En Alberta, le sport universitaire nage dans l’incertitude

Le projet de loi 29 pourrait affecter la capacité d’U Sports à organiser des championnats dans la province.

14 janvier 2025
La première ministre de l’Alberta, Danielle Smith, s’exprime sur l’introduction de trois nouveaux projets de loi liés aux enjeux transgenres, à Edmonton, le jeudi 31 octobre 2024. Photo par : LA PRESSE CANADIENNE/Jason Franson

Un nouveau projet de loi albertain pourrait empêcher les athlètes transgenres de concourir contre des femmes cisgenres, laissant planer l’incertitude sur l’avenir du sport universitaire dans la province, malgré des données contradictoires sur les avantages compétitifs de ces athlètes.  

En octobre, le gouvernement provincial a présenté sa Loi pour l’équité et la sécurité dans le sport, aussi connue sous le nom de projet de loi 29. Si le projet de loi est adopté, tous les établissements d’enseignement supérieur seront dans l’obligation de créer des politiques d’admissibilité des athlètes interdisant aux femmes transgenres de concourir dans les sports féminins.  

Cette règle s’appliquerait également aux athlètes du secondaire et aux membres des organismes sportifs provinciaux.  

U Sports, qui encadre le sport universitaire au Canada, a participé aux consultations sur ce projet de loi. L’organisme estime qu’il serait « difficile » pour lui d’organiser des championnats en Alberta sans pouvoir appliquer ses propres règles, qui autorisent les étudiantes-athlètes et étudiants-athlètes à concourir dans la catégorie correspondant à leur identité de genre.  

« Nous avons soumis ce commentaire au gouvernement de l’Alberta. U Sports attend de voir la formulation utilisée dans le texte de loi final et la version adoptée avant de choisir la marche à suivre. », a déclaré John Bower, directeur du marketing et des communications, à Affaires universitaires.  

Le projet de loi albertain fait écho à des lois similaires entrées en vigueur dans la moitié des États américains au cours des dernières années. Il émerge, par ailleurs, dans un contexte sportif universitaire de plus en plus marqué par la transphobie. 

En octobre, une athlète transgenre de l’équipe de basketball féminin de l’Université de l’île de Vancouver a été projetée au sol par une adversaire. Après le match, l’entraîneuse de l’équipe adverse a déclaré que l’athlète transgenre, du nom de Hariette MacKenzie, ne devrait pas avoir le droit de jouer dans cette catégorie.  

Environ un mois plus tard, une équipe de volleyball féminin de l’Université d’État de Boise s’est retirée de son tournoi de conférence, déclarant forfait lors de son troisième match de la saison, parce qu’elle suspectait une joueuse de l’Université d’État de San José d’être transgenre.  

Benny Skinner, qui milite pour les droits de la personne, est la première personne ouvertement transgenre à jouer et entraîner au sein d’U Sports. Pour Benny Skinner, le projet de loi en question naît d’idées reçues sur les personnes transgenres, un segment de la population peu représenté parmi les athlètes.  

« Ils s’imaginent Sonny Bill Williams avec une perruque, analyse Benny Skinner, faisant référence à l’ancien joueur de rugby légendaire de Nouvelle-Zélande maintenant poids lourd de boxe. Ce n’est pas ça, une femme transgenre. »  

Une estimation suggère que sur 55 000 étudiantes-athlètes et étudiants-athlètes participant aux compétitions de la National Collegiate Athletic Association des États-Unis, moins de 40 sont transgenres. U Sports ne fait pas le décompte des personnes transgenre parmi ses 15 000 athlètes.  

« Les personnes transgenres sont si peu représentées, ajoute Benny Skinner. Et pourtant, le sujet polarise beaucoup, même s’il ne représente qu’un aspect parmi tant d’autres de l’équité dans le sport. Quand on s’intéresse à cette question, ce qu’il faut réévaluer en priorité, c’est l’accessibilité. Surtout du point de vue socio-économique. »  

Des données de recherche récentes dressent un portrait nuancé de la question.  

Les femmes transgenres ont, en effet, certains avantages physiques sur les femmes cisgenres, notamment en matière de force. Elles ont toutefois de nombreux désavantages, comme le souligne Joanna Harper, une chercheuse postdoctorale basée aux États-Unis.  

Les femmes athlètes transgenres qui ont reçu des soins d’affirmation de genre pour altérer leurs caractéristiques physiques font bouger un corps plus volumineux malgré une masse musculaire et une capacité aérobique plus faibles, ce qui peut jouer sur l’endurance, la rapidité et la récupération.  

