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L’universitaire épanoui

Le syndrome de l’imposteur est-il une imposture?

Quand on ne se sent pas à la hauteur, il est important de comprendre les causes systémiques de ce sentiment.

par BAILEY SOUSA & ALEXANDER CLARK | 06 OCT 23

Dans le milieu universitaire, les occasions de douter de soi sont nombreuses. Et quand on veut être un pionnier ou une pionnière dans son domaine, il faut se préparer à voir ses idées rejetées. Après tout, c’est un milieu complexe, exigeant et hétérogène, théâtre d’innovations spectaculaires, mais aussi d’un conservatisme qui l’est tout autant.

Malgré des efforts sincères et une grande détermination, nos pairs, collègues, organismes subventionnaires et étudiant.e.s semblent parfois n’avoir qu’un message : notre travail n’est jamais assez bon. Alors quand la réussite nous sourit, il est important de se rappeler à quel point elle est rare et difficile à obtenir dans notre milieu.

Par contre, la réussite peut elle-même entraîner un sentiment paralysant : celui de ne pas être à sa place. On doute alors de la validité de notre travail et on craint d’être démasqué.e. Depuis la fin des années 1970, on appelle couramment « syndrome de l’imposteur » ce décalage entre la réussite et la perception de soi. Un nombre incalculable d’articles et de publications indiquent que ce phénomène affecte les personnes les plus performantes.

Selon Joel Bothello et Thomas Roulet, deux chercheurs spécialisés dans le monde de la gestion, certain.e.s universitaires en montrent des signes, minimisant leurs réussites ou les attribuant à la chance plutôt qu’à la compétence. Lorsqu’il s’envenime, ce phénomène peut causer une profonde peur existentielle : celle de voir le leurre mis au jour et de subir le rejet, même après une longue et brillante carrière.

Bien des universitaires reconnaissent les sensations associées au syndrome de l’imposteur. Ce phénomène peut donc sembler intuitivement aussi « réel » que les émotions liées à la honte de la réussite ressenties par nombre d’entre nous.

Pourtant, en examinant l’histoire de la recherche sur le syndrome de l’imposteur, Ruchika Tulshyan et Jodi-Ann Burey jettent un regard critique sur ce concept. La recherche dans ce domaine a commencé il y a 50 ans, à une époque où le racisme et le classisme systémiques étaient absents des réflexions. De même, la recherche sur le syndrome passait sous silence les femmes, les personnes de couleur et une foule d’activités professionnelles. Et effectivement, l’article de M. Bothello et de M. Roulet n’aborde aucunement les questions de sexe, de genre ou de race.

Le syndrome de l’imposteur pourrait-il être néfaste? Se pourrait-il qu’il n’existe tout simplement pas? Tout comme le discours qui prévaut sur l’importance de prendre soin de soi pour éviter le surmenage peut être vu comme imposant aux personnes marginalisées des objectifs irréalistes susceptibles d’entraîner de la culpabilisation, le concept du syndrome de l’imposteur fait en sorte que des failles systémiques profondes sont vues comme une faiblesse psychologique individuelle qu’il faut rectifier. Mme Tulshyan et Mme Burey posent la question :

Le « syndrome de l’imposteur » n’est-il qu’un autre moyen de faire en sorte que les personnes marginalisées, aux prises avec des inégalités systématiques, aient une perception encore plus mauvaise d’elles-mêmes? […] [Il dirige] la réflexion sur les défauts à corriger chez les femmes qui travaillent plutôt que sur les failles à combler dans les milieux où elles travaillent.

Assurément, les universités sont des milieux où règnent depuis longtemps des inégalités systémiques et des préjugés à l’endroit du travail des personnes marginalisées (dont les femmes), présenté à tort comme n’étant pas aussi solide que celui de leurs collègues. Au moment de financer un projet de recherche ou d’accorder une promotion, des critères quantitatifs sont appliqués : on confond longueur du curriculum vitæ, performance et qualité du travail.

Comment faire pour reconnaître et atténuer les émotions liées au syndrome de l’imposteur, tout en admettant l’existence des préjugés et de la discrimination systémique qui sont à l’origine d’inégalités dans le milieu universitaire? Les deux phénomènes sont réels.

Tout d’abord, lors des discussions entre professeur.e.s et étudiant.e.s au sujet du syndrome de l’imposteur dans le travail universitaire, il est important de reconnaître les liens entre le syndrome, les préjugés et la discrimination systémique. Cela aurait pour effet d’atténuer la honte qui vient parfois aggraver le syndrome de l’imposteur et de rediriger l’attention et l’action sur les inégalités et les préjugés qui sont présents partout dans le milieu universitaire.

Ensuite, par la discussion dirigée, mentor.e.s et pairs peuvent encourager l’introspection et l’exploration des origines de cette puissante et paradoxale peur qui se manifeste parfois quand on touche à la réussite. Plonge-t-elle ses racines dans la discrimination et les épreuves subies au sein de certains systèmes? Il est essentiel de reconnaître les expériences vécues et d’en discuter ouvertement.

Quand surviennent des symptômes aigus du syndrome de l’imposteur, essayez de vous percevoir comme si vous étiez une autre personne, de façon à prendre du recul par rapport à vos réalisations. Les affirmations positives peuvent aussi aider à combattre les pensées enracinées dans le syndrome de l’imposteur. Et évidemment, comme nous l’avons souvent recommandé dans nos articles, cultivez une mentalité constructive pour mettre l’accent sur l’effort et l’apprentissage continu, sans vous comparer aux autres.


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Mais il faut aussi mettre en place des mesures concertées pour promouvoir les pratiques d’évaluation qui ne privilégient pas excessivement un certain type de résultat ou d’approche. C’est en défendant certains principes qu’on favorisera la diversité. Chaque université canadienne doit adopter les principes de la Déclaration de San Francisco sur l’évaluation de la recherche (DORA), qui soulignent la valeur de la diversité et l’importance des indicateurs qualitatifs et quantitatifs à l’égard des retombées des travaux de recherche.

Où que vous en soyez dans votre carrière universitaire, sachez que les émotions liées au syndrome de l’imposteur sont très réelles. Et que c’est en comprenant mieux l’effet des préjugés et des inégalités systémiques, et en discutant ouvertement de ce sujet, qu’il sera possible d’en réduire la prévalence.

À PROPOS BAILEY SOUSA & ALEXANDER CLARK
Bailey Sousa & Alexander Clark
Alexander Clark est recteur de l’Université Athabasca depuis février 2023. Bailey Sousa, habituellement à l’emploi de l’Université de l’Alberta, est actuellement en détachement auprès du ministère de l’Enseignement supérieur de l’Alberta. Ils ont cofondé l’entreprise The Effective, Successful, Happy Academic et cosignent le livre How to Be a Happy Academic (Sage: London, 2018). Ils ont une passion commune pour l’efficacité et l’aspiration dans le travail universitaire.
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