Passer au contenu principal
Lu pour vous

La formation de base des programmes de 3e cycle devrait-elle être réformée?

Dans leur livre The New PhD: How to Build a Better Graduate Education, les professeurs Leonard Cassuto et Robert Weisbuch argumentent que la scolarité de doctorat gagnerait à être élargie.

par YVES LABERGE | 30 JAN 24

Les ouvrages sur l’administration de l’enseignement supérieur sont relativement rares de ce côté-ci de la frontière, mais ceux publiés aux États-Unis peuvent quelquefois devenir une inspiration et proposer des pistes de solution parfaitement appropriées pour le contexte canadien. Dans leur livre The New PhD: How to Build a Better Graduate Education, les professeurs Leonard Cassuto et Robert Weisbuch partent d’un constat amer, difficile à admettre pour les universités, mais néanmoins réaliste : plus de la moitié des doctorant.e.s ne termineront jamais leur thèse, et par la suite, parmi ces diplômé.e.s, moins de la moitié pourront enfin trouver le poste permanent, si longtemps convoité, de professeur.e d’université. C’est le point de départ de leur argumentaire. Pire encore, les chiffres montrent que la tendance des emplois disponibles pour les diplômé.e.s du troisième cycle irait dans la mauvaise direction, et que de moins en moins de titulaires de doctorat pourront obtenir un poste permanent de professeur.e dans une université aux États-Unis; la probabilité de ne jamais trouver de poste régulier était de 65 % en 2016, et d’après le professeur Jacques Berlinerblau, celle-ci pourrait monter à 75 % dans quelques années. 

Cette triste réalité, confirmée par des statistiques pour les États-Unis, pourrait sans doute se rapprocher de la situation canadienne, mais les coauteurs n’en font évidemment pas mention; ils se cantonnent aux données américaines et en traitent avec autorité et lucidité, dès les premières pages. En plus de leurs travaux universitaires respectifs, M. Cassuto contribue régulièrement au Chronicle of Higher Education (l’équivalent étatsunien du magazine University Affairs/Affaires universitaires) tandis que M. Weisbuch a été doyen de faculté, puis président de la Woodrow Wilson National Fellowship Foundation. 

Que faire? Les coauteurs proposent d’abord de réformer la formation de base offerte dans les programmes de 3e cycle universitaire afin de rendre les étudiant.e.s aux cycles supérieurs plus versatiles et plus aptes à occuper des emplois diversifiés dans un monde où l’éducation peut tout aussi bien être survalorisée ou au contraire non reconnue, dépendamment des milieux. Naturellement, ces deux réformateurs ont rencontré une multitude d’obstacles et d’objections de la part d’universitaires persuadé.e.s que le système actuel était le meilleur, qu’il s’était beaucoup amélioré, et qu’il ne devrait pas changer radicalement. Les auteurs notent que l’inertie, la résistance et l’immobilisme continuent aujourd’hui à être opposés au besoin – largement reconnu – d’effectuer des changements essentiels. C’est sans doute parce que les personnes qui perdent dans ce système, celles qui étaient disqualifiées, n’avaient pas les moyens pour faire entendre leur voix auprès des décisionnaires qui avaient pu profiter du système en place. La série de réformes proposées ici ne signifie pas d’ajouter une charge de travail ou d’imposer davantage de cours et séminaires aux doctorant.e.s, qui sont généralement débordé.e.s et qui souvent peinent à terminer leur thèse en moins de huit ans. Il s’agit plutôt de prévoir et de planifier un « Plan B », au cas où l’on ne trouverait pas de poste régulier : il faut acquérir d’autres qualifications et des aptitudes plus pratiques.  

Le diagnostic apporté par MM. Cassuto et Weisbuch est éloquent, mais aussi dérangeant : c’est la génération actuellement bien assise dans les postes permanents des universités qui a maintenu un système souvent illogique ou contreproductif qui dénigre subtilement mais tenacement l’enseignement pour survaloriser la recherche, les publications et les subventions. Les coauteurs admettent candidement faire partie du problème, mais au moins, ils sont conscients du fait de contribuer à reproduire et perpétuer ce système. Ils reconnaissent que ce sont d’eux que les étudiant.e.s aux cycles supérieurs apprennent que l’enseignement est une « charge » alors que la recherche est plutôt une chance, une « occasion à saisir », la voie royale pour se valoriser en tant que chercheur accompli et reconnu.   

Loin de tout condamner aveuglément, MM. Cassuto et Weisbuch signalent de nombreuses pistes, initiatives et solutions innovantes qu’ils ont pu observer dans certaines facultés, et pas forcément dans les universités les plus prestigieuses. Il faut au contraire cesser d’imiter les « grandes universités » dont la réussite dépend d’abord de leur financement disproportionné ou de leur réputation, et pas toujours de leur originalité. Pour illustrer le concept d’institutions consacrées qui sont aussi capables d’innover, de motiver et de valoriser les doctorant.e.s, les coauteurs donnent l’exemple de la doyenne de l’Université privée d’Émory, à Atlanta, Lisa Tedesco, qualifiée du titre enviable de « Empowered Dean ». 

Il est difficile de s’imaginer que ce livre, pertinent et salutaire, était au départ un rapport de recherche, tant l’écriture est vivante et le propos enthousiasmant. Il faut saluer la franchise et le courage des coauteurs qui critiquent à la fois les administrations des universités, mais également le système de financement de la recherche, ce qui inclut des fondations et autres organismes paragouvernementaux, en quelque sorte les équivalents américains du Conseil de recherches en sciences humaines et du Fonds de recherche du Québec – Société et culture. Ils osent montrer le décalage flagrant entre les discours officiels et la réalité qui persiste aux plus hauts niveaux de la hiérarchie. Ils soulignent notamment que même si les chefs d’établissement abordent régulièrement le dévouement des professeur.e.s envers l’enseignement, il reste que bien peu de choses ont changé : c’est encore presqu’entièrement les publications qui contribuent au prestige et au statut des universitaires.  

On recommanderait l’acquisition de The New PhD: How to Build a Better Graduate Education à toutes les bibliothèques universitaires, mais on devrait également le trouver sur le bureau de l’ensemble des principales et principaux, recteurs et rectrices, vice-recteurs et vice-rectrices ainsi que sur celui des cadres supérieurs des universités canadiennes. Mais est-ce que les administrateurs et administratrices le liront jusqu’au bout? Sans sauter directement à la conclusion?  

Leonard Cassuto et Robert A. Weisbuch, The New PhD: How to Build a Better Graduate Education.Baltimore, Johns Hopkins University Press, 2021, 400 pages. 

À PROPOS YVES LABERGE
Yves Laberge
Yves Laberge détient un doctorat en sociologie et a fait paraître plus de 1000 critiques de livres dans une trentaine de revues universitaires. Il est membre du comité de lecture de sept revues internationales.
COMMENTAIRES
Laisser un commentaire
University Affairs moderates all comments according to the following guidelines. If approved, comments generally appear within one business day. We may republish particularly insightful remarks in our print edition or elsewhere.

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Click to fill out a quick survey