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Retour en présentiel : la frustration croît au sein des corps professoraux

L’absence de consultation de la part des administrateurs d’université entraîne des relations de travail tendues dans certains établissements.

par HANNAH LIDDLE | 18 FEV 22

Au début de février, l’Association des professeurs de l’Université de Waterloo a tenu une réunion virtuelle réunissant plus de 300 membres. Cette rencontre visait à discuter des tensions avec l’administration de l’université, alors que l’établissement se préparait au retour de l’apprentissage sur place. Il s’agissait de la première rencontre de ce type depuis l’apparition du variant Omicron, et les émotions étaient à fleur de peau, selon Emmett Macfarlane, professeur agrégé de sciences politiques. « Je travaille ici depuis presque 10 ans maintenant, et je n’ai jamais vu autant de colère à l’endroit de l’Université, affirme M. Macfarlane. La grande majorité des gens était préoccupée du sort des personnes vulnérables et de leurs familles. »

Lorsque le taux d’infection au variant Omicron a commencé à grimper au début de décembre, de nombreuses universités ont annoncé qu’elles prolongeraient la pause hivernale ou amorceraient le prochain trimestre à distance. L’administration de l’Université de Waterloo a opté pour un retour progressif des étudiants et du personnel sur le campus à compter du 7 février, en affirmant sur son site Web que cette décision s’appuyait sur les recommandations de la santé publique.

Tandis que le retour sur le campus suscite des réactions mitigées de toutes parts, les corps professoraux de plusieurs universités au pays sont mécontents de ce qu’ils considèrent être une absence de consultation de la part de leur administration.

La pandémie a bouleversé la vie universitaire comme jamais auparavant, en obligeant les professeurs à jongler entre l’apprentissage en ligne, hybride et en personne au cours des deux dernières années. Selon Susan Wurtele, présidente de l’Union des associations des professeurs des universités de l’Ontario, même si le modèle d’enseignement hybride peut s’avérer efficace à court terme, les membres de son association sentent qu’on ignore leur charge de travail, leur santé mentale et leur sécurité, de même que celle de leurs familles et de leurs étudiants.

Le gouvernement du Québec maintient que les campus ne représentent pas de risques de transmission et a demandé aux universités de rouvrir leurs portes pour l’enseignement en personne le 17 janvier. Il leur a toutefois accordé une exemption de deux semaines, la plupart des universités ont jugé bon de s’en prévaloir. Christopher Buddle, provost adjoint de l’enseignement et des programmes d’études à l’Université McGill, affirme que le retour en classe était souhaité à la fois par son établissement et le gouvernement provincial.

« L’éducation demeure notre priorité commune, et nous accordons beaucoup d’importance à l’apprentissage en personne, explique-t-il. J’ai confiance que les mesures de protection dont s’est dotée l’Université permettent de créer un environnement d’apprentissage sécuritaire. »

Une communication « unidirectionnelle »

Le degré de consultation entre le corps professoral et l’administration concernant les mesures liées à la COVID-19 varie d’un établissement à l’autre, mais Mme Wurtele soutient que de nombreuses décisions sont prises sans que soit menée une consultation adéquate, du moins en Ontario. Même si les universités disposent de comités mixtes de santé et de sécurité qui recommandent les mesures sanitaires à adopter, ceux-ci ont rarement le dernier mot. De plus, les décisions ne sont pas discutées de manière adéquate au sein du sénat universitaire et des autres organes de gouvernance.

À la fin janvier, les administrateurs de l’Université de Waterloo ont sondé tous les employés de l’établissement au sujet du retour sur le campus. L’enquête a révélé que 58 % des répondants n’étaient pas favorables à un retour, alors que 24 % étaient plus que favorables. M. Macfarlane considère ce sondage comme un pas dans la bonne direction, mais affirme qu’en général, les communications avec le corps professoral ont été « unidirectionnelles ».

Nick Manning, vice-recteur adjoint aux communications à l’Université de Waterloo, mentionne que l’administration a tenu plusieurs forums pour informer le corps professoral des plans de l’Université, et que ses collègues et lui sont conscients du fait que le variant Omicron a engendré beaucoup de peur et d’anxiété.

« Depuis le début de la pandémie, les délais de prise de décision n’ont pas vraiment permis de respecter les procédures décisionnelles en place dans le milieu universitaire, où habituellement nous aurions mené de vastes consultations ou des discussions ou forums publics afin d’appuyer les décisions de planification à long terme, précise-t-il. C’est une situation qui s’est reproduite tout au long de la pandémie. Ces procédures sont difficilement applicables lorsqu’il s’agit de prendre des décisions très rapidement. »

L’auteur et stratège en enseignement supérieur du Canada Ken Steele abonde dans le même sens. Il estime que ce manque de communication avec le corps professoral tient probablement du fait que les administrateurs doivent prendre rapidement des décisions complexes en période de crise sanitaire.

Possibles effets à long terme

Pour d’autres, l’absence de consultation avec le corps professoral est symptomatique de problèmes latents en matière de gouvernance universitaire. Selon David Robinson, président de l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université, cela pourrait nuire aux relations de travail. « Les corps professoraux considèrent cela comme un symptôme du non-respect des structures de gouvernance collégiale et du partage du pouvoir décisionnel. Ce problème ne date pas d’hier, explique-t-il. Les corps professoraux se sentent lésés, car ils ont dû faire beaucoup de sacrifices et d’efforts pour s’adapter rapidement au mode d’enseignement en ligne. » Ces tensions entraînent maintenant des conflits de travail dans certaines universités.

En novembre dernier, le corps professoral de l’Université du Manitoba a entériné une entente salariale qui prévoyait le versement d’un montant forfaitaire en compensation de la charge de travail additionnelle causée par la pandémie. La semaine dernière, l’Association du corps professoral de l’Université Acadia a déclenché une grève. Andrew Biro, président de l’Association, a déclaré dans un communiqué que ses membres s’étaient surpassés tout au long de la pandémie.

Selon M. Steele, de tels exemples démontrent comment les émotions refoulées peuvent peser lourd sur les relations de travail. « Durant la pandémie, les professeurs ont mis de côté leurs demandes pour accorder la priorité aux étudiants, avance-t-il. Maintenant que la pandémie tire à sa fin […] cette frustration accumulée se fait ressentir dans le processus de négociation collective. »

Pour ce dernier, il n’y a aucun doute que les membres du corps professoral ont dû en faire plus tout au long de la pandémie pour donner leurs cours en ligne, et ce, sans rémunération supplémentaire dans la plupart des cas. Ce qui exacerbe surtout les tensions, ce sont les conversations sur la possibilité pour les universités canadiennes d’adopter de façon permanente le mode d’enseignement en ligne ou hybride. M. Steele ajoute que les professeurs s’inquiètent qu’on rende permanentes de telles approches d’urgence en matière d’enseignement. Selon lui, les professeurs chercheront à définir clairement les modalités entourant la prestation de cours en ligne dans leurs conventions collectives.

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