Les universitaires combattent la pseudoscience et les escroqueries médicales

« La pseudoscience érode notre sens critique, une conséquence très néfaste à long terme », déclare un professeur.

12 octobre 2018
junk science

Une vidéo récente, intitulée « Ce truc tout naturel guérit tous les cancers », affirme avec audace qu’un homme appelé Johan R. Tarjany a découvert une variété de mousse capable de détruire les cellules cancéreuses. Selon la vidéo, ce remède incroyable contre le cancer « est connu depuis les années 1800 », mais, malheureusement, « les grandes compagnies pharmaceutiques ne veulent pas que vous le sachiez ».

À la marque des 49 secondes, la vidéo fait amende honorable : le Dr Tarjany et son supposé remède contre le cancer n’existent pas. La vidéo vise d’abord à véhiculer le message suivant : il faut se montrer sceptique, faire appel à son esprit critique et poser des questions, surtout en présence d’allégations de remèdes miracles.

Le nom « Johan R. Tarjany » est l’anagramme de Jonathan Jarry, communicateur scientifique à l’Organisation pour la science et la société (OSS) de l’Université McGill dont la mission est de « faire la distinction entre ce qui est sensé et ce qui est insensé » dans le domaine des sciences. M. Jarry a créé cette vidéo qui a été publiée en juin dernier et qui s’est répandue comme une traînée de poudre (visionnée plus de 10 millions de fois). Son objectif était de contrecarrer l’influence des nombreuses vidéos de ce type que l’on voit circuler en ligne. En effet, les allégations fondées sur de la pseudoscience abondent sur Internet.

« Outre les vidéos, il y a les pages Facebook et les réunions, un écosystème complet en ligne qui cible les personnes atteintes de maladies difficiles à soigner. Ces allégations sont parsemées d’éléments conspirationnistes et fournissent des réponses simples à des problèmes complexes. Elles forment une vague de désinformation très difficile à contrer », explique M. Jarry.

« Les médias sociaux ont toujours été présents, mais leur action s’est accélérée, ainsi que les fausses nouvelles et les témoignages pseudo-scientifiques de célébrités se sont multipliés, indique Timothy Caulfield, professeur de droit et expert en politiques de santé à l’Université de l’Alberta et auteur du livre Is Gwyneth Paltrow Wrong About Everything?, qui traite des balivernes véhiculées par les célébrités.

M. Caulfield anime également la série documentaire A User’s Guide to Cheating Death. On la trouve sur Netflix depuis septembre dernier. L’émission porte un regard sceptique et scientifique sur diverses pratiques controversées en santé.

« Je crois que le phénomène de pseudoscience érode notre sens critique; il s’agit d’une conséquence très néfaste à long terme », ajoute M. Caulfield. Toutes les démocraties libérales reposent jusqu’à un certain point sur le sens critique. La pseudoscience embrouille le discours sur les véritables données scientifiques et mine la confiance du grand public à son égard.

Joe Schwarcz, cofondateur de l’OSS de l’Université McGill, estime que la confusion provient du fait que les adeptes de la pseudoscience n’ont pas à surveiller leurs propos. Les gens qui cherchent des solutions simples à des problèmes complexes finissent par graviter dans l’orbite des imposteurs et des charlatans, car ces derniers semblent avoir réponse à tout, bien que leurs réponses soient habituellement erronées », explique-t-il. Les scientifiques doivent constamment ponctuer leurs phrases de termes tels que « peut-être », « si », « mais » et « on ne sait pas encore », mais pas les charlatans qui, contrairement aux scientifiques, n’ont pas à faire attention à la véritable information qui circule déjà.

