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Prof ou pas?

Décrocher un emploi universitaire : doit-on faire tapis pour éviter de se faire damer le pion?

Pour bien t’outiller dans ta recherche d’emploi universitaire, il est important de ne pas tomber dans le piège du biais du survivant.

par EMILIE-JADE POLIQUIN | 07 AVRIL 22

Si je te demandais quelle image te vient en tête quand tu penses au fait de soumettre ta candidature pour un poste de professeur, que me répondrais-tu?

Est-ce pour toi un combat d’escrime? Symbole suprême du fair-play.

Au contraire, est-ce un combat d’arts martiaux mixtes où tous les coups (ou presque) sont permis?

Est-ce que tout cela te semble enfin une mascarade, puisque la candidate ou le candidat serait en fait souvent choisi à l’avance? Donc, n’es-tu pas en train de t’imaginer une cérémonie de couronnement?

Je serais bien curieuse de savoir ce que tu t’imagines.

Quelle qu’elle soit, cette image est conditionnée par ton expérience aux cycles supérieurs. Elle est aussi fort révélatrice de ta perception du milieu universitaire et, surtout, de ton optimisme, ou pessimisme, face à tes perspectives d’atteindre le professorat.

Et il y a fort à parier qu’elle choquerait les membres du comité de sélection…

En effet, dans le milieu universitaire, on tend à véhiculer l’idée que cette recherche d’emploi s’apparente à une partie d’échecs.

Un jeu noble, aux règles claires et semblables pour tous.

Un jeu où, peu importe son sexe, son origine ethnique ou sa condition socio-économique, le meilleur gagne toujours : grâce à une intelligence d’exception, des années de pratique acharnée et d’études approfondies.

Un jeu qui symbolise parfaitement la méritocratie que les universités prétendent être.

Or, force est de constater que ce n’est pas du tout le cas. Pour de nombreuses raisons.

Tout d’abord — et ce pourrait être le sujet d’une chronique à part entière —, nous ne sommes pas égaux dans cette quête professorale puisque nous ne partons pas tous de la même ligne de départ. L’université reste encore aujourd’hui un lieu qui perpétue malheureusement de nombreux privilèges.

Mais aussi, parce que, contrairement aux échecs, il n’est pas vrai que tu contrôles tous les paramètres du jeu.

Tenter d’obtenir un poste de professeur, c’est en fait comme jouer une partie de poker.

Et au poker, le meilleur joueur n’est pas toujours celui qui a les meilleures cartes!

Plein d’autres considérations entrent en ligne de compte. Le facteur chance en est un, très souvent occulté dans le monde universitaire. Pourtant, le moment où tu te lanceras à la recherche d’un emploi ou les personnes que tu as croisées sur ta route peuvent avoir une influence déterminante sur tes chances d’y arriver.

Il y a aussi un aspect hautement humain, social, voire psychologique à cette démarche. Ajoutons à cela la notion de tolérance aux risques : certains peuvent se permettre de jouer (et de perdre) bien plus longtemps que d’autres.

Malgré tout, il n’y a pas de mal à vouloir entrer dans la partie. Mais, pour que tu puisses jouer sans risquer de le regretter, il faut simplement connaître tes objectifs et tes limites.

Pour moi, l’image de la partie de poker est également intéressante pour une autre raison. Depuis plusieurs années et encore plus depuis que je m’intéresse à la professionnalisation des étudiants aux cycles supérieurs, j’ai lu ou écouté avec grand intérêt de nombreux témoignages de chercheuses et de chercheurs qui ont aujourd’hui une brillante carrière. J’y ai noté une idée récurrente : sans que cela soit nécessairement exprimé ainsi, le fait d’avoir « joué le tout pour le tout » revient bien souvent comme un leitmotiv. Ils se sont lancés, corps et âme, dans leur projet de recherche. L’échec n’était pas une option.

C’est souvent l’idée que le monde universitaire véhicule : seul.e.s ceux et celles qui se consacrent à leur recherche à 100 % (voire à 110 %) pourront réussir.

Et d’une certaine façon, ce n’est pas faux… mais est-ce là, un véritable facteur de succès? Je suis loin d’en être certaine. Pour une personne qui a joué le tout pour le tout et qui a réussi à intégrer le corps professoral, combien ont fait de même et n’y sont jamais arrivés?

As-tu déjà entendu parler du biais cognitif qu’on appelle le « biais du survivant »? Il s’agit d’un biais de sélection consistant à surévaluer les chances de succès d’une initiative en concentrant l’attention sur les sujets ayant réussi.

L’exemple traditionnel pour l’illustrer vient de la Deuxième Guerre mondiale : pour améliorer le blindage des avions, plusieurs chercheurs avaient étudié la localisation des impacts de balles. Le mathématicien Abraham Wald avait alors remarqué à juste titre qu’on ne prenait en considération que les avions en assez bon état pour revenir du front. Pour améliorer les taux de survie et à défaut de pouvoir étudier les avions qui s’étaient écrasés, il avait plutôt suggéré de renforcer les parties des aéronefs qui n’avaient pas été touchés chez les survivants.

Quand vient le temps de te préparer à ta recherche d’emploi, il sera logique d’aller demander de l’aide auprès de ceux et celles qui ont réussi dans ton entourage : ton directeur ou ta directrice de recherche ou d’autres membres du corps professoral que tu côtoies régulièrement, par exemple. Or, leurs conseils, aussi précieux et bien intentionnés soient-ils, ne te donneront pas une vision complète de la situation.

Comment faire alors? Comment aller chercher cette autre perspective, celle de ceux qui sont sortis du système?

C’est là que tout le pouvoir du réseautage prend son sens. N’hésite pas à contacter des gens qui ont fait des études similaires et qui travaillent maintenant à l’extérieur du milieu universitaire. Pose-leur des questions sur leur parcours, sur les défis qu’ils ont eu à affronter, sur les « erreurs » qu’ils pensent avoir commises… sans oublier de t’informer sur les aspects, sûrement passionnants, de leur nouvelle trajectoire de carrière qui, à la base, était peut-être pour eux une forme d’échec.

Je sais. Ça peut être gênant de faire une telle demande d’entretien à une personne que tu n’as jamais rencontrée. Il faut simplement casser la glace une première fois.

Si tu ne te sens pas prêt encore, j’ai une suggestion à te faire : va fouiner parmi les plus de 150 épisodes de Papa PhD, un excellent balado réalisé par David Mendes. Tu y trouveras non seulement une panoplie de trucs pratico-pratiques pour faciliter ta recherche d’emploi, mais surtout de nombreuses conversations avec des gens qui, après leur thèse, ont quitté le milieu universitaire.

Des gens qui, comme moi, ont bien souvent joué le tout pour le tout dans cette grande partie de poker, ont cru avoir tout perdu, se sont grandement remis en question, mais ont finalement trouvé un jeu tout aussi intéressant à la table d’à côté.

À PROPOS EMILIE-JADE POLIQUIN
Emilie-Jade Poliquin
Emilie-Jade Poliquin est conseillère en relations gouvernementales et affaires publiques à la Direction générale de l'Institut national de la recherche scientifique.
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