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À mon avis

Universités canadiennes et armes nucléaires – un appel

Participez aux efforts d’abolition des armes nucléaires.

par PIERRE JASMIN + ADELE BUCKLEY | 18 SEP 13

Les armes nucléaires ne semblent plus être dans la mire des universitaires, même si, encore aujourd’hui, neuf pays conservent une mentalité de l’époque de la Guerre froide qui menace notre existence. Leurs 17 000 armes nucléaires représentent un danger de mort ou de chantage permanent, puisqu’elles peuvent être lancées à tout moment à la suite d’une fausse alerte, d’un court-circuit, d’une erreur humaine ou d’un vol par des terroristes. Une « guerre limitée » – c’est-à-dire qui utiliserait quelques-unes seulement de ces armes – aurait pour effet d’anéantir notre civilisation en raison des nuages de particules qui stagneraient dans la haute atmosphère et empêcheraient toute récolte pendant des années. Cet article s’adresse à vous, collègues des universités canadiennes, et vise à solliciter votre engagement dans la lutte pour l’abolition des armes nucléaires.

Soixante ans après que le président Eisenhower ait affirmé que le complexe militaro-industriel représentait la plus grande menace à la sécurité mondiale, les universités nord-américaines sont malheureusement devenues des partenaires de choix de sociétés comme Lockheed Martin et Northrop Grumman qui fabriquent des drones armés, des avions furtifs F-35 et des armes nucléaires. Le site Web (PDF). révèle les liens directs ou indirects de ces entreprises avec les conseils d’administration des universités. Rien d’étonnant, si l’on pense que les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU affirment encore aujourd’hui que les armes nucléaires sont « essentielles » à leur sécurité. Les États-Unis investissent à elles seules 70 milliards de dollars par année dans l’industrie des armes nucléaires, en dépit du discours récent de Barack Obama à Berlin, dans lequel il a réitéré ses propos antinucléaires tenus à Prague en 2009. Plutôt que de choisir la voie facile du cynisme et de l’inaction, les membres du milieu universitaire canadien doivent, seuls ou en groupes, poser des gestes à l’échelle internationale, américaine et canadienne en s’inspirant des modèles présentés ci-dessous.

Acteurs internationaux pour l’abolition des armes nucléaires

Le Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, mérite d’être mentionné en premier en raison de son plan en cinq points énoncé en 2008 pour l’élimination des armes nucléaires, sa motivation principale à entreprendre un second mandat à la direction de l’ONU. La Réunion de haut niveau de l’Assemblée générale prévue le 26 septembre 2013 à New York se déroulera sur le thème du désarmement nucléaire.

Le Canadien Douglas Roche a choisi pour son livre How we stopped loving the bomb (James Lorimer, 2011), préfacé par Roméo Dallaire, le sous-titre An insider’s account of the world on the brink of banning nuclear arms. L’historien américain Lawrence Wittner a reconnu l’efficacité des opposants à l’arme nucléaire dans son ouvrage Confronting the bomb (Stanford University Press). L’optimisme de ces spécialistes semble appuyé par le succès qu’a obtenu la Conférence d’Oslo sur l’impact humanitaire des armes nucléaires en mars 2013. En dépit du boycottage pratiqué par les des cinq membres permanents du Conseil de sécurité, la conférence a attiré 127 gouvernements, grâce aux efforts conjugués du gouvernement norvégien et des organisateurs de l’International Campaign to Abolish Nuclear Weapons (ICAN). Une rencontre de suivi se tiendra au Mexique au début de 2014.

Alyn Ware, coordonnateur mondial du réseau Parlementaires pour la non-prolifération nucléaire et le désarmement (PNND), rapporte qu’« un processus prometteur de désarmement nucléaire chapeauté par l’ONU a débuté de façon très positive à Genève du 14 au 24 mai 2013. L’Open Ended Working Group on Taking Forward Multilateral Nuclear Disarmament Negotiations, fondé par l’Assemblée générale de l’ONU, a insufflé de l’air frais dans un environnement politique qui stagne depuis 17 ans, empêchant la Conférence sur le désarmement d’entreprendre toute action substantielle. » Ces nouveaux développements ont été entérinés à l’unanimité par l’Assemblée parlementaire de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe à Istanbul le 3 juillet 2013 grâce à une motion présentée par Uta Zapf, coprésidente de PNND et chef adjointe de la Délégation du Parlement allemand.

