Les limites du perfectionnement professionnel aux cycles supérieurs

Écart entre le nombre de postes permanents en milieu universitaire et celui des titulaires de doctorat.

16 juin 2025
Graphique de : Edward Thomas Swan

Le perfectionnement professionnel aux cycles supérieurs a bien changé depuis ses débuts, à la fin des années 2000, comme volet essentiel de l’enseignement canadien aux cycles supérieurs. À l’origine de cette évolution se trouve un problème simple, sans solution claire : le manque criant de postes universitaires permanents par rapport au nombre de doctorantes et doctorants formés par les universités canadiennes. Les programmes de perfectionnement permettent de combler une lacune en matière de soutien professionnel aux cycles supérieurs, et aident bien des doctorantes et doctorants à se préparer à quitter le milieu universitaire. Cependant, le problème de fond persiste puisque ni les programmes de doctorat ni le marché de l’emploi ne semblent s’adapter à la surabondance de titulaires de doctorat. Le perfectionnement professionnel en est-il arrivé au bout de qu’il pourrait offrir pour faciliter les transitions de carrière aux cycles supérieurs, compte tenu des contraintes structurelles du système universitaire et du marché du travail canadien? La question se pose compte tenu du fait que l’enseignement supérieur au Canada entre dans une période d’austérité, que les postes universitaires permanents et les emplois en enseignement postsecondaire se feront de plus en plus rares, et que le contexte économique s’annonce lui aussi incertain. 

Dès le début, le perfectionnement professionnel s’est axé sur les compétences plutôt que sur les connaissances, ces dernières étant le propre des disciplines universitaires. Le rapport de Marilyn Rose, présenté au Conseil de recherches en sciences humaines en 2012, a joué un rôle déterminant dans l’évolution du domaine au Canada en soulignant notamment la nécessité de former les étudiantes et étudiants aux cycles supérieurs aux compétences transférables, et de les aider à valoriser leurs acquis universitaires auprès des employeurs. Cette insistance sur les compétences transférables et sur leur recontextualisation constitue désormais un volet essentiel du perfectionnement professionnel aux cycles supérieurs. 

Ce discours sur les compétences continue toutefois de masquer une dure réalité : on n’entreprend pas un doctorat dans le seul but d’acquérir des compétences transférables. Il est aussi difficile de déterminer dans quelle mesure les compétences universitaires de haut niveau, comme la pensée critique, l’analyse approfondie ou la synthèse des connaissances, peuvent être transférées ou transposées d’un domaine à l’autre, et si celles acquises au doctorat diffèrent réellement de celles obtenues à la maîtrise, une fois retirées de leur contexte disciplinaire.  

Hors du milieu universitaire, la demande pour les titulaires de doctorat reste d’ailleurs très limitée. (Le rapport Formés pour réussir, publié en 2021 par le Conseil des académies canadiennes, aborde ce problème.) Si les titulaires de doctorat sont des personnes hautement qualifiées qui finiront généralement par décrocher un emploi convenable, très peu de postes non universitaires exigent un doctorat ou permettent de mobiliser pleinement les compétences de ce niveau – et aucun ne permet de réaliser des recherches autonomes avec la portée et la profondeur caractéristiques du milieu universitaire. 

Faut-il se résigner à cette réalité? Ne peut-on vraiment rien faire de plus? En ce qui concerne le perfectionnement professionnel aux cycles supérieurs, peut-être; mais on pourrait envisager de repenser la finalité des programmes de doctorat. Il ne s’agit pas ici de les transformer fondamentalement. La valeur et la pertinence des programmes de doctorat tiennent moins aux compétences qu’ils enseignent qu’aux savoirs disciplinaires qu’ils contribuent à créer, à préserver et à transmettre. Ces programmes forment des universitaires et assurent leur intégration à une communauté disciplinaire. Plutôt que de s’en remettre au perfectionnement professionnel et au discours sur les compétences transférables ou transposables pour élargir les perspectives des doctorantes et doctorants, les disciplines universitaires pourraient redéfinir la notion même de la recherche, et revoir les personnes susceptibles d’y contribuer et les contextes dans lesquels elle peut être réalisée. 

La recherche universitaire professionnelle est-elle condamnée à rester l’apanage d’une élite institutionnelle, ou pourrait-elle être repensée de manière à mobiliser les connaissances et compétences du vaste bassin de doctorantes et doctorants négligés? 

On peut encourager la recherche publique, comme le font de plus en plus les programmes de perfectionnement professionnel. Toutefois, pour la plupart des étudiantes et étudiants au doctorat, les compétences acquises dans ce domaine seront généralement mises à profit après l’obtention du diplôme, dans des contextes qui échappent au cadre du savoir disciplinaire spécialisé. Au bout du compte, c’est aux membres du corps professoral de veiller à la pérennité de leur discipline et de déterminer comment la société peut tirer parti de l’expertise disciplinaire collective des titulaires de doctorat qu’elles et ils ont formés. Force est de constater que, même s’ils sont essentiels pour aider les diplômées et diplômés au doctorat à composer avec une situation peu enviable, les programmes de perfectionnement professionnel et le discours sur les compétences ne suffiront pas. Nous sommes dans une impasse; reste à savoir comment la résoudre.