Bonnes idées : foire aux questions avec Miao Song
Commanditée par la Fédération des sciences humaines, cette série d’articles met en lumière les bonnes idées des chercheurs en sciences humaines pour un monde meilleur. Nous nous entretenons ce mois-ci avec Miao Song, professeure adjointe affiliée à la Faculté de génie et d’informatique de l’Université Concordia.
Originaire de Chine, Mme Song s’est taillé une place unique dans l’univers du spectacle. Après avoir été une artiste de la scène reconnue, elle est devenue journaliste à la télévision nationale chinoise avant de venir au Canada pour étudier la manière dont les nouvelles technologies médiatiques et infographiques transforment le cinéma, la danse et le théâtre. Même si elle est professeure adjointe affiliée à la Faculté de génie et d’informatique de l’Université Concordia, Mme Song n’a pas oublié son passé artistique, faisant appel aussi bien à des ingénieurs et à des programmeurs qu’à des danseurs et à des comédiens pour créer un tout nouveau genre interdisciplinaire : le spectacle propulsé par les médias informatiques.
Vous aviez une belle carrière en Chine. Pourquoi êtes-vous venue au Canada?
Mme Song : Beaucoup des gens qui œuvrent dans le domaine artistique en Chine ne quittent jamais le pays, dans bien des cas, faute de maîtriser les langues étrangères. J’aurais très bien pu passer le reste de ma vie en Chine, mais j’ai voulu voir ce qui se passait ailleurs dans le monde. J’ai donc commencé à apprendre l’anglais afin de réussir les examens nécessaires pour partir à l’étranger. Peut-être que j’aime tout simplement les défis.
Qu’avez-vous fait une fois arrivée au Canada?
Mme Song : Je suis retournée à l’université. L’animation par informatique m’intéressait. J’ai pu compter sur d’importants mentors à l’Université Concordia, qui m’ont initiée au domaine émergent des médias informatiques. Parmi eux, figuraient Peter Grogono, du Département d’informatique de génie, et Jason Lewis, titulaire de la chaire de recherche sur les médias informatiques et l’imaginaire futuriste des peuples autochtones. Ils m’ont aidée à créer l’Illimitable Space System, qui a fait l’objet de ma thèse de doctorat en 2012. Il s’agit en réalité d’une technique qui utilise la caméra Kinect d’une console de jeu Xbox pour recueillir des données sur la manière dont les comédiens ou les danseurs bougent sur scène. Ces données sont ensuite traitées par ordinateur afin de créer des images qui peuvent être diffusées pendant le spectacle.
Cela a-t-il été difficile de regrouper des ingénieurs, des programmeurs et des gens issus du milieu artistique?
Mme Song : J’aide des chercheurs issus de milieux très différents à œuvrer ensemble à l’émergence au développement d’un tout nouveau domaine. Il peut arriver qu’ils ne se comprennent pas parce qu’ils connaissent mal l’univers de l’autre. Par exemple, les développeurs de technologies théâtrales ne cernent pas toujours l’ensemble du processus scénique. Les acteurs savent comment faire pleurer le public, mais la plupart des spécialistes en informatique n’ont aucune idée de la manière d’y parvenir. À l’inverse, la plupart des artistes savent peu de choses des langages de programmation et de leur structure, ou encore du fonctionnement judicieux de l’équipement. Beaucoup d’artistes rejettent même les nouvelles technologies et les éléments interactifs qui y sont associés, désireux de toucher le public uniquement par leur jeu. Le point de vue de chacun dépend de son expérience… Les humains sont ainsi faits. C’est pourquoi j’essaie de faire évoluer les points de vue.
Comment avez-vous amené ces deux catégories de gens à travailler ensemble?
