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Parole aux leaders

L’enseignement supérieur au Canada est à la croisée des chemins

Creusets traditionnels des savoirs, les universités pourront-elles encore jouer ce rôle dans l’avenir?

par SANNI YAYA | 07 SEP 23

La saison des collations des grades est terminée. Des milliers de personnes finissantes, la tête bien pleine, le cœur fier et les yeux brillants d’aspiration se projettent vers l’avenir avec confiance. Une fois de plus, nos établissements ont rempli leur fonction fondamentale, celle de former des citoyennes et des citoyens aptes à contribuer à l’édification de sociétés plus justes et plus prospères. Une mission herculéenne.

Alors qu’il déroule le tapis de l’avenir devant les pas des étudiantes et des étudiants, l’enseignement supérieur canadien mène des combats de tous les instants et sur tous les fronts pour se maintenir et rester pertinent face aux nombreux défis émergents de notre monde.

D’abord, il y a la baisse de la fréquentation du postsecondaire. Même si la pandémie qui avait transformé nos campus en déserts est désormais derrière nous, cette baisse semble perdurer. Il y a quelques mois, Higher Education Strategy Associates alertait sur l’effondrement des inscriptions dans le postsecondaire, s’appuyant sur un graphique montrant une courbe invariablement descendante depuis 2011. Ce déclin pourrait s’expliquer par la hausse constante des droits universitaires, particulièrement en Nouvelle-Écosse, en Ontario et en Colombie-Britannique. Selon Le Devoir, il serait également la conséquence de la forte demande en main-d’œuvre postpandémique qui aurait absorbé une partie des candidats et candidates aux études supérieures.

À cela s’ajoute une chute de l’intérêt pour les diplômes universitaires, parfois perçus comme étant insuffisants pour obtenir un emploi de qualité. Inquiètes du faible retour sur investissement de ces études en termes d’emploi et de revenus, de nombreuses personnes privilégient des formations plus spécialisées et plus adaptées au marché du travail dont les attentes évoluent rapidement en raison des avancées technologiques, des changements économiques et des tendances émergentes. Certains diplômes universitaires peuvent donc ne plus être en phase avec ces évolutions, sans compter que dans certaines disciplines, il peut y avoir une surabondance de personnes diplômées par rapport aux postes disponibles. Cela se confirme par une propension récente à la réorientation vers des programmes professionnels et techniques en pénurie de main-d’œuvre, plutôt que vers des filières universitaires traditionnelles.

En outre, le Canada connaît actuellement un niveau record de dette étudiante. Selon la Fédération canadienne des étudiantes et étudiants, les prêts contractés auprès du gouvernement fédéral s’élevaient à 22,3 milliards de dollars en 2020, dépassant de loin le plafond fixé par la Loi fédérale sur l’aide financière aux étudiants. Statistique Canada rapporte qu’environ 60 % des personnes diplômées du postsecondaire sont concernées par ces prêts. Après leurs études, elles doivent encore faire face à des dettes parfois faramineuses : jusqu’à 100 000 $, selon la durée des études! Si elles bénéficient d’une période de grâce de six mois après leurs études pour rembourser progressivement leurs prêts, ces personnes ressentent néanmoins une pression supplémentaire sur leur bien-être financier. La perspective de cette dette peut aussi constituer un facteur de dissuasion pour les élèves du secondaire issus des milieux défavorisés, les minorités ethniques et les Autochtones.

D’autre part, le déficit budgétaire structurel des universités continue de se creuser alors qu’elles font déjà face à un sous-financement public chronique. Selon l’OCDE, le Canada se classe parmi les pays où les dépenses publiques dans l’enseignement supérieur sont inférieures à la moyenne. Pour pallier le manque à gagner, des universités sont contraintes de trouver des revenus de substitution : elles exploitent à foison le recrutement étudiant à l’international, parallèlement à l’augmentation des droits de scolarité. Le maintien d’un corps enseignant qualifié, la modernisation des infrastructures et l’évolution de l’offre de programmes d’études pertinents exigeant un budget imposant, des universités se tournent vers le financement privé, au risque d’y assujettir l’orientation de leur enseignement et de leur recherche, mettant en péril l’essence même de leur fonctionnement : leur indépendance.

Ceci pose avec acuité la question de la liberté académique. Bien qu’au Canada la liberté académique soit généralement respectée, certains incidents isolés l’ont remise en question. Par exemple, des conférences ou des événements universitaires ont été annulés ou censurés en raison d’une certaine opposition aux sujets abordés ou aux opinions exprimées, ou encore des universitaires ont été censurés, licenciés ou sanctionnés en raison de leurs recherches ou de leurs postures politiques. Des universitaires se sentent obligés de s’autocensurer par peur des répercussions potentielles sur leur carrière ou leur réputation.

