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Conseils carrière

Le coût réel du financement inadéquat pour les étudiant.e.s aux cycles supérieurs

Un rapport sur l’avenir du doctorat en histoire nous apprend que bon nombre d’étudiant.e.s vivent sous le seuil de la pauvreté.

par WILL LANGFORD & CATHERINE CARSTAIRS | 19 JAN 23

Au printemps dernier, plus de 7 000 scientifiques et ingénieur.e.s signaient une lettre pour demander au gouvernement fédéral d’augmenter l’enveloppe de financement du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG) pour les étudiant.e.s aux cycles supérieurs et les postdoctorant.e.s. On y faisait valoir que les bourses offertes à ces leaders émergent.e.s avaient chuté bien en deçà du seuil de la pauvreté, ce qui, affirmait-on, mettait en péril la capacité à trouver les solutions nécessaires pour faire face aux « changements climatiques, à la pollution par les plastiques et à l’utilisation durable des ressources naturelles », ainsi qu’à prévenir « de futures pandémies ».

Les personnes qui reçoivent des bourses de doctorat du Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) seront celles qui nous guideront comme société sur les questions de gouvernance, de combat contre la désinformation, de l’histoire collective que nous choisissons de raconter et de création de paradigmes plus égalitaires. Et pourtant, là aussi, l’enveloppe offerte est aujourd’hui bien en dessous du seuil de la pauvreté.

L’automne dernier, le groupe de travail sur l’avenir du doctorat en histoire au Canada de la Société historique du Canada a publié son rapport final. Notre comité se demandait comment faire évoluer la thèse pour l’arrimer aux standards universitaires actuels, tels que le mouvement vers des travaux de recherche davantage multidisciplinaires, interdisciplinaires et transdisciplinaires. Nous voulions aussi voir comment décoloniser nos façons de faire, écourter le délai d’achèvement et améliorer les pratiques d’encadrement aux cycles supérieurs – mais encore et toujours, nous revenions à la question du financement.

Stagnation des bourses d’études

La valeur des bourses d’études offertes par les trois organismes subventionnaires de la recherche n’a pas augmenté depuis longtemps. La valeur de la bourse de doctorat du CRSH a été haussée à 20 000 dollars il y a 20 ans et n’a pas augmenté depuis. Le Programme de bourses d’études supérieures du Canada (BESC) a été créé en 2003 et le montant offert n’a pas changé depuis, ce qui veut dire qu’avec l’inflation, la bourse a perdu le tiers de sa valeur. Tout ça, alors que les droits de scolarité hors Québec montent en flèche. Il faut absolument augmenter le nombre de bourses distribuées et leur valeur.


Lire aussi : Bourses d’études supérieures : un manque à gagner de plus de 8 500 $


Et pourtant, les étudiant.e.s qui obtiennent une bourse du CRSH ont bien de la chance. En 2020-2021, seul.e.s 38 doctorant.e.s en histoire ont obtenu une bourse du CRSH et seul.e.s 32 en ont obtenu une du BESC. En sciences humaines et sociales, la plupart des étudiant.e.s aux cycles supérieurs ne peuvent compter que sur un budget encore plus maigre pour vivre et doivent combiner salaire d’enseignement et bourses départementales. Le comité s’est penché sur le financement minimum garanti au doctorat dans différents programmes au pays. L’enquête a démontré que si la presque totalité des programmes garantit un financement minimum sous une forme ou une autre, ce financement est tel que les étudiant.e.s doivent vivre bien en dessous du seuil de la pauvreté de leur ville respective.

La ligne en haut du graphique correspond à la mesure du panier de consommation (MPC; le seuil de la pauvreté) selon la ville. Le graphique est en anglais dans le rapport.

