Faut-il encourager le recrutement aux États-Unis dans le milieu universitaire canadien ?

Alors que le gouvernement Trump impose une reprise en main autoritaire des universités américaines, le Canada se retrouve face à une occasion historique de défendre la liberté académique et d'attirer des cerveaux en exil.

29 mai 2025
Graphique par: Edward Thomas Swan avec la contribution de Aaron Hawkins

Depuis le retour à la Maison-Blanche du président Donald Trump en janvier, le gouvernement américain a promptement amorcé la refonte de l’enseignement supérieur au pays. Il a gelé ou menacé de retirer le financement fédéral à la recherche offert à plus de 60 établissements – dont les universités Harvard, Columbia et Princeton – en exigeant le démantèlement de leurs bureaux d’équité, de diversité et d’inclusion (EDI), l’abolition de leurs programmes jugés trop « dogmatiques » et la supervision directe du curriculum et des organisations étudiantes par l’État.

Même si les projecteurs ont été braqués sur l’EDI, d’autres aspects de la vie et de la recherche universitaires ont rapidement été pris pour cible. L’administration Trump a également invoqué l’antisémitisme, la « transparence » du financement étranger et la nécessité de contrôler les travaux de recherche sur le climat pour forcer la main des établissements. Le message est limpide : obéissez, ou dites adieu au financement. Les répercussions se font déjà sentir. L’Université Princeton a perdu 4 millions de dollars de subventions pour ses travaux de recherche sur les changements climatiques. L’Université du Michigan, par prévention, a fermé son bureau central de l’équité, ainsi qu’un programme de subventions sur la santé génésique. L’Université Columbia a cédé sous la pression, alors que l’Université Harvard poursuit le fédéral à la suite d’un gel de 8,9 milliards de dollars en contrats.

L’onde de choc se répand bien au-delà des murs des universités et des frontières du pays. Selon une analyse de l’Associated Press, depuis la fin mars, les États-Unis ont mis fin au visa ou au statut juridique de plus de 1 000 étudiantes et étudiants internationaux de 160 universités, notamment à l’Université d’État de l’Ohio, parfois en représailles pour des communications ou des activités politiques, semble-t-il.

On serre la vis également à des universitaires d’ailleurs dans le monde. Les chercheuses et chercheurs qui viennent aux États-Unis présenter leurs travaux se font interroger à la frontière quant à leurs allégeances politiques. Un chercheur français a par exemple été refoulé pour sa critique en ligne des politiques trumpistes. Dans le climat actuel, si, comme universitaire, on vient de l’étranger et on n’adhère pas à la mouvance MAGA, on sent vite qu’on devient une cible.

Bien évidemment, beaucoup dans les universités s’inquiètent. On se demande si on pourra revenir au pays, si jamais on voyage pour nos travaux ou rendre visite à la patrie. On craint de perdre du jour au lendemain le financement pour nos travaux de recherche. On fait face, dans certains cas, à la possibilité bien réelle de se faire expulser vers un pays où l’on pourrait être victime de persécution.

Les établissements canadiens ressentent déjà la secousse. Reuters a indiqué qu’à l’Université de la Colombie-Britannique, les demandes d’admission aux études supérieures des étudiantes et étudiants des États-Unis ont augmenté de 27 %. D’autres établissements canadiens, notamment l’Université de Toronto et l’Université de Waterloo, ont constaté une augmentation du nombre de visites sur leur site Web en provenance du sud de la frontière. Le Financial Times rapportait récemment que plusieurs universitaires d’influence, notamment les professeurs Jason Stanley et Timothy Snyder et la professeure Marci Shore, de l’Université Yale, comptent émigrer au Canada.

Certains établissements canadiens commencent à réagir. L’Université de la Colombie-Britannique accepte de nouveau temporairement les demandes aux cycles supérieurs et a mis sur pied une procédure accélérée pour les étudiantes et étudiants des États-Unis en situation précaire. Le programme Scholars at Risk de l’Université Carleton a lancé un nouvel appel pour accueillir des universitaires s’exposant à des risques pour des mandats rémunérés de un à deux ans.

Partout au pays, les membres du corps professoral manifestent leur soutien : revue de la documentation liée aux demandes, suspension des tests linguistiques et sensibilisation au financement d’urgence existant. Ces gestes sont touchants, mais sans initiative concertée, ils restent fragmentaires.

Il faut une stratégie nationale. Le Canada devrait établir un guichet unique pour les procédures d’immigration et de transfert ; offrir des bourses de recherche d’urgence aux cycles supérieurs et au postdoctorat pour les personnes qui ont vu leur financement s’évaporer ; négocier des dispenses de droits de scolarité et des accords de transfert de crédits avec les universités des États-Unis pour éviter une rupture du parcours universitaire ; faciliter l’organisation des déménagements ; et établir des partenariats pour mettre en lien les universitaires victimes de déplacement avec les chercheuses et chercheurs canadiens, afin de préserver des partenariats de recherche potentiellement menacés.

Des organisations comme Universités Canada (éditrice d’Affaires universitaires), l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université et les organismes subventionnaires devraient prendre les devants. Des associations universitaires, comme l’Association canadienne de science politique, pourraient offrir un accompagnement propre à leur domaine.

On se demandera peut-être : pourquoi le Canada devrait-il s’en mêler, qui plus est avec les menaces de Trump à la souveraineté canadienne ? Il y a deux grandes raisons, l’une éthique et l’autre stratégique.

Abordons d’abord la question éthique. La liberté universitaire ne s’arrête pas aux frontières. Lorsqu’elle est menacée, c’est tout le milieu universitaire qui doit se mobiliser. Les universités canadiennes se targuent de leur ouverture sur le monde : il est temps de joindre le geste à la parole, en n’accueillant pas seulement les universitaires qui fuient la répression à l’autre bout du monde, mais aussi celles et ceux qui sont devenus des cibles politiques aux États-Unis.

On peut aussi voir la chose d’un œil pragmatique. Les États-Unis, historiquement, ont attiré le talent universitaire. Si des chercheuses et chercheurs d’influence ne s’y sentent plus en sécurité, le Canada pourrait tirer son épingle du jeu, surtout considérant la volonté au fédéral de stimuler l’innovation et la recherche. Le pays pourrait attirer des universitaires de grande compétence à l’heure même où ses institutions sont exposées à une concurrence croissante pour le recrutement des meilleurs cerveaux.

Sauf que le temps file. Dans certains cas, les départements universitaires n’ont que 30 jours de préavis avant un gel de leur financement. Les annulations de visa, elles, sont immédiates. Les personnes touchées doivent très rapidement faire des choix qui mettent en jeu leur famille, leurs travaux de recherche et leur carrière.

J’écris ces lignes en tant que personne qui doit beaucoup au Canada. J’ai obtenu ma maîtrise à l’Université McGill et mon doctorat à l’Université de la Colombie-Britannique. Mes travaux de recherche aux cycles supérieurs et au postdoctorat ont été financés de la poche des contribuables canadiens, par l’entremise des bourses du CRSH. C’est au Canada que je suis devenu chercheur, et j’en suis profondément reconnaissant.

Les universités canadiennes sont très réputées dans le monde, et il est temps d’agir à la hauteur de cette réputation. En répondant présent, les établissements du pays affirment avec force que la liberté universitaire a de la valeur, et que le Canada est un refuge pour qui doit choisir entre convictions et carrière.