Les chercheurs doivent désormais rendre rapidement disponibles leurs données de recherche et non seulement leurs résultats. Universités et organismes subventionnaires devront être au rendez-vous pour les accompagner dans cette nouvelle tâche.
« Encore récemment, les chercheurs publiaient leurs résultats de recherche, mais pas les données, rappelle Dre Marie-Josée Hébert, vice-rectrice à la recherche, à la découverte, à la création et à l’innovation de l’Université de Montréal (UdeM). Ils craignaient qu’un tel partage n’aide une équipe de recherche rivale à les devancer. Le passage à une culture de données ouvertes est un changement de paradigme et pose plusieurs défis. »
Ces enjeux ont été discutés récemment à la 10e conférence de l’organisation internationale Research Data Alliance, tenue à l’UdeM, et lors de laquelle Marie-Josée Hébert présentait une allocution. Selon elle, le libre accès aux données comporte d’énormes avantages pour la communauté scientifique. « Cela facilite le contrôle de la qualité des recherches et permet de maximiser l’utilisation des données, avance-t-elle. Un même groupe de données peut être analysé sous des angles divers, avec des méthodologies différentes. Il génère donc plus de connaissances. »
Craintes et défis
Vincent Larivière, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les transformations de la communication savante à l’UdeM, trouve lui aussi bien des vertus aux données ouvertes, comme une transparence accrue des résultats de la recherche et une meilleure visibilité pour les chercheurs, puisque cela multiplie les points d’entrée vers leurs travaux.
Toutefois, cette nouvelle dynamique pose des défis. Certaines revues scientifiques, par exemple, exigent que les données soient dévoilées dès la publication du premier article. Or, elles doivent souvent servir de base à la rédaction d’autres articles du même chercheur. Certains craignent donc qu’en les rendant disponibles si tôt, elles soient utilisées par d’autres pour les devancer.
« Ces craintes sont normales dans un contexte où les chercheurs sont évalués et financés en fonction de leur production, explique Vincent Larivière. Pour contrer cela, certains souhaiteraient que des données puissent être placées sous embargo pendant un an ou deux suivant la parution de l’article. D’autres envisagent une forme d’incitatif, comme une citation rattachée à la réutilisation des données, par exemple. »
Les organismes subventionnaires fédéraux exigent déjà que les résultats de recherches issus de projets qu’ils subventionnent soient rendus publics 12 mois après la publication de l’article. « Cette mesure vise à ménager les éditeurs commerciaux de revues scientifiques, en leur réservant les articles pendant un an, note M. Larivière. Les politiques sur le partage des données devront, elles, répondre aux enjeux des chercheurs. Y aura-t-il un embargo sur les données? Devront-elles être accessibles à tous ou certaines pourront-elles faire l’objet de partages restreints sur des bases de données privées? Il y a plusieurs décisions à prendre. »
Dans tout cela, il serait facile d’oublier que le libre accès aux données n’est pas simple. Il faut assurer une interopérabilité entre des bases de données fonctionnant sur des logiciels différents. « Les chercheurs doivent aussi documenter de manière très précise leurs données, pour que les autres en comprennent la compilation et les variables, ce qui exige temps et ressources », ajoute Vincent Larivière.
Le soutien des universités
Les universités ont un rôle crucial à jouer sur ce plan, croit Marie-Josée Hébert. « Nous devons outiller les chercheurs afin qu’ils planifient la préservation et la diffusion de leurs données en amont de leur projet », dit-elle.
À l’Université de Montréal, les bibliothèques et le bureau de la recherche unissent leurs efforts pour développer des formations et dialoguer avec les chercheurs, afin de mieux comprendre leurs besoins. « Nous comptons sur une équipe très dédiée aux bibliothèques, désireuse de soutenir la communauté universitaire dans la diffusion des résultats de recherche, poursuit Marie-Josée Hébert. Il faut créer des outils complémentaires de formation et d’appui aux chercheurs qui se retrouveront dans les bibliothèques, au bureau de la recherche ou au bureau de la conduite responsable. »
Elle prévient aussi que si les exigences des organismes subventionnaires concernant le libre accès aux données augmentent, y répondre ne se fera pas à coût nul. « C’est un gros travail de plus pour les chercheurs et il faut le financer, conclut-elle. Les chercheurs ne sont pas contre le partage des données, mais il faut les accompagner et leur fournir les ressources pour les aider à bien le faire. »