Immigration Canada discrimine les étudiant.e.s d’Afrique francophone. Voici ce que Québec devrait faire pour y mettre fin

En 2021, le gouvernement canadien a rejeté 72 % des candidatures provenant de pays africains ayant une forte population francophone, contre 35 % pour l’ensemble des autres régions du monde.

02 novembre 2022

La campagne électorale québécoise s’est terminée sur un verdict sans appel. La Coalition avenir Québec (CAQ) a été reportée au pouvoir face à une opposition divisée et en retrait.

L’heure est au bilan et à l’élaboration des nouvelles orientations du gouvernement. Notamment en matière d’immigration.

Une campagne pénible sur le thème de l’immigration

Il a beaucoup été question d’immigration durant cette campagne. Rarement en des termes qui élevaient le débat, malheureusement. Le premier ministre François Legault a amalgamé l’immigration à des mœurs violentes pouvant heurter les « valeurs » des Québécois.e.s. L’ancien ministre de l’Immigration, Jean Boulet a démontré sa méconnaissance des chiffres de son propre ministère lors d’une sortie gênante. En voulant rectifier le tir, le premier ministre en a rajouté en qualifiant une hausse des seuils d’immigration au-delà de 50 000 immigrant.e.s par année de « suicidaire ».

Il est tout à fait légitime pour un État de mesurer les impacts de différents seuils d’immigration. Mais si le nouveau gouvernement veut se faire rassembleur, il devrait éviter d’avoir recours à des sifflets à chiens pour les amateurs et amatrices de théories du déclin.

En tant que professeur dans le domaine de la sociologie politique, je m’intéresse aux dynamiques et transformations sociopolitiques au Québec et au Canada.

Discrimination systémique à Immigration Canada

Lors de son deuxième mandat, le gouvernement caquiste doit aborder les enjeux liés à l’immigration d’une façon moins frileuse et plus ambitieuse.

Paradoxalement, dans un contexte où plusieurs partis à l’Assemblée nationale adhèrent à une forme ou à une autre de nationalisme, aucune formation ne semble s’inquiéter de la diminution du poids démographique du Québec et de la francophonie au sein de la fédération canadienne, confirmée par les dernières données publiées par Statistique Canada.

Or, le développement de la francophonie canadienne et des institutions francophones au Québec devra passer, entre autres choses, par une immigration en provenance des pays d’Afrique francophone et par une plus grande ouverture à l’égard de celle-ci.

En lien avec ce premier enjeu, un deuxième doit être abordé et dénoncé de façon beaucoup plus frontale par l’Assemblée nationale à Québec, soit celui des obstacles posés par le gouvernement fédéral, par Immigration Canada pour être précis, aux étudiants.e.s de la francophonie noire africaine qui cherchent à étudier dans un établissement francophone au Québec.

Ces étudiants.e.s subissent un taux de refus nettement supérieur aux étudiants.e.s appliquant dans les établissements anglophones : ce taux se situe autour de 60 % au Québec, 45 % en Ontario et 37 % en Colombie-Britannique. Les étudiants.e.s d’Afrique francophone sont surreprésenté.e.s parmi ces refus. En 2021, le gouvernement canadien a rejeté 72 % des candidatures provenant de pays africains ayant une forte population francophone, contre 35 % pour l’ensemble des autres régions du monde.


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Cette situation est documentée et connue à Immigration Canada. Mais combattre cette forme de discrimination ne semble pas la priorité du ministère.

Ça ne semble pas être une priorité du Parti libéral du Canada non plus, en dépit de sa profession de foi antiraciste dans bien d’autres dossiers. Cette situation cause un préjudice d’abord aux étudiants.e.s en question, puis aux établissements d’enseignement supérieur au Québec. C’est pour cette raison que l’Assemblée nationale doit s’en saisir vigoureusement.

Racisme et francophobie

Durant les premiers mois où cette situation a été révélée, deux arguments ont été mis de l’avant par le fédéral pour la justifier : un problème algorithmique (ceux-ci ont le dos large); puis, la crainte que ces étudiants.e.s ne retournent pas dans leur pays.

Cette deuxième affirmation avait le mérite d’être claire. Pire, lorsqu’il s’agit de la francophonie noire africaine, le traitement discriminatoire des demandes va au-delà des seuls étudiant.e.s. C’est l’ensemble des dossiers qui semble faire l’objet de délais déraisonnables. De nombreux chercheurs et chercheuses africain.e.s devant participer à des congrès, comme celui sur sur le sida, qui se tenait cet été à Montréal, ont vu leur demande de visas refusée ou ne l’ont pas reçu à temps, une situation dénoncée par les responsables.

