«Ce rôle, je l’ai construit en marchant» : le bilan de Rémi Quirion
À l’aube de son départ, le tout premier scientifique en chef du Québec dresse un bilan de son mandat : les avancées, les crises, les résistances… et les défis qui attendent sa ou son successeur dans un contexte de polarisation politique, de désinformation et d’intelligence artificielle.
En 2011, le Québec innovait en nommant Rémi Quirion comme premier scientifique en chef de son histoire. Son rôle : faire le pont entre les chercheuses et chercheurs, le gouvernement et la population. Quatorze ans plus tard, son mandat touche à sa fin. Celui qui a traversé les soubresauts de la pandémie, assisté à la montée de la défiance envers la science et contribué à inscrire la recherche dans les processus décisionnels revient, en entrevue avec Affaires universitaires, sur les moments marquants de son parcours, la manière dont il a façonné ce rôle unique, et sur les défis de plus en plus complexes que devra relever sa ou son successeur.
Q : Quel est votre bilan après ces quatorze années comme scientifique en chef du Québec?
Rémi Quirion :Deux choses me viennent à l’esprit. D’abord, je pense qu’on a réussi à rapprocher la science des décideurs politiques. Et aussi à la rapprocher de nos concitoyens et concitoyennes, grâce à différents programmes, notamment ceux de soutien à la relève, aux étudiants et aux chercheurs. Ces deux volets faisaient partie intégrante de mon rôle. On n’a pas tout réglé, mais je pense qu’on a avancé de façon significative.
Q : Justement, pendant votre mandat, il y a eu des périodes où la science a occupé beaucoup de place dans l’actualité ; la pandémie bien sûr, mais aussi les remises en question alimentées par des figures politiques comme Donald Trump. Est-ce que vous vous attendiez à devoir autant défendre la science en fin de parcours ?
R : Très bonne question. Oui, la pandémie nous a beaucoup occupés, évidemment. Mais d’un certain point de vue, ça a aussi été positif pour la science. Même s’il y avait des négationnistes, des gens qui ne croyaient pas aux vaccins, etc., je dirais que dans l’ensemble de la société, y compris dans le monde politique, on a mieux compris que la science et les données pouvaient être utiles pour prendre des décisions. Certains ministères, ici au Québec, ont découvert qu’il y avait de la recherche et des chercheurs. On a été très présents dans les médias, à la télé, dans les journaux.
Et les jeunes aussi se sont intéressés davantage à la science. Avant, beaucoup rêvaient de devenir joueurs de hockey dans la LNH. Là, certains se sont dit : « Travailler en science, ça pourrait être intéressant aussi. » C’est un effet positif de la pandémie. Est-ce qu’on a réussi à garder cet élan par la suite? Ce n’est pas facile, parce que l’actualité bouge vite, mais je pense que oui, dans l’ensemble, la science a gagné en visibilité.
Q : Est-ce que ce virage politique aux États-Unis vous a surpris?
R : Franchement, je n’aurais jamais cru vivre ce genre de situation. Voir les États-Unis, un leader mondial en recherche, attaquer aussi frontalement la science… C’est arrivé très vite, avec des décrets, une remise en question des données scientifiques. On disait : « Ce sont tes données, moi j’en ai d’autres, elles valent autant. » Et soudain, tout était remis à plat. Le changement climatique, l’ARN, Harvard, les grandes institutions : tout était attaqué.
J’en parlais à des collègues à l’UNESCO, à l’Académie des sciences, aux États-Unis : je croyais savoir ce que je faisais comme conseiller scientifique, mais maintenant, il faut réapprendre à parler aux élus. Et même si cela se passe aux États-Unis aujourd’hui, rien ne dit que ça ne nous attend pas ici demain. Il va falloir travailler encore plus étroitement avec les élus, les hauts fonctionnaires, mais aussi avec la société civile. Car oui, les sondages montrent que les gens font confiance aux chercheurs, mais ce sont souvent des voix silencieuses, qu’on n’entend pas sur les réseaux sociaux ni dans les médias. Il faut trouver des façons de les mobiliser.
Q : Revenons sur votre bilan. Y a-t-il un moment symbolique qui vous a particulièrement marqué?
R : Oui, deux moments pendant la pandémie. Le premier, c’est au tout début, lors d’une réunion avec les autorités. On ne savait rien sur le virus. Le premier ministre me demande : « Qu’est-ce qu’on sait du virus? » Et je lui réponds : « Rien. » Il me dit : « Mais je ne peux pas dire ça en conférence de presse, les gens vont paniquer. » C’était un moment difficile.
L’autre moment marquant, c’est quand j’ai été invité à l’émission Tout le monde en parle. Il y avait tellement de trafic sur le site des Fonds de recherche du Québec qu’il a planté. Là, je me suis dit : publier dans Nature ou Science, c’est important, mais pour rejoindre un large public, il faut aussi être dans ces émissions-là. C’est ça, mettre la science à l’avant-plan.
Q : Pensez-vous que votre rôle a eu un impact tangible sur la société québécoise?
R : Oui, je pense que les gens savent qu’il y a un scientifique en chef. Peut-être pas exactement ce que je fais, mais ils savent que ce rôle existe et qu’il peut aider à orienter les décisions. J’ai toujours été clair : je ne prends aucune décision. Je conseille, je donne des avis. Les élus, eux, doivent aussi considérer l’économie, les impacts sociaux. Mais on sent que la science est davantage prise en compte.
Par exemple, le ministère de l’Environnement a inscrit dans la loi la création d’un comité consultatif sur les changements climatiques, à la demande du ministre et avec mon appui. Au MAPAQ, on a travaillé sur l’agriculture durable, à la Santé, à l’Économie, à l’Enseignement supérieur… Il y a aussi eu beaucoup de travail sur la science citoyenne, participative. Les gens nous soumettent des idées de projets de recherche ; et c’est très riche.
