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À mon avis

Repenser les conférences universitaires dans un monde assujetti à des restrictions de carbone

La COVID-19 a imposé la tenue des conférences universitaires en ligne. À mesure que nous sortons de la pandémie, nous devons éviter de revenir à « l’ancienne normale ».

par BLANE HARVEY, ALAIN BOURQUE, YING SYUAN HUANG & ANNE DEBRABANDERE | 16 NOV 21

Avant même l’éclosion de la pandémie, nous savions qu’il fallait apporter des changements à la tenue des conférences. Dans la foulée des mouvements « Fly Less » et « No Fly Climate Sci », les participants aux conférences sur le climat et l’environnement ont été de plus en plus nombreux à dénoncer l’hypocrisie : à savoir, des milliers de personnes s’envolant des quatre coins du monde pour discuter de l’état du climat. Des représentants du monde se sont récemment réunis à Glasgow pour la COP26. Il est grand temps d’examiner les possibilités et les coûts liés aux réunions en ligne et d’envisager l’avenir des conférences universitaires internationales.

Déplacements aériens et crise climatique

Bien que les données varient grandement, il n’en demeure pas moins que les déplacements aériens pour les conférences universitaires comptent pour une grande part de l’empreinte carbone des universités. À l’Université McGill, le bureau de la durabilité indique qu’environ 14 % des émissions totales de gaz à effet de serre (GES) proviennent des déplacements aériens financés par l’Université. Par ailleurs, une étude de cas réalisée en 2018 par l’Université de la Colombie-Britannique a montré que les déplacements aériens comptaient pour le tiers des émissions de l’établissement et que celles-ci étaient principalement attribuables à un faible pourcentage de personnes (entre 8 et 10 %). Pour atteindre la neutralité carbone, il faudra absolument réduire ces chiffres ou avoir recours à des crédits de compensation de carbone parfois contestables. Un important contre-argument pour le changement radical des collaborations et des réunions – du moins avant la pandémie – tenait à l’absence d’une solution de rechange efficace.

Comme nous le savons maintenant, tout a changé quand la pandémie a obligé la tenue de rencontres en ligne. Dans le cas de l’Université McGill, les émissions de 2020 liées aux déplacements universitaires ont reculé de 69 % par rapport aux émissions de 2019, soit une réduction d’émission des GES de 5 549 tonnes. Parallèlement, la transformation rapide des méthodes de travail a encouragé l’apprentissage et l’innovation chez les universitaires, qui ont appris à fonctionner en ligne de façon productive, efficace, durable et équitable. Toutefois, après presque deux années d’interminables communications virtuelles qui ont mis à rude épreuve notre productivité et notre sentiment de bien-être, on pourrait pardonner aux universitaires le désir de retrouver leurs collègues au bureau ou, à l’occasion d’une conférence, de jaser autour d’un vin et fromages.

Des données de documentation et de recherche de plus en plus étoffées sont colligées et rendent compte des « meilleures » et des « pires » expériences. Alors que nous commençons à en tirer des leçons, d’importants enjeux émergent.

Comprendre les attentes et y répondre

Avant tout, nous devons mieux comprendre l’évolution des intentions derrière la participation à des conférences. En ligne, celles-ci ont démontré leur efficacité à diffuser l’information et la connaissance à de vastes publics, mais à l’ère de la surdose d’information, peut-on dire qu’il s’agit encore de l’intention première? D’autres motifs, dont le réseautage, l’apprentissage entre pairs et le sentiment d’appartenance à une communauté de pairs, ne sont pas aussi bien rendus dans l’espace virtuel et comptent parmi les aspects qui laissent à désirer dans cet espace. Aussi, nous commençons seulement à dépasser le cadre de la « reproduction » de conférences en personne pour explorer comment les espaces virtuels nous permettraient de faire de nouvelles choses qui élargiraient la portée des conférences. En allant au-delà de la transmission linéaire de l’information pour mettre en place des modes de création de réseaux et de coproduction de connaissances assistés par la technologie, nous pourrions rejoindre un plus grand nombre de participants et tenir compte de leurs motivations diverses.

