Les universités de langue française de l’Ontario veulent leur propre réseau

Une structure qui serait en partie inspirée par l’Université du Québec et visant à encourager la collaboration et à améliorer l’offre de programmes.

27 octobre 2022
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Un rapport détaillant la réflexion derrière la proposition de création d’un Réseau des universités francophones de l’Ontario (RUFO) et ses avantages a été remis aux élus de l’Ontario et du Canada ce printemps. Les établissements fondateurs seraient la jeune Université de l’Ontario français (UOF) et l’Université de Hearst, qui a obtenu son indépendance complète de l’Université Laurentienne cette année. Une place au sein du RUFO est déjà réservée pour l’Université de Sudbury si celle-ci parvient à obtenir le financement nécessaire pour rouvrir ses portes.

Dans l’introduction du document — que le recteur de l’Université de l’Ontario français, Pierre Ouellette, a partagé avec Affaires universitaires — les objectifs du réseau sont précisément énoncés. Le projet y est présenté comme un outil de cohésion, de concertation, de mise en commun de ressources, de partage et de développement.

« Nous sommes quand même deux petites universités […] Il y a des services que l’on pourrait appeler de base que l’on pourrait partager, faire des achats groupés, développer des bibliothèques, des services aux étudiant.e.s », énumère M. Ouellette en entrevue. Ensemble, les deux universités offrent en ce moment une dizaine de programmes.

« Nous, on voit l’avenir de l’Université de Sudbury à l’intérieur d’un réseau d’universités de langue française en Ontario. C’est ce que la communauté souhaite. On trouve que ç’a du sens au niveau d’une future programmation, des services aux étudiant.e.s et des services administratifs. Ça va permettre de mettre les ressources sur ce qui compte vraiment », commente le recteur de l’Université de Sudbury, Serge Miville.

Selon le recteur de l’Université de Hearst, Luc Bussières, l’idée n’est pas nouvelle. « Je suis en poste depuis 2017 et déjà j’avais ces discussions-là avec Dyane Adam, qui était présidente du conseil de gouvernance [pour créer l’UOF]. »

Le rapport et les recteurs des deux établissements fondateurs insistent sur l’importance de la gouvernance « par et pour » les francophones dans le réseau. Ils rappellent que l’histoire de l’éducation universitaire en français en Ontario démontre que la gouvernance « se fait difficilement dans le contexte d’institutions bilingues ou d’institutions fédérées ou affiliées ».

D’ailleurs, cette distinction cadre bien dans les critères pour les demandes de financement que peuvent faire les établissements pour obtenir une part des 121,3 millions de dollars que le gouvernement du Canada a réservés en 2021 pour appuyer l’éducation postsecondaire en français au Canada.

Précisons que le rapport ne contient aucune demande financière spécifique, puisqu’il s’agit avant tout de présenter le concept et la structure de base. Selon la proposition, le réseau serait financé à la fois par les gouvernements et les membres.

S’ils n’ont pas encore reçu de confirmation ou d’approbation, les recteurs assurent que les premiers échos des élus fédéraux et provinciaux sont positifs.

Objectifs et avantages

M. Ouellette affirme que l’idée de réaliser des économies grâce au réseau est secondaire. Le but premier est « d’optimiser ce que l’on fait pour être capable d’en faire plus, parce qu’on est petit ».

Le RUFO aurait plusieurs atouts pour l’offre de programmes. Avant tout, permettre aux membres de se parler en amont pour « éviter de se piler sur les pieds » et offrir des programmes trop similaires, indique le recteur de l’UOF. « On est trop petit comme communauté. Nos ressources sont limitées. On ne peut pas se permettre de faire ça. »

« On a eu des discussions très franches entre les trois recteurs là-dessus, élabore M. Bussières. C’est important d’établir une base de programmation dans chacun de nos établissements qui va nous permettre de bien vivre. De jouer notre rôle dans nos régions. »

D’autre part, le réseau pourrait aussi permettre d’élargir l’offre de programmes dans chacun des établissements membres, voire de créer des programmes conjoints.