Des organismes non gouvernementaux préoccupés par la question des armes nucléaires se sont donné pour mission de sensibiliser la population. Habituellement réticente à s’engager sur le terrain politique, la Croix rouge internationale a produit un rapport alarmant qui démontre qu’une guerre nucléaire aurait des conséquences tellement dévastatrices que tous les établissements médicaux et tous les médecins du monde ne suffiraient pas à la tâche. Dans le même ordre d’idées, la Cour internationale de justice a émis en 1996 un avis consultatif selon lequel toute utilisation d’armes nucléaires serait illégale en raison des effets disproportionnés qu’elle aurait sur l’environnement et les populations civiles, parce que les dommages ne pourraient être limités dans le temps ou dans l’espace. Le seul fait de menacer de s’en servir, comme le font, par exemple, l’OTAN ou les autres pays détenteurs de ces armes – qu’il s’agisse d’Israël, de la Corée du Nord, de l’Inde, du Pakistan ou des cinq membres permanents – constitue un crime en vertu du droit international humanitaire et du droit coutumier (Dr John Burroughs, bureau des Nations Unies, Association internationale de juristes contre les armes nucléaires).

À l’automne 2012 a eu lieu à Québec la 127e réunion de l’Union interparlementaire, un réseau mondial formé de 800 parlementaires – dont des membres du réseau PNND – de plus de 80 pays. Un nouveau guide produit par Rob van Riet et Alyn Ware, Promouvoir la non-prolifération et le désarmement nucléaires, sera envoyé à toutes les bibliothèques universitaires du Canada.

Une délégation d’Abolition 2000, un réseau mondial pour l’abolition des armes nucléaires, a rendu visite à la base navale de Clyde, en Écosse, le 19 avril 2013. Ils ont à cette occasion publié la Déclaration de Faslane (PDF) dans laquelle ils demandent au Royaume-Uni de retirer les armes nucléaires de ses sous-marins Trident basés en Écosse, de cesser d’utiliser les armes nucléaires à des fins dissuasives et de se joindre aux négociations pour l’abolition nucléaire, appel endossé par la majorité des membres du Parlement européen dans une déclaration visant l’abolition des armes nucléaires qu’ils ont signée le 6 mars 2013.

Un nouveau mouvement d’importance, Global Zero, a élaboré un plan pour éliminer les armes nucléaires de la surface de la Terre d’ici 2030. Le Nuclear Abolition Forum se veut un espace favorisant les échanges savants sur le processus visant à débarrasser la planète des armes nucléaires. Le maire de Nagasaki, Tomihisa Taue, a de son côté publié la Déclaration de paix de sa ville en 2013. L’InterAction Council et la Middle Powers’ Initiative, deux regroupements d’anciens chefs d’État et hommes politiques, appuient l’abolition des armes nucléaires. Cette liste d’opposants à l’arme nucléaire, « utilisée » pour la dernière fois en 1945, qui coûte énormément d’argent et fait désormais face à une vive opposition, pourrait s’allonger indéfiniment. Mais pourquoi les universités et les professeurs ne se font-ils pas entendre?