En 2021, dans le cadre de ses recherches à l’Université de Loughborough, au Royaume-Uni, Mme Harper a corédigé une étude montrant que la concentration d’hémoglobine chez les femmes transgenres recevant des traitements suppresseurs de la testostérone atteint des valeurs typiquement féminines en trois à quatre mois. L’hémoglobine transporte l’oxygène des poumons vers les muscles, et joue un rôle important dans les sports d’endurance.  

« C’est probablement le facteur prédominant dans l’endurance, explique-t-elle. Même si vous avez une excellente capacité pulmonaire et cardiaque, si votre concentration hémoglobine est faible, l’oxygène n’atteindra pas correctement les muscles. »  

La force physique, elle, ne diminue pas aussi vite.  

Elle peut prendre quelques années à s’aligner sur les valeurs féminines, commente Mme Harper. Cette différence pourrait s’expliquer par la mémoire musculaire et par le rôle clé de la testostérone dans le développement de la force.  

« La force diminue plus lentement et moins radicalement que l’hémoglobine, explique Mme Harper. Les femmes transgenres perdront de la force, mais certainement pas en trois ou quatre mois. »  

Ces résultats sont d’ailleurs étayés par d’autres analyses récentes. Plus tôt en 2024, une étude financée par le Comité international olympique montrait que les femmes transgenres ont une plus grande force de préhension que les femmes cisgenres, mais une capacité pulmonaire et cardiovasculaire plus faibles.  

En outre, selon un rapport commandé par le Centre canadien pour l’éthique dans le sport, rien ne permet d’affirmer que les femmes transgenres sont plus performantes que les femmes cisgenres après un an de traitement suppresseur de la testostérone.  

« On observe une panique morale et une campagne anti-trans assimilant les filles et les femmes transgenres à des garçons gonflés de testostérone, prêts à tout rafler aux femmes cisgenres, déplore Ann Travers, qui enseigne la sociologie à l’Université Simon Fraser. Les données ne sont tout simplement pas là. »  

U Sports compte cinq établissements membres en Alberta. 

Un trio de championnats U Sports auront lieu en Alberta dans les quatre prochaines années : le Championnat de basketball masculin 8 Ultime à l’Université de Calgary en 2026, et des championnats de volleyball à l’Université Mount Royal en 2027 et 2028. 

U Sports n’a pas fait de commentaire sur l’incidence potentielle du projet de loi sur ces événements.  

L’Université de Calgary et l’Université Mount Royal ont déclaré, dans des courriels séparés à Affaires universitaires, attendre d’en savoir plus avant d’en évaluer les effets.  

L’Université de l’Alberta n’a pas souhaité faire de commentaires sur le projet de loi 29. L’Université de Lethbridge et l’Université MacEwan n’ont pas répondu à nos demandes d’entrevue non plus.   

Selon Gabriela Estrada, directrice générale de Fast and Female, un organisme de bienfaisance albertain, le projet de loi pourrait entraver de manière globale la participation des femmes transgenres et cisgenres dans le sport.  

Les femmes transgenres pourraient ne pas se sentir à l’aise de se lancer dans un sport si elles n’ont pas le droit de concourir avec les autres femmes, indique Mme Estrada, qui appuie la position publique d’U Sports sur la difficulté d’organiser des événements en Alberta si le projet de loi était adopté.  

« Je pense qu’il serait pire d’inviter des athlètes d’autres provinces en leur disant :  »Vous ne pouvez pas venir, nous allons devoir vous exclure intentionnellement », commente-t-elle. C’est l’inverse de ce que de nombreuses personnes essayent de faire dans le monde du sport et de l’activité physique. »  

Le projet de loi 29 est l’un des trois projets de loi reliés à la question transgenre annoncés par le gouvernement de l’Alberta en octobre. Si les deux autres sont adoptés, les écoles devront aviser les parents lorsqu’une ou un enfant souhaite utiliser un nom ou des pronoms différents de ceux qui lui ont été attribués, et obtenir leur consentement pour la participation aux cours d’éducation sexuelle.    

En 2024, Egale Canada et la fondation Skipping Stone, deux groupes qui soutiennent les personnes de la communauté 2ELGBTQIA+ et les jeunes transgenres ou de genre divers, se sont engagées à prendre des mesures juridiques à l’encontre des trois projets de loi.  

D’après le gouvernement provincial, le projet de loi 29 devrait entrer en vigueur à l’automne prochain.  

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