Q : En 2011, le poste était nouveau. Comment l’avez-vous façonné?
R : Au départ, il n’y avait rien. Pas de description de poste. Le ministre voulait une personne à qui poser une question sans avoir à contacter trois universités. On m’a dit : « Voici ton bureau. Vas-y. » Alors j’ai appelé des collègues en Angleterre, en Australie, en Nouvelle-Zélande : « Que faites-vous quand un ministre vous appelle? » J’ai appris qu’il fallait répondre rapidement, proposer des pistes, et ne pas m’attacher au résultat. Avec les élus, on ne fait pas une demande de subvention, on ne publie pas un article : on donne un avis, puis le dossier passe à autre chose.
Il a fallu bâtir un lien de confiance avec les élus. Leur montrer que je n’étais pas là pour prendre la première page des journaux. Et il faut être résilient : j’ai eu 12 ou 13 ministres différents en 14 ans. Il faut apprendre à s’adapter, ce qu’on ne fait pas souvent dans le milieu universitaire.
Q : Avez-vous eu un modèle à suivre?
R : Je me suis inspiré des collègues en Angleterre et aux États-Unis, les deux endroits où ce type de poste existait depuis longtemps. Ils ont été très ouverts à partager leurs pratiques. Chaque contexte est différent, mais j’ai pu adapter certains éléments à la réalité québécoise. C’est aussi ce qui nous a poussés à créer un réseau international de scientifiques en chef.
Q : À quoi devrait ressembler ce rôle dans 10 ou 15 ans?
R : Il va falloir intégrer les outils d’intelligence artificielle, comme ChatGPT. On peut déjà s’en servir pour avoir une base d’information dans des domaines qu’on connaît peu. Mais il faut rester vigilant sur la qualité et la vérification. Cela dit, ce qui restera essentiel, c’est le lien humain, la confiance avec les élus. L’IA ne remplacera pas cela.
Q : Que diriez-vous à la personne qui vous succédera?
R : Je lui dirais d’être à l’écoute, de ne pas arriver avec toutes les réponses. De travailler en équipe, d’être humble, de bâtir des liens solides avec les hauts fonctionnaires et les élus, et de ne pas imposer son agenda. Il faut apprendre à répondre aux bonnes questions au bon moment, et être disponible quand on vous appelle.
Et puis, je dirais aussi : essaie d’avoir quelques petites victoires dès le début. Et surtout, n’oublie pas la société civile. Quand des gens peuvent dire : « J’ai travaillé avec le scientifique en chef et ça a bien marché », ce sont les meilleurs porte-paroles.
Q : Quels sont aujourd’hui, selon vous, les plus grands défis pour la diffusion des savoirs?
R : On doit être plus présents dans l’espace public. Certains chercheurs aiment ça, d’autres moins, et c’est correct. Mais il faut élargir le bassin. Très tôt, dès la maîtrise ou le doctorat, on devrait apprendre à mieux communiquer la science.
On a créé un programme qui s’appelle Dialogue : il permet à des chercheurs de vulgariser leur travail, que ce soit par des articles, des vidéos ou des blogues. Et on a aussi notre programme Engagement, qui repose sur la science participative. Des citoyens nous proposent des projets de recherche. C’est plus long à mettre en place, mais c’est une belle manière de faire découvrir la méthode scientifique.
Q : Et sur le plan du financement? La science a-t-elle les moyens qu’elle mérite au Québec?
R : Non, pas encore. On parle souvent d’un objectif de 3 % du PIB pour la recherche. Le Québec est à 2,2 %. On est les premiers au Canada, mais je ne veux pas me comparer à Toronto ou Vancouver. Je veux qu’on soit dans la même ligue que la Corée du Sud ou la Suisse. Les retombées sont réelles, mais elles prennent du temps. Il faut convaincre les décideurs d’investir au-delà de leur propre mandat politique.
Q : Avez-vous le sentiment d’avoir influencé d’autres provinces ou pays?
R : Au Canada, peu. L’Ontario avait un poste semblable, mais il a été aboli avec un changement de gouvernement. Ici, au Québec, c’est inscrit dans la loi, donc plus difficile à éliminer. À l’international, par contre, oui. Le Québec est perçu comme un modèle. Je suis invité la semaine prochaine au Pays basque, qui envisage de créer un poste similaire. On a aussi été très actifs dans le Sud global. Donc oui, je pense qu’on a eu un impact à ce niveau-là.
Q : Quel héritage espérez-vous laisser à la communauté scientifique et au public?
R : J’aimerais qu’on retienne que la science, ça peut être agréable, inspirant. Oui, c’est parfois difficile, exigeant, mais il y a aussi des moments magiques. Comme celui où un étudiant voit quelque chose au microscope et que vous réalisez ensemble que vous êtes les deux premiers humains à observer ce phénomène. C’est ce genre de moment qui donne du sens à tout ça.
Postes vedettes
- Architecture - Professeure adjointe ou professeur adjoint (humanités environnementales et design)Université McGill
- Études culturelles - Professeure ou professeurInstitut national de la recherche scientifique (INRS)
- Sciences de la terre et de l'environnement - Professeure adjointe ou professeur adjoint (hydrogéologie ou hydrologie)Université d'Ottawa
- Sociologie - Professeure adjointe ou professeur adjoint (féminismes, genres et sexualités dans les mondes noirs, africains et caribéens)Université de Montréal
- Aménagement - Professeure adjointe / agrégée ou professeur adjoint / agrégé (design d’intérieur)Université de Montréal
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