons aux universités et au ministère de l’Enseignement supérieur de porter une attention aux conditions de travail et aux inégalités afin de réfléchir aux espaces communs, virtuels ou non, qu’on offre pour briser l’isolement et repenser la culture académique. Si le discours ambiant prescrit de se réinventer et de saisir les occasions qu’a fait naître la crise, peut-être que les pistes de solution requièrent moins d’innovations technologiques et plus d’innovations sociales afin de réfléchir davantage sous l’angle du collectif et des conditions d’études pour favoriser la réussite et le bien-être des étudiant.e.s.