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Actualités

Impromptu, variations littéraires sur la relation professeur.e-étudiant.e

Une fiction qui offre un retour dans le passé pour mieux réfléchir à la situation actuelle.

par MAUD CUCCHI | 18 OCT 22

Un professeur de littérature aigri, une jeune étudiante fascinée par l’érudition de ce dernier, et entre les deux, un fossé culturel, social et générationnel… Dans Impromptu, publié au Québec en début d’année par les éditions Héliotrope, l’autrice Catherine Mavrikakis dépeint avec un humour tendre et corrosif la relation particulière entre ces deux protagonistes aux antipodes, reliés par le seul truchement des études littéraires et de la curiosité intellectuelle. En filigrane, le récit décape une certaine idée de la « Vieille Europe » au pouvoir d’attraction encore fort sur les esprits nord-américains; mais c’est surtout le milieu universitaire canadien qui passe au vitriol dans un réjouissant florilège de critiques proférées par le professeur d’origine allemande Karlheinz Mueller-Stahl.

Ses étudiant.e.s? « Très nombreux dans les amphithéâtres, une masse grouillante, informe », résume le truculent personnage que son étudiante compare à « un médecin [qui] prescrit un médicament à un malade en phase terminale en qui il voit peu d’espoir de survie ».

Son bureau? « Un cagibi » donnant « sur une cour ignoble et sale » malgré son rang universitaire. L’été, misère de misère, « il n’y a plus personne qui tienne encore le fort ». Derrière les saillies de ce personnage loufoque, incarnation même du stéréotype du vieux monde avec toute sa condescendance, sa radinerie et son élégance parfumée, Mme Mavrikakis signe « une farce sans aucune prétention sociologique », explique l’autrice, également professeure en création littéraire à l’Université de Montréal.

C’est justement dans cette université qu’elle connaît bien, où elle a passé trois décennies d’études, de recherches et d’enseignement, que Mme Mavrikakis a campé son récit qui s’avère être bien documenté, sous couvert de « liberté et de licence poétiques » intrinsèques à la notion de fiction. Sur la quatrième de couverture, l’autrice explique avoir voulu « écrire un texte comique et acerbe, parfois affectueux, souvent cruel sur notre rapport à l’Europe et à sa “grande culture” ». Avant d’être publié au Québec, le livre est né d’une commande de la maison d’édition française La Contre allée pour sa collection « Fictions d’Europe », des récits de fiction regroupés sous le thème des fondations et refondations européennes.

Mme Mavrikakis explique avoir alors reçu la proposition « comme une pirouette, une comédie rapide » de 72 pages à composer autour de la relation professeur.e-étudiant.e dans les années 1980, soit bien avant l’ère #MoiAussi, un angle qu’elle n’a pas souhaité adopter pour cet ouvrage, dit-elle.

La relation d’enseignement qu’elle dépeint à une époque où elle-même était étudiante s’articule autour de la figure de « très grande autorité » du professeur dont l’ascendant intellectuel n’a d’égal que les caprices de haut vol. La jeune Montréalaise Caroline Akerman-Marchand, sorte d’alter ego de l’autrice, est prête à accepter toutes les frasques de son mentor pour le côtoyer…et trouve même un plaisir certain à faire partie des « quinze élus du professeur…des êtres originaux qui voulaient, dans un Montréal désert intellectuellement, travailler sur les romantiques allemands et qui n’avaient donc aucun mal à s’adapter aux excentricités de leur maître qu’ils trouvaient tout simplement génial et amusant ».

Les excentricités en question oscillent entre abus de confiance, rabaissement moral, faire-valoir, mais s’accompagnent en retour du sentiment privilégié d’avoir accès, pour les étudiant.e.s, à un savoir unique qui déterminera d’ailleurs les choix professionnels de l’héroïne. Quarante ans plus tard, une telle autorité professorale passerait bien moins dans les rangs des universités, notamment grâce à une génération qui n’accepte plus ce à quoi ses prédécesseur.e.s consentaient en leur temps, estime Mme Mavrikakis. « Avant, nous étions plus passifs parce que le canon, la tradition était plus stable, nous n’interrogions pas ce qui était dit alors qu’aujourd’hui, les étudiant.e.s se posent beaucoup de questions sur la pertinence d’étudier tel ou tel ouvrage, par exemple. » Avec, parfois, un rapport de confiance à restaurer…

« Néanmoins, il y a toujours l’idée d’une soumission dans l’apprentissage, nuance-t-elle, ne serait-ce que la soumission à un texte, dans le cas des études littéraires. » Si le rapport dominant-dominé caractérise beaucoup moins la relation actuelle entre étudiant.e.s et professeur.e.s d’université, la relation interpersonnelle demeure constitutive des échanges avec les apprenant.e.s avec tout son nuancier humain. « Nous ne sommes pas seulement leur professeur.e en cours, certains travaillent au sein de groupes de recherche, d’autres seront de futur.e.s collègues, le rapport est plus collégial », constate l’autrice.

En près de quatre décennies, c’est aussi une relation d’assistanat qui s’est affirmée, les professeur.e.s étant davantage sollicité.e.s dans l’accompagnement administratif des candidat.e.s aux diplômes, ajoute la professeure en citant les demandes de bourses à appuyer. « Les besoins des étudiant.e.s ont changé, beaucoup plus accèdent aux cycles supérieurs », ce qui justifierait une réflexion collective poussée sur la relation entre professeur.e.s et étudiant.e.s, propose-t-elle.

En transposant cette thématique à une autre époque, son récit soulève de nombreuses questions très actuelles : les relations entre professeur.e.s et étudiant.e.s se seraient-elles renversées pour être essentiellement fondées sur une sorte de « clientélisme »? Est-il aujourd’hui attendu des étudiant.e.s que les professeur.e.s soient non seulement savant.e.s, compétent.e.s et performant.e.s, mais aussi soumis.e.s à leur tour puisque le « client est roi »? Aux lecteurs et lectrice d’en tirer les questionnements souhaités, puisque l’autrice prône la libre interprétation de cette fiction « qui n’est pas un essai », souligne-t-elle en précaution d’usage. Un peu à la manière de la traditionnelle mise en garde : « toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé est purement fortuite »…

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