Êtes-vous une pute médiatique? Craignez-vous d’être qualifié ainsi par vos collègues (directement ou à votre insu)?
Au cours de ma carrière, j’ai animé des centaines d’ateliers sur les relations avec les médias, et j’ai entendu d’innombrables scientifiques exprimer une telle crainte dans ces termes. Aujourd’hui, il ne fait plus aucun doute que les critiques voilées ont été remplacées par des épithètes beaucoup plus péjoratives.
J’ai même appris que certains chercheurs avaient carrément renoncé à partager leurs connaissances par crainte d’être taxés de faire de « l’autopromotion », de « manquer de sérieux », ou d’être des « putes médiatiques ». Je comprends votre réticence. Je comprends pourquoi vous refusez plus d’entrevues que vous n’en acceptez. Vous êtes hanté par la possibilité que vos propos soient critiqués par vos collègues restés dans l’ombre.
Cette crainte est décuplée si vous êtes une femme, a fortiori une minorité ethnique, car les qualificatifs comme « pute » pourraient nuire encore davantage à votre réputation. Malgré les mouvements comme Slutwalk, qui visent à lutter contre la stigmatisation sexuelle des femmes, la discrimination persiste dans le milieu universitaire et les femmes ont plus de difficulté que les hommes à être embauchées ou promues. S’exposer à des critiques supplémentaires peut présenter un risque trop important.
Aujourd’hui, je vous propose une résolution pour la nouvelle année : arrêtez.
Arrêtez de calomnier les chercheurs qui consacrent autant de temps aux médias qu’à la publication d’articles scientifiques. Arrêtez de dénigrer vos collègues qui sont à l’aise devant les caméras, qui ont un talent pour la synthèse, ou qui se penchent sur des sujets populaires. Arrêtez de condamner vos collègues dont les travaux visent à éduquer la population à la prise de décisions fondées sur des données probantes.
Qualifié par certains de vulgaire « autopromotion », ce phénomène est aujourd’hui reconnu comme un élément essentiel à l’application des connaissances par les conseils de recherche, les organismes subventionnaires et les administrateurs universitaires. Formuler des commentaires éclairés et faciles à comprendre sur des sujets d’actualité aide les gens moins favorisés sur le plan intellectuel ou socioéconomique à mieux comprendre les enjeux complexes.
Certains diront même que cela fait partie de votre mission, puisqu’une grande part de vos travaux est subventionnée par les contribuables. Vos travaux de recherche et vos activités d’enseignement sont en quelque sorte un service public. Il est de votre devoir d’éclairer la population afin de sauver la planète d’une catastrophe environnementale et d’empêcher le fascisme de l’emporter sur la démocratie.
Nous traversons une période inquiétante marquée par la désinformation délibérée. Nous devons tous lutter contre la propagande mensongère et toxique véhiculée par les bots russes sur Facebook, par les théoriciens du complot sur YouTube et par le président des États-Unis sur Twitter. Plus que jamais, la population a besoin de connaître l’opinion éclairée d’experts sérieux et objectifs qui n’ont pas été payés pour défendre l’intérêt des grandes sociétés ou d’entités partisanes. La mesquinerie entre collègues n’a pas sa place.
Je ne dis pas que vous devez donner votre opinion sur tous les sujets ni pontifier sur des enjeux que vous n’avez pas étudiés depuis 25 ans. Je crois cependant qu’il n’est pas nécessaire d’être spécialiste du boson de Higgs pour expliquer ce dont il s’agit à quelqu’un qui a cessé d’étudier la physique en 10e année (comme la plupart d’entre nous). Accuser les chercheurs qui le font de niveler par le bas est non seulement insultant pour la population en général, mais c’est aussi dangereusement élitiste.
Certes, vous courez le risque d’être mal cité. Oui, il se pourrait qu’une autre personne soit plus qualifiée que vous. Mais en cette ère postfactuelle, vous ne pouvez pas vous permettre de faire la fine bouche. Lorsqu’on est au front, il faut utiliser l’arme qui est entre nos mains. Si un journaliste vous demande votre opinion sur un enjeu d’importance, il y a de fortes chances que vous en sachiez plus sur le sujet que 99,9 pour cent des citoyens moyens. Sans compter que les reporters (qui, à l’ère de l’information en continu, sont toujours pressés par le temps) n’ont pas le loisir de choisir entre vous ou un autre expert, c’est souvent vous ou personne.
Si vous hésitez à donner votre opinion, prenez le temps de dessiner un diagramme de Venn. Le premier cercle représente le sujet du journaliste, et le second l’ensemble de vos connaissances. Le chevauchement des deux représente les sujets que vous êtes à l’aise de commenter publiquement. Il y a fort à parier que le journaliste sera reconnaissant de pouvoir intégrer votre opinion éclairée dans son reportage, une opinion qu’il n’aurait probablement pas pu obtenir autrement.
Les données laissent penser que nos grands-parents avaient raison de bougonner : le monde est vraiment en train de courir à sa perte. Et il manque cruellement de gens pour freiner cette descente aux enfers de l’ignorance.
Je terminerai donc en citant les propos du regretté Steve Schneider, professeur à l’Université Stanford. Récompensé par un Prix Nobel conjoint pour sa contribution exceptionnelle au Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, il était bien connu pour ses nombreuses interventions médiatiques. En ce sens, il est probablement la personne la mieux placée pour illustrer mon propos. Il a dit ceci : « Si vous croyez que vulgariser vos connaissances dans les médias est dégradant et que cela pourrait compromettre votre intégrité, dites-vous que vous ne faites que passer le flambeau à quelqu’un de moins qualifié. »
Shari Graydon est la fondatrice et l’instigatrice d’Informed Opinions, une organisation nationale à but non lucratif qui forme des experts, surtout des femmes, afin qu’elles puissent transmettre leurs connaissances sous forme de commentaires journalistiques.
C’est un point de vue intéressant qui, toutefois, pose problème à double titre, surtout que vous semblez, chère auteure, être « critique » : (1) les médias ne sont pas idéologiquement neutres et les journalistes savent fort bien à qui s’adresse pour avoir tel ou tel point de vue et pas tel ou tel autre (2) rien ne dit que nous, abonnés et abonnées, à Affaires universitaires, sommes des chercheures et des chercheurs critiques.