Des chercheurs exposent le phénomène grandissant d’auto-autochtonisation

Les Métis autoproclamés sont de plus en plus nombreux dans l’est du Canada et dans les universités selon des études.

07 avril 2020

Alors que plusieurs médias au Québec exposent des personnes s’appropriant une identité autochtone, Darryl Leroux a publié en septembre 2019 un livre analysant ce phénomène d’« auto-autochtonisation ». Dans Distorted Descent : White Claims to Indigenous Identity, le professeur de l’Université Saint-Mary’s explore plusieurs forums de généalogie pour identifier la mécanique individuelle de l’auto-autochtonisation, c’est-à-dire le fait de s’identifier soudainement comme Autochtone sans reconnaissance officielle. Il analyse également des centaines de documents émanant de deux procédures judiciaires entamées par des organismes « Métis » qui revendiquent des droits de chasse, de pêches et territoriaux, au détriment même des autres groupes autochtones présents sur le territoire.

Glissement identitaire

L’auto-autochtonisation (self-indigenization en anglais) est définie comme la soudaine revendication d’une identité autochtone en invoquant des liens ténus. La pratique serait particulièrement forte au Québec, au Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-Écosse et sur la côte est américaine. Même si l’auto-autochtonisation n’épargne pas l’Ouest canadien, le déplacement identitaire (race-shifting en anglais)  y est toutefois plus rare, selon M. Leroux, notamment à cause de la présence plus marquée des Autochtones.

« On parle de Franco-descendants qui utilisent par exemple une ascendance qui remonte à plus de 400 ans pour réclamer une identité autochtone », explique M. Leroux. Le phénomène est en augmentation dans l’est du Canada depuis l’arrêt Powley de 2003, qui a énoncé une série de critères pour qu’une personne soit reconnue comme Métis.

L’auteur et professeur Darryl Leroux travaille depuis près de deux décennies sur la dynamique du racisme et du colonialisme chez les descendants français.

S’ajoutent à cela la méconnaissance de l’histoire du peuple Métis par les Québécois et l’ambiguïté en français de l’usage du terme métis/métissage (pour « mélangé »). « D’abord, il y a souvent confusion dans l’est du Canada quant à savoir qui sont les Métis de l’Ouest », explique Pierrot Ross-Tremblay, professeur en études canadiennes et autochtones à l’Université d’Ottawa et Innu d’Essipit. Les Métis sont un peuple de chasseurs de bisons ayant émergé au 18e siècle autour de Winnipeg et de la rivière Rouge. L’histoire du peuple Métis est complexe, et ne peut être réduite à la génétique : « C’est le récit d’une variété de peuples autochtones qui se sont unis et qui ont développé des liens diplomatiques jusqu’à constituer un peuple », poursuit le professeur Ross-Tremblay.  « L’idée d’un peuple autochtone post-contact déconcerte les gens », résume Chris Andersen, professeur à l’Université d’Alberta et Métis.

Violence coloniale

En se réclamant d’un ancêtre remontant à plusieurs générations, autochtonisant parfois même une femme européenne, M. Leroux estime que la pratique répète une certaine forme de violence coloniale. « Certains membres des Premières Nations ont été déconnectés de leur culture à cause des violences coloniales. Mais de dire que quelqu’un ayant un ancêtre autochtone il y a 350 ans, c’est la même expérience, non. On révise l’histoire », s’exclame le professeur Leroux. « À la base, être autochtone au Canada, ce n’est pas un avantage historiquement », remarque M. Ross-Tremblay. L’appartenance n’est pas basée que sur le sang, mais aussi sur une série d’expériences et de relations sociales et familiales riches et complexes.

Le professeur Leroux déconstruit également un des mythes bien ancrés dans la culture populaire québécoise : très peu de mariages entre les Autochtones et les colons français auraient eu lieu au début de la colonie. « Les travaux de Darryl Leroux consistent une critique radicale du récit colonial de base, incluant la mythologie des bons contacts, du colonialisme français qui serait moins toxique que les autres colonialismes », affirme Pierrot Ross-Tremblay.