Même les États-Unis vont de l’avant

Le mouvement vers le désarmement nucléaire a perdu du terrain sous les deux administrations Bush, à un point tel que les États-Unis envisageaient même le recours à de « petites » armes nucléaires sur les champs de bataille. Aujourd’hui, les voix américaines favorables au désarmement se font entendre de plus en plus fort. Le 25 juin 2013, Ed Markey, coprésident de PNND, a été élu au Sénat américain en remportant le siège du Massachusetts auparavant occupé par John Kerry (nommé Secrétaire d’État). M. Markey a toujours défendu activement les initiatives de désarmement nucléaire à la Chambre des Représentants, dont la loi Smarter Approach to Nuclear Expenditures (SANE) de 2012, qui vise à réduire de 100 milliards de dollars le budget des programmes d’armes nucléaires américains au cours de la prochaine décennie. M. Markey a fait cette déclaration : « Nos systèmes d’ogives nucléaires ont été pensés dans l’optique de remporter la Guerre froide et ne reflètent pas les menaces actuelles. Il en coûte des milliards pour maintenir ces armes démodées. En période de réduction des services gouvernementaux essentiels et des dépenses consacrées à la sécurité sociale, à l’assurance-maladie, à l’éducation et à la recherche, nous ne pouvons continuer de gaspiller des ressources en nous appuyant sur l’idée obsolète qu’un arsenal nucléaire considérable nous protège. »

Les propos de M. Markey semblent audacieux, mais pas autant que les discours prononcés par John F. Kennedy en 1962 et Ronald Reagan en 19841. Le 17 juin, le président russe Vladimir Poutine et le président américain Barack Obama se sont réunis, malgré leurs nombreuses divergences d’opinions, avec la volonté commune de retrancher davantage d’armes nucléaires de leur arsenal respectif.

Un groupe d’acteurs américains connus a produit récemment une vidéo qui dénonce le recours aux armes nucléaires. Enfin, les 5000 membres du réseau Maires pour la Paix ont félicité la U.S. Conference of Mayors, qui a unanimement adopté le 24 juin dernier une déclaration « appelant à un leadership des États-Unis en vue de l’élimination mondiale des armes nucléaires et de l’utilisation de son budget militaire à des fins civiles. »

Initiatives canadiennes récentes

Le militant pour la paix Murray Thomson, qui a été pilote lors de la Seconde Guerre mondiale, a recueilli 700 signatures de membres de l’Ordre du Canada (un exemple suivi par l’Ordre de l’Australie) pour demander au gouvernement d’organiser une rencontre internationale pour jeter les bases de la négociation d’une convention internationale sur les armes nucléaires. Ce plan visant l’adoption d’un traité international en vue de l’élimination vérifiable des armes nucléaires a été appuyé à l’unanimité par le Sénat et la Chambre des Communes.

Des groupes de militants canadiens pour la paix ont commandité, séparément et conjointement, des conférences, des symposiums et des réunions internationales d’experts, dont les résultats ont été transmis au gouvernement fédéral ainsi qu’aux journaux sous forme de lettres d’opinion. Le réseau PNND Canada – qui bénéficie de l’appui de la députée néo-démocrate Hélène Laverdière, du porte-parole du NPD en matière d’affaires externes Paul Dewar, de la chef du Parti vert Elizabeth May, du député conservateur Scott Armstrong et du député libéral John McKay – organise périodiquement des séminaires à l’intention des politiciens et des fonctionnaires.

Le Réseau canadien pour l’Abolition des armes nucléaires, présidé par Bev Delong, une avocate de Calgary, a intensifié son action, fort de l’appui de plusieurs organismes membres2. Son plus récent séminaire, tenu le 31 mai dernier, a porté sur le rôle du Canada dans le mouvement de désarmement nucléaire mondial. Des fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères y ont présenté les activités du gouvernement canadien en la matière.

Conformément à l’article VII du Traité de non-prolifération, il existe sept zones libres d’armements nucléaires, qui couvrent presque toute la superficie de l’hémisphère sud et des parties de l’hémisphère nord. Lors d’un atelier d’experts organisé à Ottawa en octobre 2012, Pugwash Canada a exhorté les pays circumpolaires d’adopter des politiques menant à l’établissement d’une telle zone en Arctique. Le Nuclear Abolition Forum, le World Future Council et d’autres organisations de la société civile appuient cette initiative.

Malheureusement, le contrôle des armes nucléaires ne semble pas compter parmi les sujets principaux ou secondaires abordés dans les programmes de science politique au Canada. Seule une poignée d’établissements, dont les universités Western, Waterloo, Ottawa et Carleton, comptent des professeurs ayant une expertise en la matière. Malgré ses tendances pacifistes, le Québec semble peu enclin à s’attaquer à cet enjeu qui relève de la compétence fédérale. Ne s’agit-il pas d’une excuse facile pour son inaction, puisqu’un hiver nucléaire toucherait tous les êtres humains sur Terre, indépendamment des frontières réelles ou putatives?

