Déterminer qui mérite un doctorat honorifique : un exercice délicat
Qu'arrive-t-il lorsque ces choix soulèvent la controverse?
Ce texte est un sommaire de l’article « A fine balance: deciding who deserves an honorary degree ».
Lors de sa cérémonie de collation des grades au printemps 2018, l’Université Dalhousie a décerné un doctorat honorifique en droit à Cindy Blackstock, championne de longue date des droits des enfants autochtones. Mme Blackstock, directrice générale de la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et professeure de travail social à l’Université McGill, a déjà reçu 18 doctorats honorifiques au cours de sa carrière. Elle affirme que la distinction décernée par l’Université Dalhousie est aussi importante et porteuse de responsabilités que toutes les autres.
« Je sais que les diplômés et leurs familles sont ici parce qu’ils veulent bâtir une société meilleure, déclare Mme Blackstock, membre de la Première Nation Gitxsan de la Colombie Britannique. Je veux donc leur transmettre de l’information pour les inciter à le faire aussi pour les enfants métis, inuits et des Premières Nations. [Recevoir un doctorat honorifique] est toujours pour moi l’occasion de féliciter les diplômés, mais aussi d’attirer leur attention sur les injustices qui perdurent et sur les mesures à prendre pour faire progresser la réconciliation. »
Les doctorats honorifiques existent depuis longtemps au Canada. L’Université du Nouveau-Brunswick et l’Université McGill ont été parmi les premières à décerner cette distinction en 1828 et en 1830, respectivement. En reconnaissant les réalisations de personnalités éminentes, les doctorats honorifiques permettent aux universités de promouvoir publiquement leurs propres valeurs.
Bien qu’il varie d’un établissement à l’autre, le processus de désignation des candidats aux doctorats honorifiques relève généralement d’un comité de sélection. Chaque année, le comité sollicite des candidatures, puis les examine avant de formuler des recommandations, qui sont ensuite soumises au sénat universitaire ou au conseil d’administration. Selon leur taille, les universités peuvent décerner jusqu’à une douzaine, voire plus, de doctorats honorifiques lors des collations des grades du printemps et de l’automne.
À titre de secrétaire et avocate générale de l’Université Brock, Chabriol Colebatch est responsable du processus de désignation des candidats aux doctorats honorifiques de son établissement. Elle explique qu’il n’est pas nécessaire que les candidats aient un lien direct avec l’Université, puisque le doctorat honorifique vise à reconnaître leur contribution exceptionnelle à la société. « L’Université décerne cet honneur aux personnalités d’exception qui ont marqué un domaine d’intérêt pour l’Université, ou dont l’activité savante ou créatrice mérite notre reconnaissance », dit-elle. Rummana Khan Hemani, registraire de l’Université Simon Fraser, explique que le comité de sélection tient compte de nombreux facteurs, et que le simple fait qu’une personne soit une « figure controversée » ne constitue pas une raison valable pour éliminer sa candidature.
Et, de fait, le choix peut parfois susciter la controverse. L’an dernier, lors de sa collation des grades du printemps, l’Université de l’Alberta a soulevé une vive polémique en annonçant qu’elle décernerait un doctorat honorifique à David Suzuki, célèbre scientifique, vulgarisateur et activiste écologique (qui comptait déjà 29 de ces honneurs à son actif). Cette décision a été largement critiquée par certains étudiants, professeurs et anciens. Des milliers de personnes ont d’ailleurs signé une pétition pour demander à l’Université d’annuler sa décision.
L’activiste de 83 ans est en effet un fervent opposant à l’industrie des combustibles fossiles, qui emploie de nombreux Albertains. Malgré ce désaccord, l’Université a maintenu sa décision et M. Suzuki a reçu son doctorat honorifique en juin dernier. Selon David Turpin, recteur de l’Université de l’Alberta, baisser les bras devant les critiques aurait discrédité le processus de nomination et nui à la réputation de l’Université.
« Nous savons que M. Suzuki provoque la controverse, et notre objectif n’était pas de défendre ses idées, mais bien de promouvoir le rôle important que jouent les universités en tant que lieu de débat, affirme M. Turpin. Il s’agit d’un principe fondamental. Il était important pour moi et tous les responsables dans ce dossier de faire cette distinction. Notre processus de sélection est soumis à un ensemble de règles, de politiques et de procédures, et la décision a été rendue en toute légitimité. »
Annuler une décision est une chose, mais révoquer un doctorat honorifique en est une autre. En novembre dernier, le sénat de l’Université Queen’s a décidé de révoquer le doctorat honorifique décerné en 1995 à Aung San Suu Kyi, femme d’État birmane, en raison de la « situation persistante au Myanmar et du fait que la dirigeante n’a pas respecté son engagement à protéger les Rohingyas ». C’était la première fois que l’Université retirait un doctorat honorifique depuis le début de cette tradition il y a 146 ans.
Plusieurs semaines auparavant, l’Université Carleton avait elle aussi retiré à Aung San Suu Kyi le doctorat honorifique qu’elle lui avait décerné en 2011. La politique de l’Université stipule en effet que dans de rares circonstances, où les agissements d’un individu soulèvent d’importantes préoccupations, le comité de sélection est autorisé à recommander au sénat la révocation de son doctorat honorifique.
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