Note de la rédaction (19 décembre 2018) : Le juge de la Cour supérieure du Québec Simon Hébert a homologué le 13 novembre dernier l’entente à l’amiable proposée par l’Université Laval et Copibec mettant ainsi fin au litige. Dans cette entente, l’Université Laval s’est notamment engagée à payer les frais de la licence Copibec couvrant la période de 2017 à 2021.
À moins d’un revirement de dernière minute, l’Université Laval et la Société québécoise de gestion collective des droits de reproduction (Copibec) s’affronteront devant les tribunaux au cours des prochains mois. Au cœur du litige : la notion d’« utilisation équitable » de textes littéraires ou académiques par les universités, leurs enseignants et leurs étudiants, une affaire de 8 millions de dollars.
La Cour d’appel du Québec a donné le feu vert en février dernier à une action collective opposant les auteurs et éditeurs d’œuvres littéraires à l’établissement universitaire de la Vieille capitale. Cette demande, d’abord refusée par la Cour supérieure, fait suite à des modifications apportées à la Loi sur le droit d’auteur, en 2012.
Le monde de l’éducation a alors été ajouté aux secteurs visés par les dispositions portant sur l’« utilisation équitable » d’une œuvre, ce qui a ouvert la porte à une diminution des sommes perçues par Copibec, au Québec, et par Access Copyright dans les autres provinces. Or, ce secteur est la principale source de revenus des deux sociétés canadiennes de droits d’auteurs.
Ce que cela veut dire
Concrètement, cela signifie que les établissements scolaires n’ont plus à payer de droits d’auteur pour les textes reproduits dans des recueils ou manuels, par exemple, et ce dans la mesure où l’utilisation qui en est faite est « équitable ». Ce terme n’est pas défini par la loi.
Se rangeant aux arguments des titulaires de droit, le ministère de l’Éducation, les cégeps et les universités québécoises — exception faite de Laval — ont toutefois accepté de renouveler leur entente avec Copibec en 2017. Mais le montant forfaitaire perçu auprès de chaque étudiant est passé de 22,50 $ à 13,50 $, au palier universitaire, et de 12,40 $ à 10,50 $ au niveau collégial.
Dotée d’une politique qui lui est propre, l’Université Laval est d’avis que la reproduction d’un maximum de 10 % ou d’un chapitre d’un ouvrage constitue une utilisation raisonnable, alors que Copibec juge cette interprétation bien trop large.
C’est par « souci d’assurer une saine gestion des ressources financières, matérielles et technologiques » que l’Université a mis sur pied sa propre politique relative à l’utilisation de l’œuvre d’autrui aux fins des activités d’enseignement, d’apprentissage, de recherche et d’étude. « Elle tient compte du cadre législatif de la modernisation du droit d’auteur au Canada, de l’évolution des technologies de l’information et de l’accessibilité aux ressources pédagogiques numériques », assure la porte-parole Andrée-Anne Stewart.
La directrice générale de Copibec, Frédérique Couette, voit les choses différemment, sans surprise.
« Par son interprétation, Laval met en jeu des revenus très importants pour les titulaires de droit. Et contrairement à ce qu’on peut penser, ce ne sont pas que des revues scientifiques qui sont reproduites, on parle de toute sorte d’œuvres. Les répercussions sont majeures. »
C’est pourquoi Copibec réclame au nom des auteurs et éditeurs pas moins de 8 millions $.
Mais le recours ne fait pas le bonheur de tous les auteurs. C’est le cas du bibliothécaire de l’université Concordia Olivier Charbonneau, auteur de textes publiés, qui s’est désisté du recours. « Malgré ce que Copibec reproche à Laval, celle-ci a dépensé en 2014-15 12,6 millions $ en sources documentaires, dépassée au Québec uniquement par McGill (18,9 millions $) », fait-il valoir.
Ce qui s’est passé à York
Dans les autres provinces, la majorité des établissements postsecondaires ont essentiellement adopté la position de l’Université Laval, entraînant une chute progressive des droits perçus par Access Copyright. L’organisme a lui-même intenté un recours contre l’Université York, pour des raisons semblables.
En juillet, la Cour fédérale a tranché que York n’avait pas le droit de se désaffilier d’Access Copyright et d’imposer ses propres lignes directrices, qui permettaient là encore de reproduire jusqu’à 10 % d’une œuvre protégée, à des fins didactiques.
« Le fait que les directives puissent permettre de copier jusqu’à 100 % du travail d’un auteur particulier, à condition que la copie soit répartie entre différents cours, indique que les directives sont arbitraires et ne sont pas solidement fondées », écrit le juge Michael L. Phelan.
« York n’a pas démontré pourquoi l’aspect quantitatif choisi est équitable. Il n’y a pas d’explications justifiant en quoi 10 %, ou un seul article, ou toute autre limite serait équitable. »
Soulignons que l’Université York entend défendre son interprétation de l’utilisation équitable et a interjeté appel de la décision le 22 septembre dernier.
La décision de la Cour fédérale « amène des balises » pour la suite des choses au Québec, selon Mme Couette.
Jusqu’à présent, toutes les tentatives pour en arriver à un accord hors cours se sont avérées vaines, ajoute-t-elle. Mais elle demeure convaincue que l’Université Laval et les auteurs et éditeurs peuvent s’entendre.
« La balle est dans le camp de l’Université, nous avons proposé à plusieurs reprises de résoudre le litige à l’amiable. On est prêts à discuter avec eux, comme nous l’avons toujours été. »