Se soucier de l’équité et de l’inclusion

On a beaucoup parlé du fait que les conférences en ligne ont aplani les obstacles à la participation liés au coût et au temps, tout en réduisant les émissions y étant associées. Toutefois, ces avantages ne sont pas perçus de la même manière par tous – surtout si l’on considère le contexte mondial. Pour de nombreux universitaires, principalement dans l’hémisphère Sud (dont les petits états insulaires en développement et des pays de l’Afrique subsaharienne), où les réseaux universitaires sont comparativement peu développés et les impacts des changements climatiques sont les plus prononcés, les conférences internationales jouent un rôle crucial pour l’acquisition de nouvelles connaissances et l’établissement de réseaux professionnels. Cependant, la recherche nous dit que les conférences peuvent renforcer les hiérarchies universitaires en raison des barrières linguistiques, des frais de déplacement et des restrictions sur les voyages et les visas.

Pourtant, les barrières en matière de technologie, de capacité et de logistique introduites par le passage en ligne pourraient reproduire bon nombre des mêmes inconvénients historiques. Dans l’approche dominante actuelle, les conférences virtuelles se font souvent en mode synchrone, sont gourmandes en bande passante et se déroulent en anglais, ce qui oblige certains participants à se brancher à des heures indues, à assumer des coûts de connectivité élevés et à se démener pour interagir dans une troisième ou quatrième langue, et ce, sans l’avantage du langage corporel, de repères visuels et de l’ambiance plus détendue d’une rencontre en personne. On peut certainement surmonter ces obstacles. Mais pour ce faire, les planificateurs et les participants des conférences devront reconnaître les nouvelles formes d’exclusion qu’entraînent ces activités et trouver des moyens de soutien efficaces pour y remédier, particulièrement pour les nouveaux chercheurs de l’hémisphère Sud.

Repenser nos approches de conception

Qu’on le veuille ou non, la transition aux conférences virtuelles ou « hybrides » nous oblige à rejeter les anciennes normes encadrant la planification des conférences en personne. La manière de planifier, de financer, d’animer et de présenter les résultats percutants des conférences en ligne sera radicalement différente, et nous avons beaucoup à apprendre à cet égard. Il s’agit d’une occasion déterminante pour partager la connaissance et collaborer au sein du milieu universitaire.

Par exemple, l’Université McGill et Ouranos (le chef de file en science du climat et en adaptation au Québec) travaillent de concert en vue de la conférence Adaptation Futures 2023, qui se tiendra à Montréal et en ligne. Avec le soutien du Centre de recherches pour le développement international, nous passerons les deux prochaines années à recueillir et à échanger les points de vue d’experts, de praticiens et de décideurs sur la façon dont les conférences virtuelles peuvent mieux répondre aux besoins de ces derniers, puis à constituer un répertoire des pratiques efficaces mises au point au cours des 18 derniers mois et les intégrer dans un plan dont le coût comprend une capacité dédiée et un soutien au réseautage pour les participants de l’hémisphère Sud. Ce faisant, nous espérons non seulement reconcevoir une conférence fondée sur les meilleures données probantes, mais aussi amorcer une réflexion au sein du milieu universitaire sur l’avenir de l’échange de connaissances dans un contexte de limitation des émissions de carbone à l’échelle mondiale. Nous considérons que, à ce moment-ci, nous avons l’occasion unique de revoir les questions d’intention et d’inclusion propres aux conférences universitaires, et espérons que cette réflexion y jouera un rôle.

Blane Harvey est professeur adjoint au Département d’études intégrées en sciences de l’éducation à l’Université McGill; Alain Bourque est directeur général d’Ouranos; Ying Syuan Huang est consultante en recherche à l’Institut de l’UNU pour la durabilité et la paix de l’Université des Nations Unies; Anne Debrabandere est une spécialiste à Ouranos.

 

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