La problématique devient particulièrement préoccupante lorsque des groupes organisés revendiquent des droits territoriaux au détriment même des groupes autochtones déjà présents sur le territoire. M. Leroux retrace dans son ouvrage la constitution de deux de ces groupes. « Peu importe la motivation : lorsque les gens changent leur identité, c’est pour avoir accès à quelque chose, que ça soit monétaire, ou pour avoir accès à un certain capital culturel et social », explique-t-il.

Des travaux qui bousculent

Les travaux de Leroux ont fait des vagues autant dans le milieu de la recherche que sur le terrain. « Darryl a démontré avec érudition des réalités que l’on vivait comme Innu », affirme M. Ross-Tremblay. « Jusqu’à maintenant, les gens parlaient de recherche de racines, mais Darryl a clairement dit qu’on parlait ici de Blancs qui n’avaient aucune affiliation ou connexion, et qui ont un impact négatif sur les Autochtones », ajoute le professeur Andersen.

Cette mise en lumière appelle par ailleurs à la prudence avec plusieurs statistiques. M. Andersen, qui s’intéresse à cette question depuis plusieurs années, soulève que la catégorie « Métis » du recensement est floue : « On ne sait pas ce que les gens veulent dire lorsqu’ils cochent la case “Métis” ». M. Leroux a par exemple remarqué que l’augmentation des gens s’auto-identifiant comme Métis était davantage masculine que féminine, soulevant l’hypothèse que ce serait parce que ces hommes seraient plus souvent impliqués dans des organismes soi-disant métis.

Pour l’instant, les nombreuses procédures judiciaires de ces organismes et individus ont toutes échoué, et aucun gouvernement fédéral ou provincial ne les reconnaît.

Dans les murs de l’université

Le phénomène d’auto-autochtonisation n’épargne pas les universités. On remarque ainsi une augmentation importante du nombre de professeurs se disant Métis (passant d’aucun professeur dans l’est du Canada en 2006, à 70 en 2016). Certains revendiquent des liens avec des organismes métis qui ne sont pas reconnus. Des étudiants auraient aussi réussi à mettre la main sur des bourses destinées aux Autochtones via de fausses associations métisses.

 

Mais comment s’assurer de l’authenticité de l’affiliation, sans renforcer les barrières qu’on tente d’abattre ? M. Andersen estime qu’il ne s’agit pas seulement de revendiquer une certaine identité. « L’identité autochtone implique l’idée de réciprocité : la reconnaissance par une communauté contemporaine est la deuxième partie de l’équation que les gens oublient souvent », ajoute le professeur. « Dans toutes ces conversations sur le “métissage”, ce qui ne ressort pratiquement jamais, ce sont les conceptions autochtones de l’être humain, de la citoyenneté et de l’appartenance », croit M. Ross-Tremblay.

 

Ainsi, en réponse à la Commission de vérité et de réconciliation, la majorité des universités canadiennes ont voulu faciliter l’entrée d’étudiants, de travailleurs et de professeurs autochtones. Mais une autre façon de répondre aurait été de construire des relations plus solides avec les communautés autochtones, ce qui est beaucoup plus difficile à faire, avance M. Andersen.

 

Certaines universités commencent toutefois à prendre conscience du phénomène. L’Université d’Alberta a notamment mis en place une politique pour les étudiants dans laquelle l’auto-identification ne suffit pas : « Il faut aussi une forme de connexion à une entité autochtone plus large. L’Université veut amener les étudiants à reconnaître que c’est un privilège de poser sa candidature à un prix pour les Autochtones, qui vient avec des responsabilités envers votre famille et votre communauté », précise M. Andersen. À l’Université du Québec à Montréal, on veut aussi entamer une réflexion sur l’implantation d’une approche pour vérifier le statut lorsque la nature du travail ou la fonction d’un membre du personnel qui s’identifie comme Autochtone requiert que cette personne s’identifie publiquement ainsi.

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