Des chercheurs canadiens ont dévoilé les résultats préliminaires de l’enquête APIKS (Academic Profession in the Knowledge Society) de 2018, sur la profession universitaire dans la société du savoir. L’enquête, peut-être la plus importante du genre jamais réalisée, a permis de sonder des professeurs universitaires de 33 pays sur une grande variété de sujets, dont les activités de recherche et d’enseignement, la gestion du temps, les réalisations universitaires, la perception du travail et la satisfaction professionnelle.
Cette initiative fait suite à l’étude Changing Academic Profession 2007, qui portait sur le travail en milieu universitaire dans 18 pays, explique Glen Jones, doyen de l’Ontario Institute for Studies in Education (OISE) de l’Université de Toronto, qui dirige l’équipe responsable de l’analyse des données du volet canadien de l’enquête APIKS.
Les données canadiennes proviennent d’un sondage en ligne effectué entre le 24 octobre 2017 et le 30 juin 2018. Comprenant 51 questions, le questionnaire a été envoyé à plus de 30 000 professeurs à temps plein aspirant à la permanence dans 64 universités canadiennes. Au total, les chercheurs ont reçu 2 968 questionnaires dûment remplis, ce qui représente un taux de réponse légèrement inférieur à 10 pour cent.
Lors du récent Congrès des sciences humaines à Vancouver en juin, M. Jones et trois de ses collègues ont dévoilé des données liées à quatre des sujets traités : l’enseignement et la recherche, la production de recherche, la satisfaction et les tensions professionnelles, et l’internationalisation. (L’OISE a publié d’autres résultats généraux de l’enquête sur son site Web.)
Les réponses au questionnaire font toujours l’objet d’analyses et de comparaisons entre les pays, mais en résumant les résultats préliminaires du volet canadien, M. Jones constate que « le lien entre l’enseignement et la recherche demeure fort au Canada, et la plupart des professeurs croient que l’un et l’autre sont complémentaires ».
« Il est aussi intéressant de noter que bien que la majorité des professeurs pensent que leurs travaux de recherche les aident à mieux enseigner, cette relation est perçue différemment selon les disciplines. Les différences entre les domaines seront bien sûr étudiées dans d’autres volets de l’enquête, ainsi que les écarts dans l’expérience des professeurs qui travaillent dans différents types d’universités au Canada. »
Grace Karram Stephenson, chercheuse postdoctorale au Département de leadership pédagogique, d’enseignement supérieur et d’éducation des adultes à l’OISE, a livré un exposé sur le lien enseignement-recherche. Selon une majorité de professeurs, on accorde une plus grande valeur à la recherche qu’à l’enseignement, « ce qui n’a rien d’étonnant, puisque c’est la recherche qui attire les subventions », déclare-t-elle. « Les travaux de recherche sont aussi un facteur déterminant pour accorder une permanence ou évaluer le rendement », ajoute M. Jones.
Près de la moitié des participants (47,7 pour cent) disent s’intéresser à l’enseignement, mais préférer la recherche, tandis qu’un quart (24,9 pour cent) d’entre eux penchent plutôt vers l’enseignement, sans pour autant renier la recherche. En tout, 78 pour cent des professeurs croient fermement que leurs travaux de recherche font d’eux de meilleurs enseignants. Ces activités leur permettent en effet de garder leurs connaissances à jour et de générer des idées, en plus de favoriser les échanges internationaux et la réflexion critique.
Dans son exposé, Olivier Bégin-Caouette, professeur adjoint à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal, s’est intéressé aux différences entre établissements et professeurs en ce qui concerne la production de recherche. Les professeurs du groupe U15, qui réunit des universités axées sur la recherche, publient plus d’articles dans des publications savantes, mais moins de livres que ceux des universités polyvalentes. Ils sont aussi plus susceptibles de faire de la recherche en collaboration et reçoivent la majeure partie de leur financement (37 pour cent) des organismes nationaux. À l’opposé, les professeurs des universités qui offrent principalement des programmes de premier cycle reçoivent la plus grande part de leur financement (43 pour cent) des établissements et tendent vers la recherche à caractère social.
Lors de la séance, Amy Scott Metcalfe, professeure agrégée au Département d’enseignement de l’Université de la Colombie-Britannique, s’est penchée sur la question du stress professionnel. Sur une échelle de 1 (entièrement en désaccord) à 5 (entièrement d’accord), l’affirmation « Je suis satisfait de mon travail » a obtenu la note de 3,88. Toutefois, l’affirmation « Mon travail est une source considérable de pression » a aussi obtenu la note relativement élevée de 3,22.
La pression associée au travail était perçue comme plus forte par les professeurs agrégés et adjoints (3,39 et 3,5 respectivement) que par les professeurs titulaires (2,98). De plus, l’affirmation « Le moment n’est pas bien choisi pour entreprendre une carrière universitaire dans mon domaine » a obtenu la note de 3,5. De toute évidence, les professeurs ne sont pas tous satisfaits de l’état de la profession.
Bien que les hommes et les femmes se disent généralement satisfaits au travail, on observe une certaine disparité dans le degré de satisfaction entre les sexes, un constat qui, selon Mme Metcalfe, concorde avec des recherches antérieures sur les difficultés qu’éprouvent les femmes en milieu universitaire. En moyenne, ces dernières sont légèrement moins satisfaites que leurs collègues masculins, s’inquiètent davantage de l’avenir de la profession et sont plus susceptibles d’être stressées par leur situation professionnelle.
En ce qui touche l’internationalisation, M. Jones mentionne que les universités du groupe U15 comptaient le pourcentage le plus élevé de professeurs (39 pour cent) convaincus que leur établissement avait clairement défini sa stratégie. Viennent ensuite les universités offrant principalement des programmes de premier cycle (29,6 pour cent) et les établissements polyvalents (25,2 pour cent). Globalement, une forte majorité de participants (70,3 pour cent) affirmaient collaborer avec des collègues étrangers.
« Les discussions internationales sont prisées, souligne M. Jones. Pourquoi collaborer avec la personne au bout du couloir quand vous pouvez travailler avec les meilleurs chercheurs du monde entier? »
Les chercheurs qui ont collaboré à l’enquête APIKS comptent produire une série de volumes renfermant des analyses comparatives des principaux thèmes et enjeux qui ressortiront de l’étude. « Je crois que le plan actuel consiste à publier 10 ouvrages du genre, mais ce nombre pourrait changer au fil du temps, précise M. Jones. Le premier volume devrait voir le jour en 2020. »