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À mon avis

Tenants et aboutissants de la déréglementation des universités

Bon nombre de nouvelles exigences viennent de l’extérieur et ne sont pas un signe de mauvaise foi de la part de l’administration.

par JULIA EASTMAN | 30 OCT 18

En réponse à mon article d’opinion sur la préservation de l’autonomie universitaire publié, en anglais, en juillet par Affaires universitaires, un lecteur m’a écrit ceci :

« En tant qu’universitaire de première ligne, je dirais que même si [la perte d’autonomie des établissements] est préoccupante, sur le terrain, la place prépondérante de l’administration dans les activités universitaires depuis quelques décennies l’est encore plus. Des bureaux de l’administration supérieure entièrement fonctionnels apparaissent du jour au lendemain, et leur mandat de supervision élargi leur permet d’intervenir dans les activités universitaires quotidiennes. […] J’ai l’impression que ce sont ces administrateurs qui s’inquiètent de la limitation de leur autonomie par le gouvernement, car les universitaires semblent déjà leur avoir sacrifié une bonne partie de la leur. »

Cette situation est très préoccupante. Le milieu universitaire canadien est de plus en plus réglementé et encadré, comme c’est le cas dans de nombreux pays. Pour endiguer, voire renverser cette tendance, nous devons d’abord en déterminer les causes. Les contraintes peuvent provenir du gouvernement, mais aussi d’autres organisations externes, comme des organismes d’accréditation, des agences d’assurance et des organisations comptables. Bon nombre des contorsions supplémentaires exigées des professeurs, du personnel et des étudiants découlent de l’obligation des universités à se conformer aux lois, aux règlements et aux protocoles régissant la protection de la vie privée, la sécurité de l’information, la santé et la sécurité au travail, l’éthique et la responsabilisation, la comptabilité, l’approvisionnement et plus encore.

La situation n’est pas près de changer. Si les gouvernements et les autres organisations reconnaissaient les effets négatifs d’un excès de règles sur le rendement des établissements, le fardeau pesant sur ces derniers pourrait être allégé. Mais, en cette période de réglementation et de surveillance sociales accrues, il n’est pas envisageable pour les professeurs canadiens de retrouver leur autonomie d’avant.

Comment pouvons-nous donc réduire les répercussions des exigences externes? La haute direction et les conseils d’administration universitaires les plus sages sont à l’écoute du désir de préserver l’espace collégial et, dans la mesure où ils ont un pouvoir discrétionnaire, appliquent les exigences externes de façon à respecter le rôle des unités universitaires et à réduire les dérangements qui s’y rattachent. Ils reconnaissent que, même si un encadrement supplémentaire est requis et inévitable, il doit être limité au minimum.

De la même façon, tout professeur avisé sait que les nouvelles contraintes viennent souvent de l’extérieur et ne sont pas un signe de mauvaise foi de la part de l’administration. Si les universités veulent survivre à cette époque turbulente, chacun doit y mettre du sien.

Bien sûr, les règlements, politiques, mesures incitatives, exigences en matière de données, de processus et de protocoles ne viennent pas tous de l’extérieur. Bon nombre d’entre eux sont liés à des stratégies, à des plans et à des initiatives élaborés au sein même des établissements. Les membres du milieu universitaire doivent travailler ensemble et remplir efficacement leur mission pour avoir accès aux ressources nécessaires et obtenir le soutien des étudiants, des gouvernements, des divers intervenants et du grand public. L’adoption d’une stratégie collective et sensée doit faire partie d’un tel effort. Parallèlement, la haute direction et les conseils d’administration, tout comme les sénats universitaires, ne doivent pas oublier que, la plupart du temps, il vaut mieux s’en tenir à l’essentiel. Un trop grand nombre de nouvelles initiatives et exigences injustifiées risque d’entraîner de la frustration, du ressentiment et une baisse d’efficacité.

Selon moi, la dernière source de réglementation et d’encadrement vient directement du milieu universitaire – autrement dit, de nous-mêmes. En effet, lorsque les professeurs, les étudiants et le personnel demandent à l’administration (ou aux gouvernements) de corriger des problèmes ou d’apporter des changements (que ce soit par l’intermédiaire de nouvelles politiques, d’exigences ou de dispositions dans les conventions collectives), ils contribuent au renforcement de la réglementation dans le milieu universitaire.

Traditionnellement, la majorité des comportements (bons ou mauvais) dans le milieu universitaire ont été encadrés par des normes. Il n’est pas possible ni même souhaitable de revenir en arrière, mais plus les comportements du milieu s’appuieront sur des valeurs et des normes (et plus la culture sera considérée comme un vecteur de changement), moins les mécanismes bureaucratiques seront nécessaires. Les facultés et les départements ayant une culture distincte et positive tendent collectivement à obtenir de bien meilleurs résultats, même s’ils doivent respecter les mêmes cadres stratégiques et réglementaires que les autres. Les doyens et les directeurs de département jouent un rôle clé dans la création de ces milieux exceptionnels, non sans le soutien de l’administration centrale, des professeurs et du personnel.

En somme, il ne tient qu’à nous de déréglementer le milieu universitaire.

Julia Eastman est praticienne et chercheuse en gouvernance universitaire ainsi que professeure auxiliaire à l’école de commerce Peter B. Gustavson de l’Université de Victoria.

COMMENTAIRES
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  1. Éric GEORGE / 1 novembre 2018 à 18:14

    Cet article évacue une dimension fondamentale, à savoir le fait que de plus en plus, la gouvernance des universités correspond de facto à une prise du pouvoir des acteurs sociaux extérieurs au champ universitaire et pour tout dire à une prise du pouvoir par les représentants du secteur économique. Par conséquent, tout le débat sur les changements en termes de gouvernance au sein des universités ne peut pas évacuer le fait que de plus en plus, nos universités sont au service du capitalisme néolibéral.