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Légalement parlant

10 questions juridiques importantes pour les universitaires s’établissant au Canada

Les universités canadiennes ont un fonctionnement distinct de leurs homologues américaines, avec des différences en matière de financement, de réconciliation et de litiges.

par MICHAL JAWORSKI | 08 AOÛT 23

Si la quête de la vérité et de la connaissance ne connaît pas de frontières, les étudiant.e.s, les professeur.e.s et le personnel universitaire non plus. Chaque établissement réunit des personnes provenant de partout dans le monde, et c’est ce qui fait sa richesse.

Cependant, bien que de nombreux domaines comme la physique et la biologie répondent à des lois universelles, le droit diffère quant à lui considérablement d’un pays, d’une province, voire d’une ville à l’autre.

Vous faites partie du personnel enseignant ou administratif et vous venez d’arriver au Canada? Vous allez vous régaler! (Si vous considérez l’apprentissage comme un plaisir, ce qui est probablement le cas vu votre choix de profession.)

Ce texte abordera les 10 questions juridiques essentielles que les universitaires nouvellement arrivé.e.s au pays doivent connaître.

1. La vérité et la réconciliation

Le Canada admet dorénavant son histoire de génocide, de maltraitance, de négligence et d’exploitation à l’égard des peuples autochtones, inuits et métis. Les universités doivent aussi assumer le rôle qu’elles ont joué pendant cette période (accepter la vérité) et s’engager à agir (réconciliation). Un document clé (mais certainement pas le seul) en la matière est le rapport de la Commission de vérité et réconciliation, qui contient de nombreux appels à l’action, dont certains s’adressent spécifiquement aux établissements postsecondaires. Certaines provinces (dont la Colombie-Britannique) ont intégré la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones à leur législation, et la plupart des universités ont compris la nécessité de prendre des mesures concertées de leur propre chef.

La vérité et la réconciliation englobent de nombreux aspects et les lois concernant les établissements ne cessent d’évoluer. Des initiatives concernant l’identité autochtone, la gouvernance universitaire, les programmes d’étude ainsi que l’occupation, l’exploitation et l’aménagement du territoire sont actuellement mises en place. Et ce n’est qu’un début.

2. Un paysage dominé par le secteur public

Le système postsecondaire canadien est dominé par des établissements à but non lucratif financés par l’État (ou du moins « soutenus par l’État »). Il existe également un secteur privé de petite taille, mais en croissance, à but non lucratif, et un autre à but lucratif. La plupart des établissements publics sont enregistrés en tant qu’organismes de bienfaisance. Par conséquent, de nombreuses questions juridiques pertinentes et applicables relèvent à la fois du droit public et du droit de la bienfaisance. Ceci est particulièrement important pour des enjeux tels que la confidentialité, la liberté d’information (c.-à-d. les lois d’ouverture), les négociations collectives (qui peuvent impliquer des syndicats du secteur public et exiger des universités qu’elles négocient conformément aux mandats gouvernementaux), l’approvisionnement, la production de revenus et le développement foncier.

3. L’importance des règlements provinciaux

Les établissements publics d’enseignement postsecondaire sont principalement réglementés par les gouvernements provinciaux. Bien que ces lois présentent des similitudes d’une province à l’autre, elles comportent également des différences significatives qui influencent tous les aspects de la gouvernance, de la responsabilité financière, des relations de travail, de la confidentialité et de la sécurité de l’information au sein des établissements. De plus, elles ont un impact sur les politiques internes concernant des questions telles que la liberté académique et la liberté d’expression (pour plus de détails, voir point 7).

4. Des subventions de fonctionnement octroyées par le gouvernement provincial

Les budgets de fonctionnement des établissements publics sont financés (ou dans certains cas, simplement « soutenus ») par des subventions provinciales. Ces dernières peuvent être assorties d’exigences plus ou moins formelles, mais à l’exception notable des critères d’admissibilité des trois principaux organismes subventionnaires fédéraux (« les trois organismes » ou « les trois conseils », dont on reparlera un peu plus loin), les gouvernements provinciaux n’imposent généralement pas d’obligations importantes en échange de ces fonds. Aux États-Unis par exemple, les établissements qui reçoivent une aide fédérale doivent se conformer au Titre VI du Code des États-Unis, qui interdit toute discrimination fondée sur la race, la couleur de peau ou l’origine nationale, ainsi qu’au Titre IX, qui proscrit la discrimination fondée sur le sexe. Au Canada, les lois d’application générale (les codes provinciaux des droits de la personne) interdisent la discrimination sur divers motifs, dont le sexe. Cependant, les subventions de fonctionnement et les ententes de financement ne sont généralement pas assorties d’exigences importantes pour les établissements.

