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Parole aux leaders

Vérités internationales et (réconciliation)

Être invitée à présenter le contexte canadien à d’autres pays engagés dans une démarche de réconciliation avec leurs populations autochtones est un grand honneur, mais il ne faut pas perdre de vue que nous sommes encore loin de nous entendre sur les progrès réalisés.

par CYNTHIA WESLEY-ESQUIMAUX | 13 DÉC 23

Le Canada a lancé sa Commission de vérité et réconciliation (CVR) en juin 2008, avec comme commissaires Murray Sinclair, Wilton Littlechild et Marie Wilson. Il a fallu sept ans de consultations et d’assemblées publiques, et un investissement de 60 millions de dollars pour qu’on ait finalement un dialogue digne de ce nom sur les personnes autochtones, qu’on lève le voile sur la question des pensionnats « indiens » et que l’on découvre les tombes anonymes des enfants qui n’ont jamais revu leur maison.

Pendant ces sept années, mon rôle était de mobiliser la jeunesse pour qu’elle prête ses voix et talents à cette grande démarche. Échanges racines canadiennes (ERC) a suscité la participation d’un bon nombre de jeunes pour stimuler l’art, les conversations et même l’organisation d’une assemblée de la vérité et de la réconciliation à Toronto. En 2015, j’ai été désignée témoin honoraire par la Commission. J’œuvre depuis à favoriser le dialogue entre diverses personnes et organisations d’un océan à l’autre. En 2016, le Centre national pour la vérité et la réconciliation à l’Université du Manitoba m’a invitée à faire partie de son cercle de gouvernance, dont j’assume la présidence depuis 2019. La même année, l’Université Lakehead m’a nommée première présidente autochtone de la vérité et de la réconciliation au Canada.

Chacun de ces gestes nous rapproche d’une meilleure compréhension du vécu et de la réalité autochtones par l’État canadien. Ils sont également autant d’inspirations pour la tenue, ailleurs dans le monde, de conversations sur la « vérité » avec les peuples autochtones.

Par exemple, en 2020, j’ai été invitée à participer à des discussions avec le gouvernement finlandais et la Nation Sami à l’amorce de leur propre commission de la vérité. Puis, en octobre dernier, j’ai été invitée à me rendre à Tromso, en Norvège, et à Stockholm, en Suède, pour discuter de vérité et de réconciliation avec des membres de la Nation Sami, des membres de l’Église de Suède ainsi que des commissaires à la vérité, des universitaires sami.e.s, norvégien.ne.s et suédois.es ainsi que les diplomates représentant le Canada dans les deux pays.

J’y ai appris que les événements discriminatoires vécus au Canada avaient leur pendant en Norvège et en Suède. Sous le coup de mandats de « norvégianisation » et de « suédification », les populations autochtones y ont été coupées de leur langue. On s’est en outre ingéré dans la transmission de leurs valeurs culturelles, en plus de contrôler leur accès à la terre, aux médicaments, aux populations de rennes et à leurs propres enfants, ce qui n’est pas sans rappeler ce qui s’est passé ici. En outre, tout indiquait que les commissions de « vérité » allaient y être minées par la même pensée paternaliste et les mêmes impératifs gouvernementaux.

Quelle a été ma contribution? J’ai pris part au congrès « Truth and Reconciliation Processes in Stable Democratic States: Who, How, and What Happens After? », où j’ai présenté ce que les pays nordiques pouvaient apprendre de l’expérience canadienne. Sur l’invitation, il était indiqué que « compte tenu des processus de CVR en cours ou imminents en Suède, en Finlande et au Danemark, les perspectives et les résultats de la CVR au Canada trouvent écho dans toute la région nordique ». J’ai été invitée, avec une collègue, à donner mon avis sur les défis et les bienfaits de la CVR et de ses 94 appels à l’action au Canada. Je suis une personne très franche et j’ai fait de mon mieux pour encourager les nouvelles commissions à élargir leur mandat, à prendre le temps d’écouter l’histoire et les désirs contemporains de la Nation Sami, et à renoncer au besoin de contrôler, de limiter ou de dicter les résultats de leurs démarches.

Je me suis également rendue à Taïwan en novembre dernier, pour y prendre la parole lors d’un congrès organisé par le Conseil des peuples autochtones sur la vérité et la coexistence. Une telle utilisation du concept de coexistence, soit « l’état ou le fait de vivre ou d’exister en même temps ou au même endroit », était nouvelle pour moi, mais je pense qu’elle ouvre des pistes de discussion très intéressantes. Les peuples autochtones contemporains reconnaîtraient sans doute la nécessité d’une coexistence « pacifique » fondée sur les concepts du wampum à deux rangs, du wampum du plat à une cuillère, d’autres outils (dont certains sont antérieurs au premier contact en Amérique) et des traités de paix et d’amitié signés sur la côte Est du Canada.

Je considère ces invitations comme un grand honneur et comme étant représentatives de l’avant-gardisme du Canada dans le rétablissement des relations de nation à nation avec les peuples autochtones. Cependant, nous avons encore un chemin considérable à parcourir avant de pouvoir convenir mutuellement de nos progrès vers la réconciliation, voire la coexistence pacifique. Le Canada s’est engagé dans un processus générationnel et notre capacité à inspirer le dialogue à l’échelle mondiale témoigne de la ténacité des personnes autochtones à non seulement survivre, mais aussi à prospérer et à veiller à ce que la vérité soit reconnue et ne soit jamais oubliée. Miigwetch, Cynthia

À PROPOS CYNTHIA WESLEY-ESQUIMAUX
Cynthia Wesley-Esquimaux
Cynthia Wesley-Esquimaux est la première présidente de la vérité et la réconciliation à l’Université Lakehead.
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