Par ailleurs, le respect de cette liberté académique est directement lié à l’accès public à une diversité d’idées et de perspectives, loin de la fonction purement utilitariste que l’on pourrait associer aux universités. En février dernier, Julien Boudon de l’Université Paris-Saclay dénonçait le risque de « voir l’université cesser d’être universelle », face aux pouvoirs publics qui, selon lui, tentaient de mettre fin à l’accessibilité pour toutes et tous à l’enseignement supérieur. Outre la formation professionnelle, les universités offrent également une formation holistique qui favorise l’acquisition de compétences transférables telles que la pensée critique, la communication, la résolution de problèmes, la collaboration et le leadership. Autant d’atouts indispensables en cette ère de révolution numérique.

Enfin, la mobilité universitaire occupe une place vitale dans l’évolution des connaissances qui sont dynamisées par les programmes d’échanges et les partenariats entre établissements d’enseignement supérieur et de recherche. Cela passe notamment par l’internationalisation des campus. Toutefois, le poids financier de l’internationalisation et surtout les refus considérables de visas, aux personnes désireuses d’étudier ou de faire de la recherche, donnent un sérieux coup de frein à la mobilité. Cette mobilité est pourtant capitale à l’avancement de la recherche, car elle permet d’exploiter des ressources complémentaires, de partager des idées et d’accélérer la production de résultats par l’élargissement de l’accès à des infrastructures de pointe et à la publication dans des journaux de choix.

En cette période de crise, comment les universités peuvent-elles se réinventer pour faire face à l’avenir avec résilience et confiance? Plusieurs approches sont possibles :

Transformer la crise en potentiel : Le bouleversement qui agite le monde et influence l’enseignement supérieur est plus qu’un défi ponctuel, c’est un cycle permanent. Les universités doivent se mettre au diapason avec leur temps non seulement en adoptant les nouvelles technologies, mais aussi en modernisant leurs pratiques pour les rendre plus agiles et capables de suivre les changements. Cela implique d’embrasser des orientations, des idées et des façons de faire innovantes qui seront ensuite proposées aux décideurs et aux entreprises.

Former le leadership de demain : L’importance de former de futurs leaders doit être un objectif universitaire de tous les instants. Les études universitaires ne doivent pas servir uniquement à acquérir des savoirs suffisants pour obtenir un emploi, mais doivent servir d’incubateur pour cultiver les compétences en leadership nécessaires pour changer notre monde, ainsi que la motivation requise pour exercer une influence bénéfique sur la culture et sur les gens.

Établir des partenariats corporatifs et communautaires : la pandémie et les enjeux sociaux qui en ont découlé nous ont appris à faire la distinction entre offrir une expertise universitaire et être un partenaire engagé dans la lutte pour l’avenir. Pour rester pertinentes, les universités doivent adapter leurs formations non seulement aux besoins et aux aspirations de leurs communautés étudiantes, mais aussi contribuer à créer un impact sur la société et sur les communautés qui les entourent en créant des approches novatrices à travers des partenariats corporatifs et communautaires.

Susciter un intérêt renouvelé pour l’enseignement supérieur : Il est temps pour l’enseignement supérieur de se doter de nouvelles orientations. La pandémie a montré que les universités sont aptes à adopter de nouvelles pratiques du jour au lendemain. La flexibilité joue un rôle essentiel dans cette approche et les universités peuvent s’en servir pour ajuster leurs offres à la demande actuelle et future, et de faire évoluer le contenu et le format de leurs formations afin qu’elles restent pertinentes pour les individus, pour les gouvernements et pour l’industrie.

S’adapter à l’évolution démographique et culturelle : Les universités doivent sortir des sentiers battus pour devenir des espaces qui favorisent l’inclusion et l’innovation en prenant le leadership dans l’édification de notre avenir collectif. La démographie du Canada s’accroît et se métamorphose, notamment grâce à l’immigration. Les populations étudiantes représentent ce changement démographique et culturel. Par conséquent, elles doivent donc être au centre des stratégies de croissance des universités et les parcours d’étude doivent s’adapter à ce changement.

Fort de ses traditions millénaires dans la formation de nos têtes pensantes et de son rôle indéniable dans l’évolution de nos sociétés, l’enseignement supérieur est à un carrefour où il doit décider de son destin, face à notre monde en mutation. Pour se maintenir, l’université se doit de se réinventer afin de poursuivre sa fonction sociale, culturelle et éducative. Pour rester pertinente, elle doit aussi renforcer son rôle social dans la promotion du dialogue interdisciplinaire et de la culture d’une compréhension à taille humaine de notre environnement.

À PROPOS SANNI YAYA
Le professeur Sanni Yaya est vice-recteur, International et Francophonie, à l’Université d’Ottawa, titulaire de la Chaire Senghor sur la santé et le développement et membre de la Société royale du Canada.
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