Héritage et vision : le legs de Guy Rocher pour le Québec et le Canada

Le sociologue Guy Rocher s’est éteint à 101 ans. Considéré comme l’un des pères fondateurs des universités publiques québécoises, il a porté une vision d’un réseau universitaire accessible, inclusif et francophone qui a transformé l’éducation au Québec et continue d’inspirer les politiques actuelles. Pour lui, l’accessibilité aux études supérieures dépassait la simple réforme éducative : c’était un projet de société, donnant à chacun la possibilité de réussir, peu importe son milieu familial. 

« Pour nous, c’était le grand ami de l’Université du Québec, qui a accompagné le réseau tout au long de sa fondation », a rappelé Alexandre Cloutier, président du réseau de l’Université du Québec (UQ). « C’est un homme qu’on a eu l’occasion de célébrer l’année dernière, lors de son centième anniversaire. On a pu témoigner toute notre affection et se replonger dans la réflexion de l’époque », ajoute-t-il. 

Héritage de la Révolution tranquille 

Dans le contexte de la Révolution tranquille, l’accès à l’université pour la majorité francophone demeurait limité : « Il était important d’augmenter le taux de diplômés francophones au Québec et de créer non seulement une université à Montréal, mais des établissements partout sur le territoire québécois », souligne M. Cloutier. 

La vision démocratique de Guy Rocher allait plus loin.  « L’UQ devait couvrir l’ensemble des cycles universitaires, y compris la recherche, et ne pas se limiter au premier ou deuxième cycle. C’était un enjeu important de l’époque, et c’est ce qui s’est produit » rappelle-t-il. Une ambition qui s’est concrétisée et qui demeure au cœur de la mission du réseau. Aujourd’hui encore, une personne étudiante sur deux au sein de l’UQ est de première génération, un signe, selon M. Cloutier, que « l’accessibilité reste vivante ». 

À l’Université du Québec à Montréal (UQAM), la nouvelle de son décès a été reçue avec beaucoup de tristesse. « C’était un grand homme, un homme plus grand que nature. Un vrai visionnaire, comme on en voudrait encore tous les jours autour de nous », a déclaré le recteur Stéphane Pallage.Il rappelle que Guy Rocher a joué un rôle central au sein de la Commission Parent entre 1961 et 1966, en proposant un modèle d’éducation supérieure au Québec. « En tant que membre et rédacteur des rapports de la Commission, il a proposé un modèle de réseau public de collèges et d’universités qui a mené à la création de l’Université du Québec en 1969, dont l’UQAM fut la première composante. « C’est un véritable ascenseur social qu’il a mis en place », insiste-t-il. 

Pour M. Pallage , le modèle de Guy Rocher demeure une référence dans le contexte actuel marqué par le sous-financement chronique. « Les universités rendent les études accessibles à tous, mais cela exige un soutien financier plus important pour accompagner les étudiants jusqu’à la réussite », conclut-il. 

Un pédagogue marquant 

Marcel Fournier, collègue et proche de Guy Rocher depuis le début de ses études en sociologie à l’Université de Montréal à la fin des années 1960, a également été son étudiant. Il se souvient d’un enseignant exceptionnel :  

« Ses cours étaient une véritable initiation à la sociologie, une discipline que nous découvrions presque pour la première fois. Guy Rocher se démarquait par la clarté de son enseignement et sa rigueur pédagogique. Il parvenait à rendre accessibles des concepts complexes et à transmettre une vision globale de la discipline. Ses cours intégraient également des références théoriques plus avancées, notamment issues de son apprentissage auprès de Talcott Parsons, qui avait été son directeur de thèse. » 

Il se souvient de sa disponibilité et de son humanité : « J’ai toujours eu une grande proximité avec Guy Rocher. J’appréciais sa simplicité, son ouverture et sa disponibilité. Même s’il avait été l’élève de grands théoriciens, il a su développer sa propre approche. Il formait les étudiants au structuralisme fonctionnel tout en favorisant une réflexion sur l’action et le changement social. » 

L’enseignant en sociologie, récemment retraité, souligne également son humilité et sa lucidité face à ses distinctions. « Il m’avait déjà dit : Il faut savoir pourquoi j’ai reçu autant d’honneurs dans ma carrière : c’est parce que j’ai vécu plus longtemps que la plupart de mes collègues. Je trouvais que c’était bien dit. » 

Des funérailles nationales auront lieu le jeudi 2 octobre à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), de 10 h à 12 h, dans l’agora du pavillon Judith-Jasmin.
 Un registre de condoléances a été publié en ligne par le cabinet du premier ministre pour celles et ceux qui souhaitent transmettre un message à la famille.

Au-delà de l’enseignement, Guy Rocher a joué un rôle central dans la rédaction de la Charte de la langue française (loi 101) en 1977 et a continué à appuyer la politique linguistique du Québec jusqu’à la réforme de 2021. Son parcours académique comprend des études à l’Université Laval, un doctorat à Harvard et un séjour de recherche à Berkeley. Professeur émérite de l’Université de Montréal, il a pris sa retraite en 2010 après plus de 50 ans d’enseignement. Il a été récompensé par de nombreux honneurs dont l’Ordre national du Québec et l’Ordre du Canada.