En conclusion, un appel

Au cours des 12 dernières années, les chercheurs universitaires ont enregistré d’immenses progrès en ce qui a trait à la fabrication de radars et d’instruments de mesure sophistiqués pour veiller, sous la gouverne du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires de l’ONU, à ce que le moindre essai avorté d’explosion souterraine par la Corée du Nord ne passe pas inaperçu et que l’enrichissement d’uranium par l’Iran soit détectable par le projet onusien de traité de contrôle des matières radioactives (qui n’a pas encore été officiellement adopté).

Les chercheurs universitaires canadiens témoignent également leur solidarité à leurs collègues des universités de l’Allemagne et du Japon, où le mouvement antinucléaire connaît un essor important. Nous citons en conclusion « la mission de l’UNESCO de bâtir la paix et la sécurité, en resserrant les liens entre l’éducation, la science et la culture, pour garantir le respect universel de la justice, de la loi, des droits de la personne et des libertés fondamentales », car c’est seulement avec un engagement solide de la société civile que le complexe universitaire-industriel-militaire pourra être vaincu.

Nous appelons donc nos collègues (professeurs et étudiants) à poser des gestes concrets :

  • Informez-vous sur les enjeux liés aux armes nucléaires, et démontrezactivement leur inutilité croissante au sein d’une stratégie de sécurité d’État.
  • Prenez position – seul ou en groupe – et faites connaître vos préoccupations au gouvernement et à la population du Canada.
  • Faites pression sur votre université pour qu’elle évite les investissements directs ou indirects dans l’industrie militaire.
  • Demandez à votre université d’éviter la « recherche » financée par l’industrie militaire.
  • Assurez-vous que le désarmement nucléaire et le contrôle des armements figurent au programme des cours de science politique.
  • Reconnaissez l’expertise des organisations de la société civile et invitez-les à s’exprimer en classes et lors de séminaires ouverts à tous sur le campus.
  • Encouragez les étudiants à former des groupes de pression et aidez-les à se trouver des conseillers au sein de l’université.


Pierre Jasmin
est président des Artistes pour la Paix et professeur de musique à l’Université du Québec à Montréal. Adele Buckley est physicienne, ingénieure spatiale et scientifique spécialisée en environnement; elle est membre du Conseil des Conférences Pugwash sur la science et les affaires mondiales. Tous deux sont membres de Pugwash Canada. M. Jasmin siège également au conseil de direction du Réseau canadien pour l’abolition de l’arme nucléaire.

1. « Le monde n’a pas été conçu comme une prison où l’homme attend son exécution. Et l’humanité n’a pas survécu aux tests et épreuves de milliers d’années pour tout abandonner maintenant, jusqu’à sa propre existence. Cette nation a la volonté et la foi pour entreprendre un effort ultime pour briser la résistance au désarmement et à la non-prolifération – et nous persévérerons en vue de la victoire, c’est-à-dire jusqu’à ce que la règle de la loi remplace le toujours périlleux usage de la force. » — John F. Kennedy, 1962

« Peuples de l’Union soviétique, il n’y a qu’une seule gouvernance saine, pour votre pays et le mien, afin de préserver notre civilisation en ces temps modernes : une guerre nucléaire ne ferait aucun vainqueur et ne doit jamais être livrée. La seule valeur pour nos deux nations détentrices d’armes nucléaires est de s’assurer qu’elles ne soient jamais utilisées. Mais alors ne serait-il pas préférable de s’en débarrasser entièrement? » — Ronald Reagan, 1984

2. Comme Pugwash, Project Ploughshares, l’Institut Rideau, Voix des Femmes, les Professionnels de la Santé pour la survie mondiale, les Artistes pour la Paix, les Vétérans contre les armes nucléaires, Science for Peace, l’Association des Nations-Unies – Canada, l’Alliance canadienne pour la paix, Religions pour la paix, le Mouvement fédéraliste mondial, et d’autres encore.

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