L’envers de la médaille de l’excellence noire : l’épuisement
S’il est important de reconnaître l’excellence noire, il est aussi crucial de comprendre comment ce concept peut être exténuant, voire délétère pour les personnes noires.
Le milieu universitaire n’est pas de tout repos. C’est drainant d’y évoluer et pas toujours aussi gratifiant qu’on pourrait le croire. Pour les personnes racialisées, comme les Noirs, la pression est exacerbée par une règle non écrite voulant qu’elles doivent exceller, même là où les autres échouent.
Je suis moi-même noir et je me considère comme étant un universitaire en début de carrière plutôt productif; je suis aussi parfois fatigué, voire découragé de viser l’excellence. Au cours du Mois de l’histoire des noirs qui s’est terminé il y a moins d’une semaine, j’ai décidé de mettre en valeur sur Twitter d’autres universitaires noirs qui se démarquent dans leur domaine. Cet exercice que j’avais aussi mené l’an dernier m’a poussé à réfléchir à l’idée même de l’excellence et à la façon dont elle influence notre quête pour prouver au monde que nous y sommes à notre place. D’aucuns diront que le concept même d’excellence noire n’a pas lieu d’être, car personne n’a jamais vu l’utilité d’apposer ce genre d’étiquette aux réalisations caucasiennes. Il reste que l’existence du mot-clic #BlackExcellence met en lumière le besoin de célébrer l’apport de personnes noires à des établissements qui, historiquement, avaient tendance à ne pas apprécier ces mêmes réalisations à leur juste valeur.
S’il est important de reconnaître l’excellence noire, il est aussi crucial de comprendre comment ce concept peut être exténuant, voire délétère pour les personnes noires. En effet, la notion d’excellence, et en particulier d’exceptionnalisme noir, occulte les obstacles et les pressions systémiques auxquels les universitaires noirs sont confrontés, en plus de multiplier les attentes institutionnelles et sociétales à l’égard de ce groupe racialisé.
Mettre le doigt sur le bobo
Difficile d’évoluer dans le monde universitaire sans entendre le slogan « publier ou périr ». J’adore la rédaction. C’est même l’une des raisons qui m’a poussé à faire un doctorat. Mais la culture de publication à tout prix est si forte qu’elle rend l’écriture peu attrayante, voire décourageante. Cette pression, tous les universitaires la ressentent. Mais pour les universitaires noirs en particulier, le slogan dissimule les obstacles systémiques qui entravent la productivité et donne l’impression que nous partons tous sur un pied d’égalité, alors qu’il existe des mécanismes de contrôle qui maintiennent la production et la diffusion des connaissances entre les mains de quelques personnes (généralement blanches).
Le deuxième déterminant de la fatigue est la diversité de façade. Pour éviter d’être accusés de racisme institutionnel et d’entretenir des préjugés systémiques, les établissements invitent des universitaires noirs à siéger à toutes sortes de comités, de conseils d’administration et d’initiatives, que ce soit pour réellement changer les choses ou simplement pour la parure. Il suffit de penser à tout le travail non rémunéré lié à l’inclusion et à la diversité qui nous est présenté comme notre façon d’améliorer le système; je me demande souvent si c’est vraiment le cas ou si c’est simplement une façon pour les établissements de bien paraître. De plus, les personnes qui se démarquent dans ces rôles de service s’en voient confier d’autres, ce qui peut s’avérer taxant. Après tout, ces tâches ne représentent qu’une fraction de ce qui est nécessaire pour être considéré comme excellent, du moins dans le modèle 40-40-20 traditionnellement utilisé en vue de la titularisation.
Autre facteur : on martèle aux universitaires de « demander, demander, demander ». Pendant mon doctorat, la faculté obligeait tous les étudiants à demander toutes les subventions possibles, et ce, jusqu’à ce qu’ils en obtiennent au moins une. C’était une excellente stratégie, car nous savons tous que le financement de la recherche rend la vie aux études supérieures un peu plus tolérable que le seul assistanat d’enseignement. J’ai conservé cette mentalité. Je ressens souvent le besoin de continuer à demander tout ce que je vois passer, et ce, pour deux raisons. La première, c’est que je sais que le fait d’obtenir une subvention crée un effet domino qui me rapproche de la prochaine. La deuxième, c’est qu’à titre de représentant d’une minorité visible, mes chances réelles d’obtenir un prix ou une subvention ne sont pas aussi élevées que celles de mes collègues blancs, même si je satisfais tous les critères. Je dois tout de même admettre que ma carrière universitaire a été plutôt fructueuse jusqu’à présent, mais la pression de continuer à produire de tels résultats est lourde.