Pour sa part, Heather Douglas, jusqu’à tout récemment titulaire de la chaire Waterloo en science et en société de l’Université de Waterloo et désormais professeure agrégée au Département de philosophie de l’Université d’État du Michigan, estime essentiel que les questions et débats scientifiques reposent sur des faits établis par consensus. Selon elle, les faits alternatifs contribuent à ébranler les fondements du discours public et nuisent à la conversation raisonnée en classe. Elle cite en exemple les adeptes de la thèse de la terre plate qui illustrent ce refus délibéré de reconnaître un fait établi.

Le milieu universitaire, toujours en quête de vérité, est l’ennemi naturel de la désinformation et de la tromperie. Pour remédier à la situation, certains universitaires se sont faits défenseurs de la recherche légitime. D’autres, comme M. Caulfield et M. Schwarcz, se sont taillé une place en tant que démystificateurs de la pseudoscience et de ses mécanismes de diffusion, un phénomène qui fait désormais l’objet d’études universitaires dans plusieurs disciplines et sous divers points de vue.

Les adeptes de la pseudoscience se tournent de plus en plus vers un véritable langage scientifique pour se donner un semblant de légitimité et de crédibilité, ajoute M. Caulfield. « C’est particulièrement manifeste dans le domaine des cellules souches, où ils parlent d’injections de cellules souches ou de produits capables de stimuler la croissance des cellules souches. Ils essaient de tirer parti de l’engouement suscité par de vrais travaux de recherche, jusqu’à ce qu’il soit de plus en plus difficile de distinguer le vrai du faux. Tous les messages finissent par être brouillés. »

Les universitaires examinent également le phénomène connexe de la réticence à la vaccination, c’est-à-dire le refus des parents de faire vacciner leurs enfants en raison d’une propagande anti-immunisation fallacieuse. Heather MacDougall, professeure agrégée d’histoire à l’Université de Waterloo, étudie et rédige l’histoire de la vaccination au Canada. Selon elle, les opposants à la vaccination ont recours à diverses tactiques, entre autres à de l’information incomplète, pour défendre leur cause.

« Par exemple, la documentation scientifique aborde les avantages et les limites des vaccins, tandis que les opposants s’appuient uniquement sur les paragraphes qui traitent de leurs limites pour étayer leur argumentaire », explique-t-elle. Ils citent fréquemment un lien entre les vaccins et l’autisme, alors que celui-ci a été réfuté il y a longtemps.

En novembre, dans le cadre de la Conférence sur les politiques scientifiques canadiennes qui se tiendra à Ottawa, Mme MacDougall participera à une table ronde intitulée « Mythe ou réalité scientifique? De quelle façon la science peut-elle être entendue dans cette ère de désinformation? ».

Les médias contribuent également à propager la pseudoscience. Josh Greenberg, directeur de l’École de journalisme et des communications de l’Université Carleton, estime que la vague de désinformation actuelle résulte en partie du déclin des sources traditionnelles d’information, comme les journaux.

« Elles sont remplacées par des blogues, des articles d’opinion ou des articles commandités qui ne font pas l’objet d’une vérification approfondie comme ce serait le cas pour un article dans un grand quotidien par exemple. Par conséquent, quiconque poursuit des intérêts personnels, des intentions cachées ou un objectif de vente a désormais accès à un vaste public. »

« Le public est souvent la cible de pratiques trompeuses », estime Bernie Garrett, professeur agrégé en soins infirmiers à l’Université de la Colombie-Britannique et membre d’un groupe de recherche interdisciplinaire sur les escroqueries médicales en ligne. Son groupe a élaboré une série de critères pour évaluer la probabilité qu’une allégation relève de l’escroquerie.

« Les escroqueries portent souvent sur des remèdes miracles, aux résultats immédiats, alors que pratiquement aucune donnée scientifique provenant de vastes études n’en démontre l’efficacité. » Il souligne que le fait de parler de guérison au lieu de traitement est suspect en soi. « Toute allégation de remède miracle devrait immédiatement soulever la méfiance. Aucun médecin ni infirmier ne vous dira « voici un remède qui va vous guérir », car ils n’ont aucun moyen de le garantir. »

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