« Pourquoi les Canadiens sont-ils si peu nombreux à étudier à l’étranger? » C’était la question piège du comité d’embauche lors de mon entretien pour le poste de gestionnaire de programmes au Service des relations universitaires de l’ambassade du Canada en France il y a quinze ans.
À cette époque, le Canada venait de conclure une fabuleuse entente avec la France en vue de faciliter la mobilité bidirectionnelle de milliers de jeunes de 18 à 35 ans, et je tenais désespérément à participer à l’élaboration et à la mise en œuvre des programmes. J’avais étudié à l’étranger, enseigné à l’étranger et administré un programme d’études à l’étranger à Paris. Je voyais tout ce que mes étudiants tiraient de l’expérience sur le plan personnel et professionnel. Je l’avais vécue à mon heure. Au-delà de la prochaine étape logique de mon parcours professionnel, la mise en application des politiques et l’élaboration des programmes du Canada me semblaient un rêve devenu réalité (j’ai obtenu le poste).
Le milieu de la politique étrangère du Canada était alors en pleine effervescence. Nous scellions d’innombrables ententes sur la mobilité des jeunes avec des partenaires de partout dans le monde. Nous intervenions sur tous les plans : conception de matériel promotionnel, création de nouveaux systèmes de TI, formation sur le démarrage et la gestion de programmes à l’intention de collègues d’autres ambassades, négociations pour le renouvellement de traités avec des gouvernements étrangers – nous avions le vent dans les voiles! Et nous obtenions d’excellents taux de participation : des dizaines de milliers de jeunes de partout dans le monde venaient au Canada. Nous atteignions nos cibles et nos quotas à une vitesse record.
En matière de politiques, l’énergie était également très palpable sur la scène internationale : 46 ministres européens responsables de l’éducation supérieure venaient de signer le Communiqué de Louvain-la-Neuve qui fixait le seuil de mobilité étudiante vers l’étranger de chaque pays à 20 pour cent d’ici 2020; les États-Unis négociaient la mise en œuvre de leurs initiatives Strong 100 000 avec la Chine et les Amériques; le Royaume-Uni avait adopté une stratégie de mobilité étudiante vers l’étranger et la France, dans sa loi relative à l’enseignement supérieur et à la recherche, désignait l’accès à la mobilité internationale des étudiants comme un enjeu de justice sociale.
Et le Canada?
Alors que les étudiants et les jeunes du monde entier multipliaient les séjours d’études ou de travail au Canada, peu d’étudiants provenant du Canada allaient à l’étranger. Le Canada brillait par son absence dans cette vague de nouvelles politiques visant à favoriser la mobilité étudiante vers l’étranger. En 2013, tous les pays du G7 étaient dotés d’une stratégie sauf le Canada.
Les conversations avec les représentants du gouvernement fédéral tournaient en rond, revenant inévitablement sur les responsabilités constitutionnelles en matière d’éducation, de formation professionnelle postsecondaire, etc. C’était décourageant. Les étudiants étaient simplement balayés des discussions.
Et puis le gouvernement fédéral a déposé son budget en mars 2019.
La mobilité étudiante vers l’étranger est enfin une priorité du gouvernement fédéral
Dans son budget de 2019, le gouvernement fédéral propose en effet d’investir 148 millions de dollars sur cinq ans, à compter de 2019-2020, dans la Stratégie en matière d’éducation internationale, précisant que les fonds seront divisés entre la promotion de l’éducation et la mobilité étudiante vers l’étranger. Une annonce qui donne à penser que le Canada se dotera d’un tout premier programme distinct de mobilité étudiante vers l’étranger, et que ce dernier reposera sur un nouveau financement et non sur un remaniement habile des fonds affectés aux suppléments pour séjour de recherche du programme de bourses d’études supérieures ou aux programmes de recherche et de stages à l’étranger de Mitacs.
Il ne s’agit que d’un projet pilote, mais la question de la mobilité étudiante vers l’étranger, pour des motifs non liés à l’éducation, à la formation professionnelle ou aux relations étrangères, est controversée au Canada. L’exode des cerveaux suscite la crainte, même si le séjour à l’étranger est effectué dans le cadre d’un programme d’études canadien (par opposition à un programme d’études à l’étranger).
Des recherches révèlent que les séjours d’études à l’étranger favorisent la réussite des membres de groupes sous-représentés à l’université et sur le marché du travail. La Commission européenne a d’ailleurs défini le soutien aux apprenants défavorisés comme un indicateur de rendement clé afin que l’accessibilité demeure à l’avant-plan de l’élaboration et de la mise en œuvre des politiques de mobilité. Elle a également créé un mécanisme de suivi et de reddition de comptes en ligne, sous forme de tableau indicateur du soutien offert aux étudiants issus de familles à faible revenu à des fins de mobilité, à l’intention des États membres. Ainsi, si le gouvernement investit judicieusement les étudiants aisés ne seront pas les seuls à tirer parti des programmes de mobilité.
Un projet pilote est un premier pas prudent pour le Canada, et le budget de 2019 est de bon augure. Il permettra enfin à nos étudiants de découvrir le monde, de s’exposer à des contenus et à des modèles d’apprentissage différents, à de nouvelles dynamiques en classe et en milieu de travail, et à d’autres sujets de discussion entre amis. La capacité de s’adapter à de nouveaux milieux est une compétence essentielle et faire bénéficier des connaissances acquises à l’étranger apporte un équilibre sur les campus canadiens.
Voyons si cette nouvelle Stratégie en matière d’éducation internationale permettra à nos étudiants de profiter des mêmes séjours d’études ou de travail à l’étranger que les autres, ou s’ils seront encore laissés pour compte.
Diane Barbarič est l’ancienne responsable de la division de l’enseignement supérieur et de la mobilité des jeunes à l’ambassade du Canada en France. Elle poursuit actuellement des études de doctorat en enseignement supérieur à l’Ontario Institute for Studies in Education de l’Université de Toronto. Ses travaux, financés par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, portent sur les politiques publiques canadiennes et étrangères en matière de mobilité étudiante vers l’étranger.