En 2023, l’anglais deviendra la principale langue des thèses et mémoires au Québec
Depuis le début du siècle, un mémoire de maîtrise sur trois et une thèse de doctorat sur deux a été écrite en anglais, au Québec.
Un point de bascule sera vraisemblablement franchi en 2023. Cette année, le Québec devrait compter un plus grand nombre de thèses et de mémoires publiés en anglais qu’en français.
C’est l’un des constats qui émerge de la mise à jour d’une étude que j’ai présentée à la fin avril dans le cadre du forum La science en français organisé par les Fonds de recherche du Québec (FRQ).
Un corpus de 110 000 documents
Comment suis-je arrivé à ces résultats? J’ai moissonné l’ensemble des thèses et des mémoires disponibles dans les répertoires institutionnels de 17 des 20 universités du Québec (voir les notes méthodologiques en fin d’article).
J’avais fait ce travail une première fois en 2016 pour le Magazine de l’Acfas. À l’époque, je ne m’intéressais qu’à la longueur de ces documents, par grade, par discipline, par université.
J’ai mis à jour cette étude cinq ans plus tard, en y ajoutant un volet dans lequel j’ai aussi examiné la langue dans laquelle a été rédigé chaque document. Mes données couvraient les années 2000 à 2020 et la croissance de l’anglais était manifeste.
Pour le forum des FRQ, j’ai fait une nouvelle mise à jour pour inclure les années 2021 et 2022 et vérifier si l’anglicisation des documents attestant des diplômes des cycles supérieurs se poursuivait. Je vous vends le punch immédiatement : elle se poursuit.
Mon corpus comprend donc quelque 110 000 thèses et mémoires publiées au cours des 23 dernières années (2000 à 2022). Au cours de cette période, un peu plus de 62 % de ces documents qui attestent du parcours d’une personne aux cycles supérieurs ont été rédigés dans la langue du Frère Marie-Victorin.
Le graphique ci-dessous montre comment les langues se répartissent en fonction du grade octroyé. À la maîtrise, 33,4 % des mémoires ont été rédigés en anglais, et c’est le cas de 46,3 % des thèses au doctorat. En somme, depuis le début du siècle, un mémoire de maîtrise sur trois et une thèse de doctorat sur deux a été écrite en anglais, au Québec.
Évolution dans le temps
Quand on répartit les données en fonction des années, on se rend compte de la croissance de l’usage de l’anglais depuis une vingtaine d’années.
Les proportions indiquées avant 2007 sont peu représentatives, puisque les répertoires institutionnels contiennent moins de documents publiés ces années-là. Mais depuis, la tendance est claire. En 2022, sur les 4 452 thèses et mémoires que j’ai trouvés dans les répertoires institutionnels au moment de mon moissonnage (février 2023), 2 200 étaient rédigés en anglais, 2 248 l’étaient en français et quatre dans une autre langue. Si cette tendance se maintient, l’anglais dépassera le français en 2023 pour la production aux cycles supérieurs au Québec.
En distinguant les mémoires et les thèses, le portrait se raffine.
Au deuxième cycle, on compte encore une majorité de mémoires publiés en français. Mais au troisième cycle, le français est minoritaire depuis 2018 déjà.
Situation dans les universités francophones
Cette prédominance de l’anglais s’explique peut-être parce que les deux universités anglophones de Montréal, les universités McGill et Concordia, comptent pour près du tiers des documents que l’on retrouve dans les répertoires institutionnels québécois. Excluons-les pour ne se concentrer que sur les 15 universités francophones du Québec.
Les deux graphiques ci-dessus montrent que la langue française y est plus vigoureuse. L’anglais progresse néanmoins de telle manière qu’en 2022, une maîtrise sur six et un doctorat sur trois publié dans l’une des 15 universités francophones du Québec l’a été dans la langue de Rutherford.
Répartition par établissement
Les deux graphiques ci-dessous, qui présentent la proportion de mémoires et de thèses publiés en anglais par année, et par établissement, montrent que la situation n’évolue pas au même rythme partout.
Ils montrent assez clairement que c’est au doctorat que ça se passe, notamment dans les universités qui se spécialisent en génie. En 2021 et 2022, 198 des 304 doctorats décernés à Polytechnique Montréal et à l’École de technologie supérieure l’étaient sur la base d’une thèse écrite en anglais (65 %).
Raffiner les métadonnées
Cela dit, au Québec, il est rare qu’une thèse ou qu’un mémoire soit rédigé intégralement en anglais. On trouve toujours minimalement un résumé en français.
Dans certains cas, une maîtrise ou un doctorat consiste à publier (en anglais) des articles dans une revue scientifique. Leurs signataires font alors l’effort de rédiger des introductions et des conclusions générales en français.
