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Frais de scolarité : la lutte pour la gratuité continue

Voici pourquoi j’estime que ce n’est pas une bonne idée.

par LÉO CHARBONNEAU | 05 OCT 12

Au Québec, le mois dernier, les associations étudiantes ont jubilé à l’annonce de la décision du tout nouveau gouvernement péquiste d’annuler la hausse des frais de scolarité qu’entendait imposer le gouvernement libéral sortant, à raison de 254 dollars par année, étalée sur sept ans. En plus, le nouveau gouvernement, dirigé par Pauline Marois, a décidé de maintenir la bonification de 39 millions de dollars du plan d’aide aux étudiants, initialement destinée à atténuer les effets de la hausse des frais de scolarité pour les familles à faible revenu. « C’est une victoire totale! », s’est exclamée Martine Desjardins, présidente de la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ).

Les étudiants peuvent à bon droit être fiers de ce qu’ils ont accompli. Au fil des mois où ils ont protesté, ils se sont en général montrés disciplinés, structurés, concentrés sur leurs objectifs et persuasifs, parvenant ainsi à attirer l’attention non seulement du Québec, mais également de l’ensemble du Canada et du reste du monde. Le mouvement étudiant québécois a également donné naissance à de nombreux débats portant, entre autres, sur le rôle des gouvernements en matière d’éducation et sur le mode de financement souhaitable de l’éducation universitaire.

La FEUQ, de même que la FECQ qui représente les étudiants des cégeps, semblent pour l’instant satisfaites. L’étape suivante consiste pour elles à décider de soutenir ou non l’indexation des frais de scolarité en fonction de l’inflation, proposée par le Parti Québécois. L’association étudiante la plus radicale, la CLASSE, y est totalement opposée. Elle a toujours milité pour l’abolition complète des frais de scolarité et entend poursuivre sa lutte en ce sens.

La position de la CLASSE repose sur une idée fausse, selon laquelle la gratuité de l’enseignement postsecondaire favoriserait l’accès aux études universitaires. Diverses études, menées entre autres par Ross Finnie, professeur à l’Université d’Ottawa, ont en effet montré que les frais de scolarité ne constituent par le principal obstacle à l’accès. Alex Usher, de Higher Education Strategy Associates, estime en outre que la démarche prônée par la CLASSE profiterait en réalité aux familles les plus riches, au détriment des moins nanties.

En s’appuyant sur les données de l’OCDE, Mike Moffat, professeur à la Western University, soutient que la meilleure stratégie pour favoriser l’accès à l’enseignement supérieur consisterait à subventionner directement les frais de scolarité des trois catégories d’étudiants les moins susceptibles d’accéder à l’université : ceux qui sont issus des foyers aux revenus les plus modestes, ceux qui proviennent des zones rurales ou des communautés autochtones, et enfin, ceux dont aucun des parents n’a fréquenté l’université. Il ne s’agit vraiment pas de l’« éducation gratuite pour tous ».

Par principe, je suis personnellement contre l’idée selon laquelle l’éducation postsecondaire devrait être totalement gratuite. Après tout, en matière de soins de santé – autre type de services gratuits –, les personnes qui ont la chance d’avoir un emploi qui offre des avantages sociaux (assorti, par exemple, d’une assurance médicaments et soins dentaires) sont généralement assujetties à une franchise de 20 pour cent. Cela me semble juste, et porteur d’un message : tout avantage social a un coût, et chacun doit contribuer, à tout le moins à une partie des coûts. Un principe similaire est à la base des sept dollars par jour que doivent acquitter les Québécois pour les services de garderie. Ces sept dollars ne représentent peut-être pas 20 pour cent du coût réel de ces services, mais ils s’en rapprochent. Selon les études, les frais de scolarité actuellement imposés aux étudiants du Québec représentent environ 16 pour cent du coût réel de leur scolarité.

La CLASSE brandit entre autres comme argument l’existence d’une scolarité gratuite dans un certain nombre de pays. Or, cette gratuité n’est parfois qu’apparente. Cet argument relève de plus d’un raisonnement illogique. Rien n’empêcherait en effet, sur la base d’un tel raisonnement, de conclure à la nécessité de doubler les frais de scolarité au Canada pour qu’ils soient conformes à la moyenne des frais exigés par les universités américaines.

Le fait qu’un pays qui compte un grand nombre de citoyens possédant une formation universitaire, occupant de bons emplois et payant davantage d’impôts profite bien sûr à l’ensemble de la société. Toutefois, personne ne peut nier que ces mêmes citoyens tirent personnellement profit des avantages qui sont les leurs.

Certains étudiants soutiennent enfin que les frais de scolarité devraient être abolis au motif que l’éducation est un droit. Or, la Charte canadienne des droits et libertés ne fait nullement mention de la gratuité de l’éducation universitaire. L’alinéa 2(c) de l’article 13 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels adopté sous l’égide du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme stipule simplement que « l’enseignement supérieur doit être rendu accessible à tous en pleine égalité, en fonction des capacités de chacun, par tous les moyens appropriés et notamment par l’instauration progressive de la gratuité. » (La mise en italiques est de l’auteur.) Le Canada n’a pas ratifié ce pacte, mais il y a adhéré, ce qui peut être interprété comme ayant sur le plan juridique le même effet qu’une ratification.

À PROPOS LÉO CHARBONNEAU
Léo Charbonneau
Léo Charbonneau is the editor of University Affairs.
COMMENTAIRES
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  1. Johanne Barrette, Ph.D. / 24 octobre 2012 à 11:44

    Cher monsieur Charbonneau,
    Vous citez l’auteur Finnie (et Muller), qui publient un article dans le Globe and Mail du 2 mai 2012. Un article « d’opinion », il me semble. Je veux souligner qu’ils affirment bien des choses dans cet article mais ne citent jamais leurs sources. Vous dites vous-même que « diverses études ont montré que… », je demande encore lesquelles?
    En outre, il faut constater que, s’il était avéré que « les frais de scolarité ne sont pas le principal obstacle », il reste qu’ils sont bien un des obstacles à l’accès aux études supérieures. Comment pourrait-il en être autrement, en vérité?

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