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L’université sous la loupe

Prenons une grande respiration

La rentrée 2021 sera celle de tous les dangers, certes, mais avec de grands dangers viennent de grandes occasions.

par ALEXANDRE BEAUPRÉ-LAVALLÉE | 09 SEP 21

Bon retour de vacances, tout le monde! Du moins, bon retour à celles et à ceux d’entre vous qui avez pu prendre des vacances.

La semaine dernière, une collègue m’a dit qu’elle pensait que nous devions profiter du calme que nous avions la chance de vivre. J’ai été un peu ébahi :

– Calme? Quel calme? C’est la folie totale et complète!

– On est dans l’œil du cyclone, Alex. C’était la folie avant, ça va être la folie la semaine prochaine, mais pendant quelques jours… ça va être fou, mais moins fou que ça pourrait être. Il nous restera à prendre une grande respiration lundi soir [le soir du 6 septembre, fête du Travail] et à affronter le reste de la tempête.

Je n’aurais pas pu mieux décrire la situation de cette rentrée 2021. C’est ma huitième rentrée comme professeur et ma dix-neuvième depuis mon entrée à l’université… et je n’ai jamais observé de telles contradictions. Si vous êtes allés faire un tour sur votre campus, vous y avez probablement reniflé un savant mélange d’excitation, de soulagement, d’anticipation et de peur.

Les changements créent de l’incertitude

Même si l’on n’avait pas à penser à une pandémie (je vous entends déjà demander « hey le génie, comment peut-on penser à autre chose? »), ce serait une session d’automne marquée par le changement politique. Si la campagne fédérale se concentre sur la pandémie et, à certains endroits, sur la répartition des responsabilités entre Ottawa et les provinces, quelques promesses ont néanmoins porté sur l’enseignement supérieur. Le Nouveau Parti démocratique s’est engagé à éliminer les intérêts sur les prêts étudiants au niveau fédéral. Les Libéraux veulent créer un seuil de revenu minimal pour le remboursement des prêts étudiants, en plus de financer l’embauche de 1 200 professionnels en santé mentale au postsecondaire. La recherche est absente des discours, de même que les éventuels impacts qu’aura le retour à l’équilibre budgétaire sur les transferts aux provinces. Sans vouloir ressortir des fantômes du placard, souvenons-nous de la réforme Axwhorty, dans les années 1990.

L’incertitude crée la peur

Oui, il y a la pandémie. Non, nous ne sommes pas certains que les mesures mises en place seront suffisantes pour réfréner la montée de la quatrième vague et/ou du variant Delta. Plusieurs questions sanitaires demeurent en suspens; malgré toute la confiance que l’on se doit d’accorder aux experts de la santé publique – experts formés par nos universités, faut-il le rappeler – certaines questions demeurent légitimes sans être conspirationnistes ou antivax. La population étudiante est-elle assez immunisée? Le retour en présentiel est-il assez bien encadré pour assurer une protection raisonnable des personnes? Qu’est-ce qui constitue une « protection raisonnable »?

Au-delà de la simple question sanitaire, les universités n’échapperont pas à un questionnement plus politique, voire éthique. L’Université est une institution au sein de laquelle se tiennent régulièrement (certains diraient : en permanence) des débats de société fondamentaux. Comment s’y déroulera celui sur la liberté de fréquenter un établissement universitaire en fonction de son état vaccinal? Devrait-on exiger l’utilisation des passeports vaccinaux pour revenir sur le campus?

La pandémie éclipse aussi d’autres enjeux qui ne disparaissent pas : ils sont simplement dans l’angle mort du discours public. Quelques-uns font l’objet de promesses électorales, comme la santé mentale, la réconciliation avec les Premiers Peuples et l’avenir de l’enseignement universitaire francophone dans le Nord (la saga Laurentienne-Sudbury) et le Sud (l’Université de l’Ontario français) de l’Ontario. Un autre, la liberté universitaire, fait l’objet d’une commission d’étude gouvernementale au Québec. On y discute notamment de la possibilité de légiférer au sujet de la liberté d’enseignement.

Tout cela est fort louable. Néanmoins, souvenons-nous que dans cet angle mort se trouvent plusieurs enjeux fondamentaux qui continueront de mûrir (espérons que ce ne sera pas « de pourrir ») pendant que nous règlerons la question de la pandémie. Sans en faire une liste exhaustive, pensons à la santé mentale au sein des personnels universitaires, à la lutte aux agressions à caractère sexuel sur les campus, aux conséquences à moyen terme des déficits monstres encourus par les gouvernements pour faire face à la pandémie, aux pressions du manque de main-d’œuvre sur le marché universitaire, ou à l’impact résiduel du succès de l’enseignement à distance sur l’organisation des activités universitaires et sur la demande étudiante.

La peur mène au côté obscur

C’était ce sous-titre, ou « the only thing we have to fear is fear itself ».

Nous n’en sommes pas encore à l’étape des leçons à retenir. Nous en sommes encore aux étapes d’apprendre et d’éteindre des feux. Contrairement à l’automne dernier, cette rentrée n’est plus une immense inconnue. Elle est toujours une inconnue, mais nous avons collectivement réussi à en tracer les contours. Avec un peu de chance et en se serrant les coudes au sein de nos communautés, ce devrait être la dernière rentrée du genre. On a réussi en 2020 : il n’y a aucune raison que l’on ne réussisse pas aussi cet automne. Plusieurs croient apercevoir la lumière au bout du tunnel. Ne cédons pas à la peur.

Avant de foncer à nouveau tête première dans le quasi-inconnu, prenons tous et toutes une grande respiration… et espérons que lumière que l’on voit poindre au bout du tunnel n’est pas un train de marchandise lancé à grande vitesse vers nous!

À PROPOS ALEXANDRE BEAUPRÉ-LAVALLÉE
Alexandre Beaupré-Lavallée
Alexandre Beaupré-Lavallée est professeur adjoint en administration de l’enseignement supérieur à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal et chercheur régulier au Laboratoire interdisciplinaire de recherche sur l’enseignement supérieur.
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