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Lu pour vous

Des universités françaises sous l’emprise de la rectitude politique?

L’ascendant idéologique, la propagande et les pressions externes sont-elles désormais plus répandues dans le milieu universitaire?

par YVES LABERGE | 24 OCT 19

La vénérable Revue des deux mondes a fait paraître dans son édition de mai 2019 un dossier percutant intitulé « Terrorisme intellectuel — Après Sartre, Foucault, Bourdieu… l’idéologie indigéniste entre à l’université ». Or, ce sujet audacieux de l’université sous influence n’est pas nouveau pour cette revue d’idées fondée en 1829, elle a déjà publié des numéros thématiques comme « Les bien-pensants » (février 2016) et « Peut-on penser librement en France? » (novembre 2016).

Une dizaine d’articles émanant d’universitaires et d’intellectuels scrutent les symptômes de l’idéologie indigéniste : cette forme de racisme inversé envers les « Blancs », qui serait apparue dans plusieurs universités françaises. Mais avant tout et plus généralement, le professeur Philippe Raynaud de l’Université Paris-II Panthéon-Assas rappelle la vision déjà moderne du philosophe Wilhem von Humboldt (1767–1835) qui prônait — il y a deux siècles — l’idéal universitaire, la liberté académique, mais également « la libre recherche de la vérité et du progrès de la science ». Observateur attentif de l’enseignement supérieur et spécialiste de la laïcité, le philosophe Raynaud compare ensuite le modèle universitaire français à celui des États-Unis pour montrer ce que les Européens conservent et rejettent de la pensée américaine, car tout n’est pas avalé en bloc.

Photo de ©revuedesdeuxmondes.fr.

Plus loin, l’historien François Dosse de l’Institut d’études politiques revient sur l’emprise du marxisme dans les universités françaises durant les années 1950 et 1960, en particulier dans le domaine de la sociologie, mais aussi en droit et en histoire économique.

Après ces quelques exposés plus historiques, c’est l’auteur Yves Mamou qui ose mettre le doigt sur le problème actuel : la montée de l’antiracisme radical et d’une forme excessive du décolonialisme dans certaines facultés en France. Si ces sentiments apparemment louables paraissent d’abord inoffensifs et, jusqu’à un certain point, compréhensibles, ceux-ci prennent des proportions inattendues et démesurées qui inquiètent une partie du monde universitaire en France.

Selon M. Mamou, « l’idéologie “décoloniale” s’est épanouie au sein de l’université française en raison d’un terreau doublement favorable » et au moment d’une sorte de vide idéologique, mais aussi dans une certaine indifférence généralisée. On réintroduit dans certaines facultés le terme autrefois disqualifié de « race », mais cette fois pour tenter de stigmatiser les Blancs, sous prétexte d’une impossible compensation après une trop longue période de domination exercée par les Européens. On a l’impression qu’à quelques décennies de distance, l’omniprésence marxiste des années 1960 aurait fait place à un nouveau credo tout à fait différent mais tout aussi oppressant : la nouvelle « idéologie indigéniste ».

Pour le philosophe Michel Onfray qui met en perspective la France de mai 1968 et les tendances actuelles, le monde universitaire français aurait mal assimilé les nouveaux modèles de décolonisation et de déconstruction venus de certaines universités américaines en leur ajoutant une enveloppe plus radicale et plus combative, moins nuancée, et à nouveau discriminante, mais cette fois vers de nouvelles cibles qui doivent à elles-seules porter le poids des erreurs des générations passées.

Avec ce numéro substantiel qui aborde de plein front un sujet controversé et parfois occulté, la Revue des deux mondes reconfirme sa place dans la grande tradition des revues d’idées et de débat en France, aux côtés de revues généralistes comme Esprit, Études, Le Débat, Les Temps modernes. En outre, des articles hors-thème et une généreuse section de critiques de livres — et de revues — complètent cette livraison. Au Québec, on trouvera la Revue des deux mondes uniquement chez les grands marchands de journaux, dans certaines librairies indépendantes, dans les bibliothèques universitaires et sur abonnement. Dans le reste du Canada, on devrait commander la publication directement par Internet.

Tout ce dossier de la Revue des deux mondes fait réfléchir sur la mainmise et les dérives auxquelles s’expose une partie du monde universitaire français, à partir d’exemples et de faits dérangeants. Le Canada est-il à l’abri de telles occultations et influences? Dans notre monde universitaire rarement polarisé, mais néanmoins conscient de la présence de différents groupes de pression, nous ne parlons pas ouvertement d’emprise idéologique ni de propagande ou de pressions externes sur l’enseignement supérieur, mais plutôt — le cas échéant — de changement de paradigme.

Revue des deux mondes. « Terrorisme intellectuel – Après Sartre, Foucault, Bourdieu… l’idéologie indigéniste entre à l’université ». Mai 2019, 192 pages.

 

À PROPOS YVES LABERGE
Yves Laberge
Yves Laberge détient un doctorat en sociologie et a fait paraître plus de 1000 critiques de livres dans une trentaine de revues universitaires. Il est membre du comité de lecture de sept revues internationales.
COMMENTAIRES
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  1. Doctorant·e à Paris / 29 octobre 2019 à 11:20

    Affaires Universitaires devrait s’épargner de publier ce type d’article réactionnaire.

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