La plupart des programmes de doctorat en histoire garantissent un financement minimum de quatre ans. Les départements de plusieurs universités (Université McGill, Université de Victoria, Université de Calgary et Université de Toronto) sont passés à un financement de cinq ans, alors que l’Université York offre un financement de six ans. Quelques autres programmes offrent un financement partiel de cinq ans. Cependant, l’Université Concordia ne s’engage que pour deux ans, et l’Université du Québec à Montréal et l’Université de Montréal, pour trois ans. Le financement garanti varie et peu atteindre jusqu’à environ 27 000 dollars (cela comprend les salaires d’auxiliaires d’enseignement et les bourses d’études). Une grande partie du financement garanti sert à payer les droits de scolarité, les frais universitaires et d’associations étudiantes, les primes d’assurance maladie et dentaire et, souvent, le coût du laissez-passer de transport en commun étudiant.

Comme on peut l’observer dans le graphique plus haut, une fois les droits de scolarité et les autres frais déduits du financement minimum, aucun programme de doctorat en histoire au pays n’offre plus de 20 000 dollars par année, ce qui est bien en deçà du coût de la vie dans n’importe quelle ville canadienne. De plus, les revenus gagnés comme auxiliaire d’enseignement, qui composent la majorité des revenus annuels minimums nets des étudiant.e.s, sont imposables, ce qui allège encore davantage leur portefeuille. Renoncer à ces tâches pour voyager (pour faire des travaux de recherche, quitter le campus, ou toute autre raison) transformerait leurs revenus de façon considérable.

À titre d’exemple, jetons un coup d’œil à la situation d’un.e étudiant.e à l’Université de Toronto, qui a le plus gros programme de deuxième cycle en histoire du pays et qui offre le meilleur financement.

 

Financement garanti : 27 055 $
Droits de scolarité : 6 210 $
Frais accessoires : 1 844 $
Coût estimé du loyer à Toronto : 12 000 $ par année
Coût de la vie à Toronto (sans le loyer) : 15 804 $

Même en payant le minimum possible de 1 000 dollars de loyer par mois (ce qui correspond à une chambre dans une colocation, selon l’Université de Toronto), les dépenses excèdent de près de 9 000 dollars le financement minimum garanti annuellement.

Une question d’équité et de santé mentale

Partout au pays, les doctorant.e.s prennent plus de temps à terminer leurs études que le temps prévu par le financement garanti. La moyenne pour achever un doctorat en histoire est de six ans et sept mois. La médiane est de six ans et un mois. Une fois les années de financement garanti écoulées, les étudiant.e.s doivent courir les contrats (charges de cours ou de recherche et autres emplois précaires) pour joindre les deux bouts en terminant leur thèse. Notre comité recommande de raccourcir le temps nécessaire pour achever le programme, mais il reste que le sous-financement est un enjeu de pauvreté, de diversité, d’équité, d’inclusion et de santé mentale.

Pour s’autofinancer dans quelque mesure que ce soit, les étudiant.e.s doivent piger dans leurs économies familiales, emprunter de l’argent ou travailler un nombre d’heures qui nuit à leurs études. Or, il s’agit d’un frein pour de nombreuses personnes. Il faut absolument améliorer le financement afin que des étudiant.e.s aux profils plus diversifiés (notamment les personnes autochtones, noires et celles qui sont les premières de leur famille à fréquenter l’université) puissent accéder aux programmes de doctorat, contribuer aux nouveaux savoirs et innover en recherche.

Un financement adéquat est aussi essentiel pour résoudre la crise en santé mentale qui sévit aux cycles supérieurs. Selon le rapport Formés pour réussir du Conseil des académies canadiennes, les étudiant.e.s aux cycles supérieurs sont six fois plus susceptibles que le reste de la population de souffrir de dépression et d’anxiété. En fin de programme, la probabilité d’avoir des symptômes modérés à sévère augmente d’autant plus. L’une des personnes qui dirigent ces programmes avec qui nous avons discuté dans le cadre de notre étude se désignait comme « sa majesté du désespoir », en lien avec les difficultés vécues par les étudiant.e.s à la fin de leur programme. Les étudiant.e.s avec qui nous avons parlé nous ont souligné à quel point les difficultés financières jouaient sur leur santé mentale. Comme pays, nous nous devons de mieux appuyer nos étudiant.e.s en histoire et, plus globalement, en sciences humaines et sociales.

Will Langford est professeur d’histoire à l’Université Dalhousie. Catherine Carstairs est professeure d’histoire à l’Université de Guelph.

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