Encore là, le gouvernement libéral a l’indignation à géométrie variable.

Dernièrement, Immigration Canada a confessé du bout des lèvres qu’il y avait du racisme, jumelé à de la francophobie, à son ministère. Cela survient près d’un an après que ces pratiques aient été dénoncées par les établissements d’enseignement supérieur francophones.

L’Assemblée nationale du Québec doit dénoncer à l’unanimité cette discrimination.

Québec doit également rectifier le tir

Dans ce dossier, le gouvernement québécois doit lui aussi faire un examen de conscience.

Les signaux envoyés par Québec ces dernières années n’ont pas été attrayants pour les étudiant.e.s provenant de l’étranger. Dans le cadre d’une mesure incompréhensible, le gouvernement a alourdi et allongé le temps de résidence nécessaire au Québec pour les ces étudiant.e.s souhaitant y demander la résidence permanente ou la citoyenneté.

Or, à la fin de leurs études ces étudiants.e.s bénéficient d’un réseau favorable à leur insertion professionnelle, sociale et culturelle. Pour reprendre une formule du premier ministre Legault, créer des embûches à ces étudiants.e.s est « suicidaire » pour l’attrait des universités québécoises face à leurs rivales des autres provinces.

Jouer les régions contre Montréal nuit aux établissements francophones à Montréal

Un troisième enjeu gagnerait à être réévalué par la nouvelle ministre de l’Enseignement supérieur, Pascale Déry.

À la fin de son premier mandat, la CAQ a pris la décision de favoriser la régionalisation des étudiant.e.s provenant de l’international dans certains domaines d’études au moyen d’incitatifs financiers pour étudier en région.

C’est, en soi, une excellente nouvelle. Les étudiants.e.s provenant de l’étranger s’établissant en région dynamisent le tissu social et culturel et revitalisent des établissements d’enseignement indispensables à la vitalité des régions. Cependant, on peut se demander s’il est pertinent de jouer les régions contre Montréal sur cet enjeu. Afin de freiner le déclin des établissements d’enseignement francophones à Montréal (toutes connaissent une baisse d’inscriptions cet automne), le gouvernement provincial peut aussi agir en les aidant à attirer des étudiant.e.s francophones provenant de l’international à Montréal.

Jouer les régions contre Montréal est de bonne guerre en campagne électorale, mais si le gouvernement est sérieux à l’égard de la situation du français à Montréal, il doit se doter d’un plan pour contribuer au rayonnement de l’enseignement supérieur en français également dans la métropole.

Francophonie métropolitaine : le temps est à l’ambition

En 1967 et 1968, la création du réseau des Cégeps et de l’Université du Québec a favorisé la démocratisation de l’accès à l’éducation en français au Québec.

En 2022, l’objectif de la nouvelle ministre de l’Enseignement supérieur pourrait être de faire de ce réseau d’éducation publique un pôle de référence pour la francophonie au Canada et dans le monde. Une première étape de ce programme devrait consister dans un appui systématique aux universités francophones dans leurs tentatives d’attirer des étudiant.e.s de la francophonie canadienne.

Dans un contexte où les campus francophones hors Québec subissent des compressions alarmantes et où règnent un climat de francophobie à l’Université d’Ottawa, qui a pourtant, sur papier, le mandat de célébrer la francophonie, le gouvernement québécois doit se montrer plus attrayant, plus agressif et plus ambitieux.

En somme, la CAQ doit se doter d’une stratégie cohérente, ambitieuse et moins frileuse en matière d’éducation publique supérieure et d’immigration durant ce deuxième mandat.

L’élaboration d’une telle stratégie pourrait faire l’objet d’une concertation impliquant la ministre Pascale Déry, la nouvelle ministre de l’Immigration, Christine Fréchette, ainsi que Pierre Fitzgibbon, ministre de l’Économie ainsi que de l’Innovation et du Développement économique de la région de Montréal. Il faut leur souhaiter de l’ambition dans l’appui au rayonnement des institutions d’éducation publique supérieures, que ce soit à Montréal ou en région.

Ces établissements devront être reconnus et appuyés comme des vecteurs au cœur de l’intégration sociale et culturelle au Québec. Cette stratégie devrait se montrer ambitieuse également en ce qui a trait au développement de collaborations avec les universités de la francophonie africaine, et elle devra envoyer un signal clair en condamnant de façon unanime les pratiques discriminatoires à Immigration Canada.

Frédérick Guillaume Dufour est professeur en sociologie politique à l’Université du Québec à Montréal

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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