C’est ce qu’on retrouve, par exemple, dans ce mémoire réalisé à l’Université Laval. L’introduction est quand même costaude avec ses 44 pages. La conclusion fait pour sa part 16 pages. Toutes les deux sont écrites en français. Mais les quatre articles qui composent l’essentiel du mémoire sont rédigés en anglais et font 114 pages. La langue qui a été attribuée à ce document est donc l’anglais. Mais en réalité, il faudrait pouvoir indiquer que son contenu est en anglais à 65 % et en français à 35 %.
Les métadonnées associées aux mémoires et thèses ne permettent pas de préciser dans quelle proportion une langue est utilisée dans un document. Les normes qui définissent ces métadonnées, comme Dublin Core par exemple, disent que plusieurs langues peuvent être attribuées à un même document. Mais il faudrait les peaufiner pour pouvoir ajouter la proportion de chacune. On aurait alors un portrait sans doute plus fin, et peut-être moins dramatique, de la part du français dans les études supérieures.
Il n’en demeure pas moins que le tableau de la place du français demeure sombre dans toutes les activités scientifiques au Canada et au Québec. Le chercheur Vincent Larivière observait déjà qu’en 2015, les travaux publiés par les chercheurs et chercheuses québécois.es et indexés dans le Web of Science étaient en anglais dans une proportion de près de 100 % en sciences naturelles et en génie, de 95 % en sciences humaines et sociales, et d’environ 67 % dans les arts et les humanités.
Plus récemment Radio-Canada a démontré que 95 % des recherches financées au Canada entre 2019 et 2022 l’ont été après une demande rédigée en anglais. Les données que je présente viennent compléter le portrait en se penchant sur la langue utilisée par les scientifiques en herbe que sont les étudiant.e.s à la maîtrise et au doctorat.
Il semble ainsi qu’à toutes les étapes, des études aux cycles supérieurs jusqu’à la publication dans les revues savantes, en passant par le financement de la recherche, la science au Québec doit se faire en anglais pour être reconnue.
Bien sûr, l’anglicisation de la science est un phénomène mondial. Il touche des puissances en recherche comme l’Allemagne, la France, le Japon ou la Chine. Mais la science n’est-elle pas également, au même titre que la littérature, la musique ou le cinéma, le reflet d’une culture?
Notes méthodologiques
Les données ont été parfois extraites directement des répertoires des établissements, parfois moissonnées à partir de la section thèses et mémoires d’Érudit. Je décris cette opération de façon détaillée dans un répertoire github. Environ 103 000 documents ont été recueillis de cette manière.
Environ 500 ont été ajoutés grâce aux métadonnées de Thesis and Dissertations de ProQuest fournies par Vincent Larivière, que je remercie.
Environ 6 000 autres ont été ajoutés grâce à aux métadonnées de Thèses Canada, de Bibliothèque et archives Canada, fournies par Alexander Jerabek, Pierre Nault et Mélanie Verville, des Bibliothèques UQAM, que je remercie également.
Les trois établissements absents sont :
- l’Université Bishop’s, parce que son répertoire institutionnel de l’Université Bishop’s ne contient aucun mémoire ni aucune thèse;
- le siège de l’UQ, parce qu’il n’accueille aucun.e étudiant.e;
- le Collège militaire royal de Saint-Jean, parce que bien qu’il ait été reconnu comme université au Québec en juin 2021, son répertoire institutionnel ne permet pas de déterminer si un mémoire ou une thèse a été réalisée à son campus de Kingston ou à celui de Saint-Jean.
Enfin, quand j’ai fait ma présentation au forum des FRQ, il y avait encore 1 500 documents dont j’étais incapable d’identifier le grade. Il s’agissait surtout de thèses et de mémoires de l’Université Laval, qui a mis à jour son répertoire institutionnel en 2021, le rendant plus difficile à moissonner! Mais j’ai depuis réussi à trouver la manière d’y accéder programmatiquement. Les données que je présente dans cet article sont donc complètes. Je les rends accessibles dans Boréalis, le dépôt institutionnel de données de recherche de l’Université du Québec à Montréal.
Jean-Hugues Roy est professeur dans l’École des médias à l’Université du Québec à Montréal.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Postes vedettes
- Medécine- Professeur.e et coordonnateur.rice du programme en santé mentaleUniversité de l’Ontario Français
- Droit - Professeur(e) remplaçant(e) (droit privé)Université d'Ottawa
- Littératures - Professeur(e) (Littérature(s) d'expression française)Université de Moncton
- Médecine - Professeur(e) adjoint(e) (communication en sciences de la santé)Université d'Ottawa
- Chaire de recherche du Canada, niveau 2 en génie électrique (Professeur(e))Polytechnique Québec
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