Mais M. Ouellette est catégorique : le réseau ne servira pas à créer des programmes à Toronto pour les offrir en ligne dans le Nord de l’Ontario. « C’est une possibilité, mais le réseau n’est pas bâti sur cette prémisse-là. »

Le rapport suggère également que le RUFO discuterait avec le gouvernement au nom de ses membres. M. Ouellette précise qu’il ne remplacerait pas les universités francophones, qu’il serait plutôt un intervenant de plus pour certains sujets.

Inspirations et adaptations

Pour imaginer le RUFO, des réseaux universitaires plus ou moins centralisés ont été étudiés, dont celui de l’Université du Québec (UQ) et celui de la State University of New York – volet universités. Ces deux réseaux ont une chose en commun : leur création a été promulguée par une loi. Chose que le RUFO veut éviter.

La centralisation du réseau francophone ontarien serait quelque part entre ces deux modèles, quoique le rapport parle plus longuement de l’UQ. Les universités y seraient partenaires à parts égales et garderaient leur autonomie de gestion, de gouvernance, pédagogique, administrative et financière. « On a développé une expertise à desservir notre région. Ça on y tient, puis la gouvernance locale, la prise de décision locale, c’est très important », dit M. Bussières.

Le RUFO aurait son propre comité de gouvernance présidé en alternance par les recteurs et pourrait compter sur un bureau de coordination. Les collaborations porteraient sur l’enseignement, la recherche, le recrutement et la promotion, l’expérience étudiante, l’internationalisation, l’engagement communautaire et les ressources matérielles et financières.

La présidente par intérim de l’Université du Québec, Johanne Jean, trouve flatteur que le réseau québécois ait en partie servi d’inspiration. Elle voit beaucoup d’avantages propres à l’UQ qui pourraient être bénéfiques pour un réseau francophone en Ontario, comme la collecte de données comparables, les achats regroupés et la gestion des recherches.

Un des prérequis nécessaires selon elle est que chaque membre fasse confiance au réseau et aux autres membres. Les trois recteurs ontariens se connaissent très bien; M. Ouellette a été recteur de l’Université de Hearst avant M. Bussières. Les trois se parlent régulièrement.

Elle recommande aussi de s’armer de patience. « La collaboration, ça prend du temps. Il ne faut jamais tenir pour acquis les collègues. » Cette collaboration doit dépasser le niveau administratif pour être durable; elle doit aussi se faire au niveau du corps professoral, prévient-elle.

Mme Jean entrevoit que le RUFO aura un défi de moins à relever que l’UQ , puisque toutes ses universités seront sensiblement de la même taille. Il n’y aura donc pas d’établissement plus imposant qui aura un effet démesuré sur le réseau.

Seul l’avenir dira si le RUFO aura un impact similaire à l’UQ sur les régions où il sera présent. « Il n’y a pas de projet qui se déroule dans une région comme l’Abitibi-Témiscamingue sans que l’Université soit impliquée de près ou de loin », affirme Mme Jean, qui a été rectrice de cette université. « Dans certaines régions, [les Universités du Québec] ont doublé le niveau de scolarité au cours de 40-45 dernières années. »

Universités bilingues et collèges : pas entièrement exclus

Question de ne pas « diluer » les francophones dans une masse anglophone, les universités « par et pour » les francophones seront les seules qui pourront être membres à part entière du réseau. Une porte est tout de même entrouverte pour les universités bilingues ou avec un îlot francophone et les collèges de langue française — La Cité et Boréal.

Ces établissements pourraient, dans une deuxième phase, devenir des membres associés. « Il faut reconnaître qu’il se fait aussi des choses favorables à la communauté francophone dans les universités bilingues et même dans les universités de langue anglaise », rappelle M. Ouellette. Le concept de membres associés devient pertinent dans la perspective de collaborations pour des services ou de la recherche.

Avant d’en arriver là cependant, le réseau devra se tenir debout seul. « On a besoin de jeter les bases d’un nouveau modèle de gouvernance pour créer ce réseau, lui donner des moyens de se développer et qu’on le prenne au sérieux, autant par les universités bilingues que par les gouvernements fédéral ou provincial », affirme M. Bussières.

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