La relève réclame une culture de recherche centrée sur le bien-être

Un récent rapport du Comité intersectoriel étudiant du FRQ met en lumière les pressions systémiques qui minent la santé psychologique de la relève en recherche, et propose des pistes d’action pour transformer durablement la culture universitaire.

Isolement, manque de sommeil, stress de performance académique, précarité financière… De nombreux facteurs minant le bien-être de la population étudiante ont été mis en lumière dans la dernière décennie. Dès 2016, parmi les membres de la communauté universitaire québécoise, 22% rapportaient des symptômes dépressifs suffisamment élevés pour nécessiter une prise en charge immédiate et environ six sur dix présentaient un niveau de détresse psychologique se situant dans le quintile supérieur de la population générale. Plusieurs de ces enjeux ont été exacerbés durant la pandémie de COVID-19.

L’ampleur de la situation a poussé le milieu de l’enseignement supérieur à faire de la santé mentale étudiante un enjeu prioritaire. C’est dans ce contexte qu’a été créé l’Observatoire sur la santé mentale étudiante en enseignement supérieur, un engagement phare issu du Plan d’action sur la santé mentale en enseignement supérieur 2021-2026 du gouvernement du Québec. Cet observatoire, financé par le Fonds de recherche du Québec (FRQ), a reçu l’appui des associations étudiantes québécoises; des personnes étudiantes sont d’ailleurs coresponsables de chacun des comités de travail de ses 26 axes.

Et dans le milieu de la recherche?

Il est nécessaire de réfléchir à la façon dont les enjeux de santé psychologique touchent la relève étudiante en recherche. Cette communauté se distingue de la population étudiante, notamment par son âge moyen plus élevé, une proportion plus importante de parents, un retour aux études plus fréquent, et des défis spécifiques comme la relation avec la direction de recherche ou l’accès au financement. Ces défis ne sont pas sans conséquence : au Québec, environ 18 % des personnes commençant une maîtrise et 31 % de celles qui entament un doctorat n’obtiennent pas leur diplôme dans des délais de 4 ans et 8 ans, respectivement.

Depuis 2021, le Comité intersectoriel étudiant (CIE) du FRQ s’est penché sur cette question. Ses travaux ont mené à la publication du rapport Santé psychologique : Comment se porte la relève en recherche au Québec?. Ce rapport énonce les conclusions d’une revue des écrits ainsi que de deux consultations de la relève menées par le CIE en 2022 et en 2023. Les analyses qualitatives du CIE ont permis de contextualiser les statistiques déjà disponibles et d’approfondir sa compréhension des facteurs qui influencent la santé mentale de la relève. Le CIE a également formulé quinze pistes d’action visant le FRQ, mais aussi d’autres acteurs de la communauté de la recherche.

Cultures de recherche, d’excellence et de méritocratie

Obtenir un financement suffisant est essentiel pour évoluer dans le milieu universitaire. Or, ce financement limité est en grande partie tributaire de critères exigeants sur les accomplissements antérieurs : excellence académique, publication dans des revues reconnues, prix et distinctions, nombre de publications et de citations, valorisant la productivité et menant à une forte compétition entre pairs.

Cette culture exige le respect de normes explicites et implicites, souvent incompatibles avec la diversité des parcours de la relève. Par exemple, les individus vulnérables sur le plan socioéconomique doivent consacrer plus de temps à leur(s) emploi(s) pour subvenir à leurs besoins, limitant le temps disponible pour leurs activités de recherche. Cette situation amoindrit le nombre d’accomplissements réalisés et, conséquemment, la qualité perçue du dossier. Le modèle d’évaluation actuel creuse donc continuellement l’abîme entre les personnes financées, qui peuvent se consacrer à leur recherche, et les autres, qui peinent à rehausser la compétitivité de leurs candidatures. 

Compétition entre les pairs

Si la compétition peut stimuler l’émulation ou la solidarité, elle crée également un environnement de travail et d’apprentissage nocif pour plusieurs, comme en attestent les expériences rapportées lors des consultations du CIE:

« la solidarité entre les membres de la relève est limitée. Il y a surtout un climat de compétition : qui travaille le plus d’heures, a le plus de bourses, publie le plus d’articles, etc. »;

« la pression à obtenir des bourses ou à publier engendre de la compétition au sein des équipes de recherche afin d’obtenir le même financement ou de publier dans les grands journaux »;

« cette compétition a pour effet de créer des cliques au sein des départements, et les personnes étudiantes deviennent conditionnées à juger leurs pairs. Cela a un impact direct sur le bien-être social ».

Cette compétition, largement normalisée dans le milieu de la recherche, est alimentée par des facteurs extrinsèques (statut, reconnaissance) davantage que par des facteurs intrinsèques comme la compétence ou l’autonomie. Ceci la rend néfaste pour la confiance en soi, le bien-être émotionnel, la collaboration et la coopération.