Le dernier aspect de l’épuisement provient du perpétuel syndrome de l’imposteur. Pour moi, il se manifeste en sentiment de non-appartenance. Je n’oublierai jamais cette rencontre dans un ascenseur avec un professeur blanc qui, en apprenant que j’avais obtenu les bourses Trudeau et Vanier (les deux plus importantes à mon niveau au Canada) au cours de la même année, m’a dit « vous devez avoir beaucoup de chance ». C’était probablement sans méchanceté, et je suis sûr qu’il y a une part de chance dans ma situation, mais ce commentaire m’a donné l’impression d’avoir réussi par hasard, et non grâce à mon bon travail. Même lorsque vous excellez de toutes les manières possibles, le syndrome de l’imposteur peut vous donner l’impression que ce n’est pas assez. Il en résulte un désir de produire toujours plus afin de justifier votre poste. Rien de tout cela n’est bon pour la santé mentale et le bien-être.
Que faire?
Premièrement, en tant qu’universitaire noir, vous devez savoir que vous ne devez rien de plus à votre établissement que vos collègues blancs. J’ai récemment été nommé à la première cohorte noire de l’Université McMaster, et je suis certain que nous sommes déjà la cible d’attentes tacites du genre : « Maintenant qu’on vous a sélectionné, montrez-nous que vous avez vraiment votre place ici. » Embauché dans le cadre d’un processus visant à attirer la crème des chercheurs noirs de partout, je ressens déjà la pression d’en faire plus, comme si mon CV ne témoignait pas déjà de mon parcours fructueux et de ma qualification. Pour remédier à cet épuisement, nous devons faire de notre mieux sans avoir l’impression d’avoir une dette à payer, ou de devoir en faire plus que les autres.
Deuxièmement, il est crucial de savoir dire « non » sans se faire de mauvais sang. Nos établissements comptent des centaines de comités et de sous-comités. Dans un système où les collègues noirs sont rares, il est facile d’assimiler l’excellence noire au nombre d’initiatives auxquelles nous participons et à la manière dont notre dévouement fait progresser les efforts de l’université en matière de diversité et d’inclusion. Il peut même parfois sembler que tout repose sur nos épaules et que de refuser une telle participation impliquerait de refuser la représentation, voire d’abandonner la cause. Résistez à l’envie de penser de cette façon et dites non quand vous en avez besoin.
Troisièmement, trouvez des collaborateurs que vous aimez. Dans un contexte où les attentes en matière de productivité peuvent parfois nous faire tomber dans l’excès, il est important que nos partenaires de recherche soient aussi nos amis, car c’est probablement le meilleur groupe de soutien que nous puissions avoir en tant qu’universitaires noirs. La tour d’ivoire qu’est le monde universitaire peut créer de l’isolement, et encore plus pour les Noirs qui sont confrontés à toutes sortes d’obstacles systémiques ancrés dans son architecture même. En lien avec ce troisième point, il ne faut jamais sacrifier le bonheur sur l’autel du travail. Je me plais à dire que s’il faut travailler fort, il faut s’amuser encore plus fort! Adonnez-vous à des activités que vous aimez en dehors de l’université. Pendant la pandémie de COVID-19, j’étais forcé d’étudier et de travailler à distance, et j’ai commencé à me forcer à prendre des temps d’arrêt, une pratique dont je constate aujourd’hui les bienfaits pour ma santé mentale et mon bien-être général. Il y a un an, j’étais stressé à l’idée de ne pas respecter mes délais, de refuser des invitations et, plus généralement, de dire non aux gens. Mais j’ai appris à m’y faire. J’ai trois enfants de deux à sept ans, tous très actifs, et je n’aurais pas pu rêver d’une meilleure façon d’équilibrer ma vie!
Je dois l’admettre : j’écris ce texte d’une position un peu privilégiée. Ayant récemment obtenu ma titularisation, en début de carrière de surcroît, je peux peut-être me permettre de ne pas me préoccuper des attentes autant que les universitaires noirs non titularisés. Je n’avance d’aucune façon que les Noirs ne devraient pas réussir ni rechercher activement l’excellence, car c’est ce que nous avons toujours fait, même lorsque la reconnaissance n’était pas au rendez-vous. Par ce texte, je vise simplement à mettre en lumière les répercussions des attentes en matière de productivité sur la santé mentale des personnes racialisées, répercussions qui peuvent prendre plusieurs formes et qui passent souvent sous le radar.
Bien sûr, nous devons viser l’excellence, remporter des prix, diriger d’importantes recherches subventionnées et continuer à faire de grandes choses qui feront tomber les barrières pour les chercheurs noirs de demain. Mais il est également impératif de prendre une pause de temps en temps, de respirer, d’accepter que nous puissions être épuisés et qu’en fin de compte, la machine universitaire ne peut exiger de nous que notre juste part de travail et de gratitude. Si nous contribuons à façonner le changement institutionnel par notre présence et notre action, force est d’admettre que les établissements perdureront, avec ou sans nous. Donc, soyez vous-même. Soyez fabuleux dans ce que vous faites, mais ne vous pliez pas aux attentes sociétales artificielles et racialisées de ce que signifie être un universitaire noir exceptionnel.
Nathan Andrews est professeur agrégé au Département de science politique de l’Université McMaster. Son compte Twitter est @Nathan_Andrews1.
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