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L'aventure universitaire

Emploie-t-on à tort le terme
« citoyenneté » dans l’enseignement supérieur?

Les étudiants semblent interpréter différemment ce terme omniprésent dans les énoncés de mission des universités.

par JESSICA RIDDELL | 10 MAI 19

L’automne dernier, je me suis rendue au Royaume-Uni pour faire un exposé dans le cadre d’un congrès sur l’engagement étudiant. Dans mon exposé intitulé « Building Critical Hope through Student Engagement: Curiosity-Driven Approaches to Learning », j’ai laissé entendre que « l’espoir est essentiel à un engagement profond et transformateur fondé sur l’intégrité, la responsabilité morale et éthique ainsi que sur la citoyenneté ». Or, bien que j’aie abordé les aspects éthiques de l’engagement – et souligné qu’il nous fallait en repenser les paradigmes en parlant avec les étudiants plutôt que de ceux-ci –, la première question qui m’a été posée concernait ma définition de la citoyenneté.

J’ai alors constaté que je m’étais aventurée en terrain glissant, compte tenu du débat national sur la citoyenneté amplifié par le Brexit. De mon point de vue canadien, j’avais oublié à quel point la question fait débat et est à l’origine de vives tensions au Royaume-Uni et ailleurs dans le monde. J’avais évoqué la « citoyenneté » en tant que fondement souhaitable de l’engagement, sans réfléchir à la pluralité des définitions de ce concept. J’avais si souvent entendu le terme « citoyenneté » employé dans le contexte de l’enseignement supérieur qu’il s’était glissé dans mon vocabulaire à mon insu.

Le mot « citoyenneté » est omniprésent dans les énoncés de mission des universités. L’Université Harvard, par exemple, dit s’engager à « éduquer les citoyens et dirigeants-citoyens de notre société », tandis que l’Université de la Colombie-Britannique affirme « viser l’excellence en matière de recherche, d’apprentissage et d’engagement pour favoriser la citoyenneté mondiale ». Les quatre petites universités canadiennes qui forment la Maple League ont quant à elles pour mission de « préparer les étudiants aux cycles supérieurs à évoluer dans un monde de plus en plus complexe, en tant que citoyens et dirigeants attachés aux valeurs d’une société juste et humaniste ».

Ma conception de la citoyenneté découle des perceptions républicaine, libérale et universaliste de celle-ci selon lesquelles, dans une sorte de relecture contemporaine de La Politique d’Aristote, les citoyens doivent prendre part au débat sur la liberté et l’égalité pour le bien commun. À mes yeux, œuvrer au bien commun, c’est travailler à ce que tous disposent des mêmes droits civils, politiques et sociaux au sein de démocraties où règne une diversité de points de vue dont aucun n’est, a priori, plus légitime que les autres.

En réponse aux questions qui ont suivi mon exposé, j’ai entre autres évoqué le nécessaire équilibre entre droits et responsabilités, le devoir de représentation et l’urgence de défendre les droits de la personne à l’échelle mondiale. La question de la citoyenneté a toutefois longtemps continué à me hanter par la suite. Quand une question me hante ainsi, j’en discute souvent en classe pour alimenter une réflexion collective sous différents angles, dans le respect de la diversité des points de vue. Ce processus permet presque toujours de mieux cerner la question en jeu, sans en minimiser la complexité.

C’est ainsi qu’au début du trimestre d’hiver, dans le cadre d’un séminaire sur la poésie et la prose du XVIe siècle, je me suis penchée sur la citoyenneté avec les étudiants présents. Relativement certaine que ces derniers, en tant qu’étudiants canadiens d’un établissement d’enseignement des arts libéraux, partageraient ma perception de celle-ci, j’ai commencé par leur demander de coucher par écrit leur définition de la citoyenneté. Leurs réponses m’ont sidérée. À leur lecture, j’ai constaté que la perception de la citoyenneté de presque tous était influencée par les débats sur l’identité nationale et l’appartenance régionale, la puissance de démarcation des frontières et le non-accès des « étrangers » à certains droits.

En discutant ensuite avec les étudiants, j’ai compris non seulement que nos visions divergeaient, mais aussi que la définition de la citoyenneté avait radicalement changé sans que je m’en rende compte. L’écart entre la perception des étudiants et la mienne m’a semblé incommensurable.

Ce que j’entrevoyais comme une simple introduction à l’humanisme du XVIe siècle assortie d’un rappel sur la notion de citoyenneté s’est transformé en un débat qui n’a cessé de façonner la suite du cours. Nous avons constaté que le terme « citoyenneté » circulait abondamment un peu partout : articles, allocutions, publicités, blogues, réseaux sociaux, etc. Nous avons épluché ensemble le concept de citoyenneté à la lumière des premiers textes modernes et de la réalité mondiale actuelle, avec ses discours clivants, ses murs et ses centres de détention.

Nous n’avons cessé de nous poser deux questions : Peut-on repenser le concept de citoyenneté au profit de l’enseignement supérieur? Et peut-on le repenser au moyen de l’enseignement supérieur?

Si la réponse à ces questions est loin d’être évidente, il est avant tout essentiel que chacun s’ouvre au point de vue d’autrui. Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons commencer à établir une définition commune de la citoyenneté, fondée sur l’égalité et la liberté pour tous.

À PROPOS JESSICA RIDDELL
Jessica Riddell
Jessica Riddell est professeure au département d’anglais de l’Université Bishop’s, ainsi que titulaire de la chaire Stephen A. Jarislowsky pour l’excellence en enseignement au baccalauréat et récipiendaire du Prix national 3M d’excellence en enseignement. Elle est également directrice générale de la Maple League of Universities.
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