En finir avec l’obsession canadienne de la quantité en recherche
Un appel à mettre fin à cette pression collective néfaste qui pousse les universitaires à publier toujours davantage.
L’organisme australien de financement de la recherche en santé a modifié les critères d’admissibilité à ses subventions. Désormais, l’évaluation des candidatures portera seulement sur 10 publications s’étalant tout au plus sur les 10 dernières années.
Dix, pas plus. Réfléchissez-y un peu.
Plus besoin de mettre constamment à jour votre CV commun ou d’en soumettre un qui détaille chaque publication, initiative ou conférence auxquelles vous avez participé, de près ou de loin. Pas de facteur d’impact ni d’indice H. Juste 10 publications sur 10 ans.
D’où vient ce revirement audacieux de la part du Conseil national de la santé et de la recherche médicale australien? L’organisme explique vouloir favoriser la qualité plutôt que la quantité en encourageant une recherche rigoureuse, transparente et reproductible. Le critère de la contribution est crucial : les candidats ne doivent pas simplement expliquer en quoi leurs publications renforcent les connaissances et témoignent d’une recherche de qualité, mais aussi souligner leurs retombées et leur caractère novateur.
En tendant l’oreille, on entend déjà l’élite de la recherche canadienne s’agiter dans ses chaires (financées). Comment alimenter sa crédibilité et sa confiance en soi, sinon grâce à ses 220 publications? Ou peut-être est-ce la rumeur d’indignation des départements et des établissements, dont le mérite, la reconnaissance et l’identité se construisent depuis des années sur une imposante production savante.
Et pourtant, ce changement n’annonce pas la catastrophe, mais bien une nouvelle ère dont le milieu a tant besoin.
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La position adoptée par l’organisme australien nous ramène à une réalité fondamentale : depuis 3 000 ans, les connaissances évoluent en s’appuyant sur la nature et l’impact du savoir antérieur. Pourtant, la quantité de recherche publiée quotidiennement menace de nous ensevelir : on manque de réviseurs, d’éditeurs et de mentors capables et désireux de maintenir cette qualité dans les articles et les demandes de subventions, sur laquelle reposent pourtant les nouvelles connaissances utiles à la société.
Si nous jouons tous un rôle dans le grand jeu de la publication, certains ont le gros bout du bâton. La diffusion de la recherche s’est écartée de sa mission publique et épistémologique, attirée par les promesses de richesse du privé : un argument de taille qui incite les chercheurs et leurs établissements à produire davantage et plus vite. Les publications universitaires rapportent gros, ce n’est pas un secret. Rivalisant maintenant à l’échelle mondiale avec l’industrie de la musique et celle du cinéma, ce secteur est non seulement plus stable et prévisible, mais potentiellement plus prometteur dans des contextes de crises mondiales, où les solutions basées sur la science valent leur pesant d’or.
Certains éditeurs sont d’ailleurs insatiables. Un éditeur scientifique international a récemment lancé un nouveau service de « révision par les pairs accélérée », en proposant aux chercheurs de débourser 7 000 dollars américains pour que leur article soit publié en seulement cinq semaines. Libre accès non compris, à moins de rajouter la somme de 4 800 dollars américains.
Pas étonnant que les éditeurs de périodiques scientifiques encouragent la quantité.
Qu’en est-il au Canada? Les nouvelles priorités de qualité, d’impact et de leadership de l’Australie tranchent avec la réalité d’ici. Il suffit de regarder les demandes de bourses de doctorat. Seuls les candidats dont le nombre de publications s’élève à deux chiffres ont leurs chances. Combien d’évaluateurs fatigués finissent par s’appuyer discrètement sur le nombre d’articles publiés pour juger si une équipe « est productive » ou si un chercheur est à la hauteur d’une subvention? Mieux encore, la prochaine fois que vous lirez une demande ou écouterez le discours d’ouverture d’une conférence encensant le professeur M. Prolifique pour ses 250 articles publiés, envoyez-nous un dollar.