Parallèlement, la compétition entre pairs est alimentée par le perfectionnisme dit « prescrit par autrui », qui induit le sentiment de ne jamais être à la hauteur de ce qui est attendu par les autres. Ce type de perfectionnisme est associé à des symptômes dépressifs, à un sentiment de désespoir et à des pensées suicidaires. Il affecte également les relations entre pairs et la productivité. La relève évolue ainsi dans un climat relationnel négatif, au lieu de bénéficier du soutien de ses collègues.

Structuration des programmes de formation : des attentes à clarifier

Le flou entourant les attentes des programmes de formation a été vivement dénoncé lors des consultations du CIE :

« plusieurs exigences dans le programme doctoral (publications, enseignement, gouvernance étudiante) ne sont pas clairement énoncées et ne sont pas liées au programme de recherche ».  

Ce manque de clarté est perçu comme une forme de négligence institutionnelle par la relève en recherche, alors que les programmes valorisent le développement de l’autonomie comme objectif fondamental. De nombreuses compétences essentielles ne sont pas enseignées, bien qu’attendues. Il revient alors aux membres de la relève de les découvrir par eux-mêmes, de même que les opportunités et ressources reliées, ce qui alourdit leur charge mentale et accentue la précarité de leur parcours.

Leur bien-être se retrouve ainsi fortement influencé par la structure et le soutien à l’autonomie fournis directement par la direction de recherche. Une communication ouverte, régulière et encourageante avec la direction est d’ailleurs associée à la réussite de la relève étudiante. Néanmoins, dans plusieurs cas, les membres de la relève n’ont pas le soutien dont ils auraient besoin et travaillent dans l’isolement, sans structure ni encadrement suffisant, se retrouvant dans certains cas poussés au désespoir.

Des exigences implicites de la part des directions de recherche, comme les horaires attendus ou le respect du droit à la déconnexion, s’ajoutent souvent sans être formulées explicitement :

« Pour être en mesure de répondre à toutes les attentes, il n’y a pas d’autre choix que de travailler sur notre projet de recherche pendant la fin de semaine, particulièrement vers la fin du doctorat ».

Chez les personnes doctorantes, ces exigences tacites constituent l’une des principales sources de détresse psychologique.

Poursuite ou abandon

Tous ces facteurs ont un impact sur la santé mentale de la relève en recherche, qui doit prioriser la performance au bien-être. Cette culture de performance fait partie des facteurs qui mènent au désengagement, puis à l’abandon des études. Résultat : un taux élevé d’abandon aux cycles supérieurs, entre 18 % et 30 % au Québec.

Certaines personnes, qui choisissent de ne pas se conformer aux normes de la culture en recherche, peuvent être poussées à quitter entièrement ce milieu. Une personne consultée par le CIE a expliqué ne pas se reconnaître dans le mode de vie promu par une partie du corps professoral, ce qui l’a poussée à envisager une carrière en entreprise malgré son intérêt pour la recherche.

Le manque de soutien est une autre cause importante de l’attrition des personnes étudiantes avant l’obtention de leur diplôme.  Qu’il soit financier, institutionnel ou social, ce soutien doit être personnalisé. En effet, selon les consultations du CIE, la relève aux cycles supérieurs a le sentiment que les ressources existantes ne sont pas adaptées à leurs réalités individuelles :

« certaines personnes-ressources (p. ex., centre de services psychologiques universitaires) ne comprennent pas la réalité des personnes aux cycles supérieurs. Des ressources propres au programme seraient idéales ».

Pour s’épanouir et demeurer productive, la relève aurait avantage à évoluer dans une culture plus saine, où la collaboration prime sur la compétition. Les organismes subventionnaires tendent vers une évaluation plus holistique de l’excellence, intégrant des critères qualitatifs comme l’engagement social ou les efforts de vulgarisation. Mais les indicateurs quantitatifs (le nombre de publications, le « h-index », la valeur des bourses antérieures, etc.) demeurent survalorisés.

Recommandations

Les recommandations du CIE se répartissent entre trois champs d’action.

  • Financement : assouplir certaines règles et conditions de financement, donner une rétroaction qualitative aux membres de la relève ayant déposé une candidature et ajuster les critères d’admissibilité ainsi que les conditions d’utilisation des bourses pour les rendre compatibles avec la durée moyenne des études.
  • Évaluation : une valorisation soutenue des critères d’évaluation qualitatifs plutôt que quantitatifs et des contributions non scientifiques. D’autres recommandations touchent la transparence du processus d’évaluation.
  • Culture de recherche : promouvoir la diversité de parcours que suivent les membres de la relève et valoriser le bien-être de la relève en recherche auprès des centres de recherche et des universités. Ceci passe par l’amélioration des compétences d’encadrement du corps professoral ainsi que par la sensibilisation aux comportements nuisibles. En ce sens, le CIE salue l’adhésion du FRQ à CoARA, un regroupement international d’organisations visant une réforme de l’évaluation en recherche.

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