Connue pour être l’année pendant laquelle MSN Messenger, Napster, Bluetooth et l’euro ont vu le jour, 1999 est aussi l’année où l’Université Memorial gelait ses droits de scolarité. Un gel dont l’arrêt à venir à l’automne 2022 a été signalé par l’Université l’été dernier.
Déjà en 2018, on commençait à en voir les signes : elle avait alors débloqué les taux pour les Canadiens d’ailleurs au pays. Une décision qui avait d’ailleurs semé la controverse, surtout auprès des groupes étudiants. Certains opposants estimaient que le gel des droits de scolarité était un moyen efficace d’accroître la population de Terre-Neuve-et-Labrador, c’est-à-dire que le coût relativement bas des études universitaires encourageait les étudiants à venir s’établir dans la province – quoiqu’on ne puisse trouver une preuve démographique pour appuyer cette hypothèse.
Pendant les 22 ans du gel tarifaire, de nombreux arguments pour son maintien ont été avancés, mais très peu d’études ont été menées sur les répercussions pour l’Université, les étudiants et la province qui le subventionne.
En 2010, mon groupe de recherche a donc entrepris d’interroger la population étudiante pour comprendre ce qui aurait porté le nombre de nouveaux étudiants en provenance des Maritimes à décupler dans les années 1990. De nombreuses personnes de la cohorte 2010 des Maritimes ont confirmé avoir choisi Memorial en partie pour ses frais moindres, ainsi que pour le choix de programmes et la réputation de l’établissement. Dix ans plus tard, à l’automne 2020, nous avons fait un suivi auprès de ce groupe pour évaluer les taux de persévérance et de réussite, déterminer si les étudiants résidaient toujours dans la province et comprendre ce qui avait motivé leur départ ou leur adoption de notre coin de pays.
Les résultats, récemment publiés dans la Revue canadienne en administration et politique de l’éducation, ne concordent pas avec la théorie voulant que le gel des droits de scolarité pour les étudiants des autres provinces ait grandement contribué à la croissance démographique de Terre-Neuve-et-Labrador. Cette contribution semble en fait assez modeste.
Les analyses présentées dans l’article montrent que 27 % des membres de la cohorte étudiée ne fréquentaient plus l’université un an après leur inscription. Ce taux de rétention est de plus de 10 % inférieur à la moyenne nationale dans les programmes de premier cycle. De même, le taux de persévérance après deux ans était de 61 %, soit environ 20 % de moins que la moyenne nationale. Selon les données de Statistique Canada sur les taux de réussite dans les programmes de premier cycle, 40 % des étudiants à temps plein obtiennent leur diplôme en quatre ans, et le taux de réussite passe à 74 % après six ans. Chez les sujets de notre étude, le taux de réussite après quatre ans était beaucoup plus faible (23 %), mais il rattrapait la moyenne nationale après cinq ans. Après six ans, le taux passait à 45 % – soit bien en deçà de la moyenne.
Contrairement à ce que disent les défenseurs du gel, les études de suivi ont montré que 78 % de ces étudiants ne résidaient plus dans la province 10 ans plus tard. Ceux qui avaient choisi de rester l’ont fait pour l’emploi, les études, la santé et le bien-être, ou pour rester près d’un conjoint ou de leurs amis. Les répondants qui avaient quitté la province donnaient souvent comme raison la recherche d’emploi, le coût de la vie et la proximité des amis. Il était aussi fréquemment question de se rapprocher de leurs parents.
Ces résultats devraient nous servir de leçon : ils démentent la vieille croyance selon laquelle le faible coût de scolarité créé par le gel attirerait les étudiants des autres provinces pour contrer le vieillissement de la population. Sous l’effet de l’attrition, près de la moitié des membres de la cohorte analysée n’a pas terminé ses études à l’Université Memorial. Beaucoup sont retournés au bercail sans décrocher de diplôme, bien plus que la moyenne nationale, d’ailleurs.
Si la croissance démographique était l’un des buts premiers de l’ancienne politique de réduction des droits de scolarité pour les Canadiens d’outre-province, l’étude montre que c’est loin d’être une réussite. Devant un taux de décrochage aussi élevé, il faut évaluer ces résultats relativement médiocres à la lumière des coûts assumés par les étudiants et leurs familles, sans parler des fonds versés par l’Université et la province.
Dale Kirby est professeur agrégé en éducation à l’Université Memorial.