Seul un manque flagrant de flair politique peut transformer en source de conflit une proposition politique bancale émanant d’un gouvernement désavoué dans les urnes. C’est pourtant ce qu’a fait le premier ministre de l’Ontario Doug Ford – en moins de six mois.
La question de l’annulation du financement de l’Université de l’Ontario français (UOF) a été réduit à une simple compression budgétaire par le gouvernement, qui l’a présentée comme une mesure justifiée, même en suscitant quelques grincements de dents passagers chez les principaux intéressés.
Les manifestations organisées dans plus de 40 collectivités de la province et la défection de la députée provinciale Amanda Simard du Parti progressiste-conservateur démontrent toutefois que la communauté francophone n’entend pas capituler (en anglais). Les affectations ministérielles, considérées comme des tentatives maladroites du gouvernement pour calmer le jeu, n’ont pas apaisé son mécontentement.
Il ne fait aucun doute que la proposition initiale d’université de langue française élaborée par le gouvernement libéral sortant était faible. L’idée selon laquelle la création d’une université à Toronto contribuerait à renforcer l’accès des francophones ontariens aux études supérieures était vue comme une « mauvaise plaisanterie », et celle selon laquelle la demande du marché justifiait la réalisation du projet, un rêve illusoire (en anglais).
Bien que la ministre de la Formation et des Collèges et Universités, Merrilee Fullerton, ait signalé son intention de s’investir totalement dans la réussite (en anglais) de l’Université, une certaine ambiguïté subsiste un an plus tard puisque le gouvernement ne semble plus seulement vouloir éliminer une politique boiteuse des libéraux. Il démolit un établissement naissant qui concrétisait un rêve social et culturel persistant.
De toute évidence, les progressistes-conservateurs n’ont pas fait grand cas de l’importance que revêtait l’Université pour la communauté francophone ni du travail déjà accompli, soit la création du conseil d’administration, le financement obtenu pour planifier et élaborer les programmes du nouvel établissement, la nomination d’un recteur par intérim et les diverses activités mises en œuvre en vue d’accueillir les premiers étudiants en 2020. Qui plus est, les dirigeants de l’Université ont appris le retrait du financement en lisant le document d’information sur les perspectives économiques et la revue financière du gouvernement.
Un gouvernement avisé aurait peut-être été capable de mieux défendre sa position initiale à l’égard du projet s’il avait démontré une certaine volonté de s’entendre avec l’UOF sous la pression des contraintes budgétaires. Il aurait pu accroître les partenariats et le partage de ressources avec d’autres universités et collèges de façon à réduire les frais de démarrage estimés à 85 millions de dollars, et diriger les négociations à cet égard. Il aurait ainsi démontré concrètement sa bonne foi et sa volonté d’aider une nouvelle université à prendre son essor tout en invoquant le contexte d’austérité. L’UOF n’a aucun coût irrécupérable ni aucun patrimoine à protéger, elle aurait donc intérêt à négocier une entente pour assurer sa pérennité.
Face aux protestations, le gouvernement a plutôt choisi de justifier sa décision de ne pas financer l’UOF et de fermer la porte à de futures négociations. Entre-temps, les dirigeants de l’UOF espèrent convaincre le gouvernement fédéral de financer l’établissement en vertu du Plan d’action pour les langues officielles appuyant, notamment, l’enseignement dans la langue de la minorité. Sauf qu’un financement du gouvernement fédéral exige la participation et le soutien du gouvernement de l’Ontario. Or, ce dernier ne semble pas particulièrement disposé à préserver l’UOF d’une fin précoce.
Creso Sá est directeur du Centre d’études en enseignement supérieur canadien de l’Institut pédagogiques de l’Ontario (IEPO) de l’Université de Toronto.