Ma formation scientifique s’est déroulée en deux étapes, et au sein d’assez grands groupes de recherche d’une vingtaine de membres chacun. Mes deux superviseurs considéraient important d’intégrer une vision globale dans les groupes de recherche et le faisaient en organisant des journées de réflexion. Ces journées ont été pour moi parmi les moments les meilleurs et les plus mémorables de toute ma formation – on avait alors la possibilité de s’interroger sur de grandes questions et de tenter de trouver la manière de les aborder. Alors naturellement, lorsque j’ai formé une équipe de recherche il y a deux ans, j’avais hâte de reproduire ce modèle.
Lors des journées de réflexion, les meilleurs moments étaient à mon avis les discussions entre experts d’un domaine et experts d’un autre domaine, où chacun se mettait à jour sur ce qui semblait représenter des décennies de lectures. Il en ressortait de nouvelles idées et de nouvelles manières d’aborder des questions d’ordre général restées sans réponse. Certains des meilleurs projets de recherche auxquels j’ai participé ont été amorcés pendant ces journées. Les discussions étaient dirigées par des chercheurs postdoctoraux chevronnés et par du personnel scientifique qui semblait avoir travaillé dans le secteur depuis toujours. Il s’agissait de grands groupes, avec des participants de tous les niveaux. Aujourd’hui, les jeunes superviseurs n’ont pas ce luxe – nous n’avons même pas de chercheur chevronné pour diriger les discussions. Comment, dans ces conditions, les journées de réflexion peuvent-elles être fructueuses?
J’ai organisé trois rencontres de style réflexion afin de trouver la meilleure démarche. Même si je sais qu’il y a encore beaucoup à apprendre et que les choses vont continuer à évoluer, je crois utile de faire part de certains aspects aux jeunes chefs de groupes qui envisagent aussi de tenir des journées de réflexion avec le personnel de leur laboratoire.
La même formule ne s’applique pas à tous
Les trois journées de réflexion proposaient chacune un mélange de discussions en grands groupes et en petits groupes de trois ou quatre personnes. Les petits groupes offrent plus de temps pour s’exprimer et participer, et donnent la chance à chacun de se faire entendre. À l’occasion d’une des journées, une bonne préparation avait été faite au préalable, et à une autre occasion, il n’y avait pratiquement eu aucun encadrement. Au bout du compte, il semble que la possibilité de réfléchir à l’avance a été appréciée.
Le manque de chercheurs chevronnés
J’ai dû avoir recours à plusieurs tactiques afin de remédier au manque de personnel chevronné dans mon nouveau groupe. Je me suis d’abord allié au laboratoire d’à côté (une autre jeune chef de groupe dans un domaine semblable) afin d’avoir au moins deux personnes comme sources indépendantes d’expérience dans le domaine, et aussi pour confirmer les données de l’autre. Il y avait malgré tout un manque à combler entre « nous et eux »; il manquait de chercheurs chevronnés pour remettre en question les théories avancées par les chefs de groupes. Ensuite, j’ai invité des chercheurs postdoctoraux d’autres labos avoisinants, également de disciplines connexes et avec qui nous collaborions déjà. Ensemble nous formions un mélange efficace possédant un bagage de connaissances suffisamment étendues et approfondies.
L’importance du sentiment de propriété
La chose qui tient le plus à cœur à un jeune chercheur, c’est la réussite de son projet de recherche, coûte que coûte. Pour y parvenir, un jeune chercheur doit parfois passer de longues heures au laboratoire, ou travailler selon un horaire étrange (que ceux qui se sont déjà retrouvés au labo à quatre heures du matin lèvent la main), ou tout simplement tenter de faire quelque chose qu’il a bien du mal à faire, et recommencer jusqu’à ce qu’il réussisse. Ce qui compte par-dessus tout c’est le temps qui est investi, parce que le projet du chercheur est en quelque sorte son bébé; si le projet réussit, le chercheur réussit.
Pour que cela se produise, il faut que les étudiants et les chercheurs postdoctoraux éprouvent un sentiment de propriété à l’égard de leur projet; il faut qu’ils participent à concevoir l’idée, qu’ils fassent les expériences et qu’ils contribuent à faire progresser le projet. Trop souvent hélas, les étudiants et les chercheurs postdoctoraux ne participent aux expériences que pour paraître productifs. Les journées de réflexion permettent de prévenir cela. Il faut que chaque étudiant et chaque chercheur postdoctoral dispose d’un espace pour réfléchir à son projet et décider quelle méthode répondra le mieux aux questions que pose la recherche. Et comme ce ne sont pas des choses qui se décident du jour au lendemain, il est essentiel de prévoir du temps pour la réflexion.
Place aux idées!
On n’insistera jamais trop sur l’importance des générateurs d’idées au sein d’un groupe de recherche, mais favoriser cette culture n’est pas facile lorsqu’on est poussé à produire des données et des articles au lieu de produire de la recherche novatrice. En outre, de son point de vue, un chef de groupe pourrait avoir l’impression de se faire voler ses idées – au cours des journées de réflexion par exemple –, mais il doit s’y faire, car c’est en grande partie son rôle. Et puis, il faut bien l’avouer, qui d’entre nous n’a pas un jour volé, sans le savoir, quelques idées à son ancien superviseur pour s’en servir pendant sa formation?
David Kent est chef de groupe à l’Institut de recherche sur les cellules souches de l’Université de Cambridge.