Mme Song : La technologie aide les metteurs en scène et les acteurs à s’exprimer sans modifier les éléments scéniques. Au début, beaucoup n’y voyaient qu’un gadget. Nous avons déployé cette technologie pour la première fois au D.B. Clarke Theatre de l’Université Concordia. La caméra Kinect était placée au sol de telle manière que les danseurs la heurtent accidentellement. Comme cette caméra ne peut capturer que certains angles, nous avons eu quelques problèmes (par exemple, la projection d’un danseur sans jambes). Notre technologie a ses limites, mais elle progresse. Beaucoup croient qu’elle ne peut produire que des images d’aspect factice. Pourtant, à la vue des images produites, ils constatent qu’elles font plus que refléter les mouvements des danseurs : elles forment un spectacle distinct, concomitant au spectacle principal. J’ai décrit dans ma thèse comment cette technologie contribue à transformer la perception de ce qu’on appelle le « théâtre pauvre », où la scène est quasi nue et où les acteurs sont vêtus de manière ordinaire. Cette technologie multimédia (appelée Illimitable Space System) semble très simple et prend très peu de place. Toutefois, elle peut transformer le « théâtre pauvre » en « théâtre riche » par l’ajout de dimensions jamais intégrées jusqu’alors aux formes théâtrales traditionnelles. Je pense que cette technologie deviendra un maillon très important du spectacle vivant.
À quelles fins avez-vous utilisé cette technologie?
Mme Song : Je l’ai d’abord utilisée pour étoffer un film documentaire que j’avais réalisé : les spectateurs pouvaient ainsi créer des images de réalité virtuelle comme celles qu’on trouve sur les sites web interactifs. Je m’en suis ensuite servie lors du gala du Nouvel An chinois, au Centre montréalais de la culture et des arts chinois. Plus tard, j’ai employé l’Illimitable Space System pour plusieurs scènes d’une pièce intitulée Like Shadows, fruit d’une collaboration entre l’Université Concordia et l’Académie centrale d’art dramatique de Pékin. La pièce a été jouée en 2014. C’était peut-être la première fois qu’une technologie en temps réel était utilisée en Chine dans une pièce de théâtre traditionnelle. Ces représentations porteuses d’expérience et de données nous ont convaincus de créer l’Illimitable Space System. Elles m’ont aussi apporté la confiance pour mettre sur pied le Festival international du film Canada-Chine, dont la première édition a eu lieu en septembre dernier. Cette première édition a entre autres été marquée par un Sommet des technologies du divertissement jumelé à une exposition qui a permis à des acteurs du secteur et du milieu universitaire de se livrer à des échanges d’idées et de technologies, et de forger des partenariats. En plus de regrouper des artistes et des ingénieurs, ce Sommet a permis de mettre en lumière nos travaux axés sur l’Illimitable Space System, tout comme ceux d’autres chercheurs issus, entre autres, de l’Université Concordia, de l’Université McGill, de l’Office national du film, de Disney, de GoogleVR, du Cirque du Soleil ou de l’Académie chinoise des sciences.
En plus d’amener les artistes et les ingénieurs à travailler ensemble, estimez-vous que vous aidez le public de chaque pays à mieux comprendre l’autre en jetant un pont entre les cultures canadienne et chinoise?
Mme Song : Au départ, je ne croyais pas que cet aspect de mon travail était si important, mais je commence à croire qu’il l’est. Une équipe de 60 personnes travaille avec moi dans le cadre du Festival du film. C’est incroyable! J’ai espoir que nous pouvons amener encore plus de gens à participer à cette initiative d’échange culturel entre le Canada et la Chine. Nous sommes également parvenus à créer des partenariats avec des universités américaines, qui explorent notre technologie à leur manière.
De plus en plus de gens s’enthousiasment pour la nouvelle technologie. Craignez-vous que cette technologie mette en péril la beauté originelle des formes d’art traditionnelles?
Mme Song : L’art traditionnel est magnifique, éternel. Mais je pense que cette technologie peut multiplier les possibilités d’expression par l’art. Je suis convaincue qu’elle ne menace en rien les formes d’art traditionnel. Au contraire, elle constitue un moyen de les intégrer à l’univers du divertissement pour permettre à plus de gens de les découvrir. Les artistes font partie de cette catégorie puisqu’elle leur permettra non seulement d’exposer leur vision au public, mais également de découvrir comment celui-ci voit le monde.
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