Pour les raisons suivantes, l’obsession du Canada pour la quantité doit prendre fin :
- Elle nuit aux chercheurs. De nombreux facteurs encouragent les universitaires à produire davantage, et le milieu croule sous l’épuisement professionnel, l’anxiété et la dépression, qu’il s’agisse d’étudiants fraîchement diplômés ou des professeurs les plus chevronnés. En plus, une myriade d’inégalités structurelles et systémiques font obstacle au parcours et aux contributions potentielles d’une grande diversité de chercheurs et de domaines de recherche.
- Elle nuit à la société et au savoir. Aller trop vite, c’est ne pas appliquer la rigueur nécessaire à la production de travaux exemplaires. Cette pression engendre aussi des pratiques à l’éthique discutable, qui amplifient artificiellement les mérites de certains travaux : multiplication abusive des articles pour un projet, dissimulation des résultats peu prometteurs, ou encore analyse biaisée des données. Même si ces pratiques éveillent la méfiance du public à l’égard de la recherche, nous constatons avec stupeur que près de la moitié des chercheurs interrogés dans certaines études nationales admettent s’y livrer. Ne pas prioriser la qualité, c’est effriter gravement ce lien de confiance avec les chercheurs et la recherche.
- Elle nuit à notre écosystème de recherche. Celui-ci repose sur la présence de chercheurs compétents qui s’investissent dans les révisions, la gouvernance, le mentorat, l’administration et l’engagement communautaire. Privilégier la quantité, c’est détourner du temps et de l’énergie de ces aspects vitaux.
Nous invitons donc les organismes canadiens de financement de la recherche et les universités à suivre le modèle australien, c’est-à-dire à mettre l’accent sur la qualité, l’impact et le leadership dans les pratiques, et à réfréner cette obsession systémique et néfaste pour la quantité.
Les chercheurs peuvent aussi encourager le changement en transformant leur culture :
- Allez au fond des choses. Remettez ouvertement en question les valeurs et les pratiques de vos supérieurs et de vos collègues quand ils font passer la quantité avant la qualité. Créez des espaces de réflexion et de discussion sur la manière dont cette approche nuit au savoir, à la confiance du public et à l’équité, en profitant surtout aux revues scientifiques.
- Allez dans les détails. Évitez de donner du poids au nombre de publications pour établir votre réputation ou votre profil de chercheur, et ceux des autres. Avoir du style ne signifie pas avoir une immense garde-robe. Mettez l’accent sur la qualité, l’impact et le leadership lorsque vous évaluez des candidatures de financement, de recrutement, de titularisation et de promotion. Encouragez également les autres à vous emboîter le pas.
- Outillez-vous. Perfectionnez vos compétences, pas seulement en recherche, mais en diffusion des données, en engagement communautaire et en leadership. Pour multiplier les contributions de la recherche à l’égard de la société et vice-versa, nous devons cultiver notre expertise en conséquence.
- Ménagez-vous. Repenser son rapport à la productivité n’est pas chose facile. Les systèmes, les pratiques et nos expériences nous amènent inéluctablement à bâtir notre estime et notre identité sur le nombre de publications qu’on a générées, et à avoir les yeux rivés sur la suivante. Sur notre lit de mort, nous accorderons bien plus d’importance à notre véritable contribution qu’à la taille de notre CV.
Postes vedettes
- Medécine- Professeur.e et coordonnateur.rice du programme en santé mentaleUniversité de l’Ontario Français
- Littératures - Professeur(e) (Littérature(s) d'expression française)Université de Moncton
- Chaire de recherche du Canada, niveau 2 en génie électrique (Professeur(e))Polytechnique Québec
- Droit - Professeur(e) remplaçant(e) (droit privé)Université d'Ottawa
- Médecine - Professeur(e) adjoint(e) (communication en sciences de la santé)Université d'Ottawa
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