5. Le financement de la recherche par des organismes fédéraux

Les trois principaux organismes de financement de la recherche au Canada – le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie (CRSNG), les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) et le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) – sont connus collectivement comme « les trois organismes subventionnaires » ou « les trois conseils ». Ils émettent des exigences d’admissibilité détaillées pour les universités et, en raison de leur taille et de leur importance, sont la principale source réglementaire en matière de recherche pour tous les établissements admissibles.

6. La publication avant tout

Les universités ne mènent généralement pas de projets secrets pour le gouvernement ou le secteur privé (même si elles ont des occasions limitées de participer à des activités de recherche appliquée ou commanditée). Elles se concentrent plutôt sur les travaux qui vont (ou pourraient potentiellement) toucher le grand public.

7. Autonomie des universités : indépendantes des organismes provinciaux

Les universités, bien que financées ou soutenues par des fonds publics, ne sont ni des organismes officiels ni des entités rattachées aux gouvernements provinciaux ou fédéral. Elles font partie du secteur public, et bien que le gouvernement puisse nommer certain.e.s membres de leurs conseils d’administration (généralement en minorité), les universités n’ont pas le statut d’organismes gouvernementaux ou de ministères. En règle générale, l’autonomie institutionnelle est une caractéristique fondamentale du système canadien, ce qui les rend souvent indépendantes du contrôle et des mandats directs du gouvernement.

Par conséquent, du point de vue juridique, cette autonomie demeure dans le fait que les universités ne sont généralement pas assujetties à la Charte canadienne des droits et libertés, qui protège les droits fondamentaux comme la liberté d’expression de l’ingérence d’acteurs gouvernementaux ou non gouvernementaux exécutant les politiques gouvernementales. Il faut noter que ce principe est parfois remis en question. En 2020, la Cour d’appel de l’Alberta a conclu que la mission d’enseignement des universités albertaines (qui ne peut se faire sans liberté d’expression) relève des politiques gouvernementales; ces établissements sont donc tenus de respecter la liberté d’expression des étudiant.e.s sur le campus prévue dans la Charte canadienne des droits et libertés. Au moment de la publication, cette décision reste exceptionnelle.

En revanche, les collèges et instituts canadiens (comme l’Institut de technologie de la Colombie-Britannique) sont souvent plus contrôlés et réglementés (certains sont même expressément établis en tant que mandataires de Sa Majesté) et plus susceptibles d’être soumis à la Charte.

Pour cette raison et bien d’autres, une université n’a pas le même statut qu’un collège ou un institut pour les avocat.e.s et les autres professionnel.le.s du droit. Ces termes ne sont donc ni synonymes ni interchangeables au Canada, contrairement à l’usage de beaucoup d’autres pays, en particulier les États-Unis.

8. Une syndicalisation très courante

Le personnel enseignant et administratif des universités, collèges et instituts publics est souvent syndiqué. Par conséquent, les conventions collectives sont des documents clés dans la gouvernance et l’administration ainsi que l’établissement des droits et responsabilités juridiques.

9. Des droits d’auteur détenus par les professeur.e.s

En général, les membres du corps professoral possèdent des droits d’auteur sur leurs travaux et ont le droit de bénéficier (en totalité ou en partie) de toute invention brevetable qui en résulte.

10. Avocat.e, quel.le avocat.e?

Les avocat.e.s (internes et externes) se mêlent rarement des affaires courantes ou des diverses demandes et approbations, universitaires ou non, liées aux ministères gouvernementaux. Ils et elles peuvent évidemment fournir des conseils juridiques au besoin, mais ne sont pas responsables des dossiers. Les universités se dotent habituellement de leur propre service à l’interne et font appel à des sociétés de conseils en relations gouvernementales plutôt qu’à des cabinets d’avocat.e.s.

En effet, la culture canadienne est moins litigieuse et légaliste qu’aux États-Unis, par exemple, où les étudiant.e.s ont intenté plus de 300 actions collectives contre les collèges et universités en raison des perturbations et des fermetures de campus liées à la pandémie de COVID-19. Au Canada, il n’y a eu qu’un recours de faible ampleur contre une université, limité aux frais de stationnement.

Comme vous pouvez le constater, tout « top 10 » est nécessairement trop limité et arbitraire – il existe de nombreux autres aspects uniques et idiosyncrasiques du système juridique et postsecondaire canadien qui vous laisseraient certainement perplexes. N’hésitez pas à nous en faire part dans les commentaires ou par courriel.

À PROPOS MICHAL JAWORSKI
Michal Jaworski est associé et coprésident du groupe de pratique en éducation supérieure à Clark Wilson LLP à Vancouver. Il assumait auparavant les fonctions de conseiller juridique à l’Université de la Colombie-Britannique.
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