Quand la science pousse sur le terreau de la fertilité
Encore aujourd’hui, le chercheur Marc-André Sirard s’emploie à améliorer la technique derrière la fécondation in vitro.
Vétérinaire de métier, Marc-André Sirard s’est très tôt réorienté vers la recherche universitaire et a participé aux premiers pas de la fécondation in vitro. Le professeur à l’Université Laval a contribué à la naissance des premiers veaux-éprouvettes canadiens, dans les années 1980. Si ses travaux en génétique animale ont considérablement changé les systèmes d’élevage dans le monde entier en améliorant leur qualité, les retombées de son travail dépassent l’enclos des vaches laitières. Les outils génomiques affûtés en 40 ans de recherche ont, en effet, permis d’améliorer les pratiques en fécondation in vitro, tant chez le bovin que…chez l’humain. Mais il reste encore des défis à relever pour améliorer une technique pourtant déjà fort répandue.
« J’ai passé ma vie à faire la comparaison entre l’animal et l’humain, apprendre de l’un pour appliquer chez l’autre, et vice versa », résume le professeur, qui est également titulaire de la Chaire de recherche du Canada en génomique fonctionnelle appliquée à la reproduction animale. Pour les éleveurs laitiers, le génotypage, c’est-à-dire la lecture du génome, permet de connaître avec précision et très tôt le potentiel génétique des génisses nées sur leur ferme, afin de choisir les plus intéressantes pour en faire leurs futurs cheptels. « Quand j’ai commencé comme vétérinaire, je dirais que la moitié de nos interventions consistait à soigner des vaches malades, se rappelle M. Simard. Maintenant, c’est plus rare, on fait plutôt de la médecine préventive, on crée les conditions pour que les vaches soient en bonne santé, parce que c’est comme ça qu’elles donnent du bon lait. » De plus, le génotypage participe à la transition agroécologique des systèmes d’élevage en les rendant plus efficaces et en limitant ainsi les émissions de méthane, un puissant gaz à effet de serre.
Leadership québécois
Dans l’agroalimentaire au Québec, le secteur laitier prédomine. À lui seul, il génère 27 % des recettes agricoles de la province avec une production annuelle d’environ 3,46 milliards de litres. Le Québec représente le plus grand producteur de lait au Canada et fournit près de 40 % de la production laitière nationale. Les intérêts commerciaux de l’industrie ont ainsi encouragé l’essor de la recherche en fécondation in vitro et en insémination artificielle. Un eugénisme sur génisses, en somme. « Absolument, reconnaît le chercheur, je veux contrôler la génération suivante pour avoir des animaux productifs, mais aussi le plus en santé possible. » Fait intéressant : la majorité des vaches laitières proviennent désormais de l’insémination artificielle.
« Des compagnies ici, au Québec, possèdent le leadership mondial de la fécondation in vitro des vaches, c’est quelque chose de vraiment québécois. On est les meilleurs au monde. Et depuis très longtemps. »
Le parcours scientifique de Marc-André Sirard témoigne de cette intrication entre le milieu de la recherche universitaire et celui de l’industrie. En 1990, il décroche une chaire industrielle sur les gamètes mâles et femelles en collaboration avec la compagnie Semex, avec qui il gagne le prestigieux Canadian Synergy Award en 2000. Ses projets s’effectuent en partenariat avec d’importants regroupements en recherche industrielle et biotechnologie (CRIBIQ, CRSNG, Boviteq entre autres).
« Des compagnies ici, au Québec, possèdent le leadership mondial de la fécondation in vitro des vaches, c’est quelque chose de vraiment québécois. On est les meilleurs au monde. Et depuis très longtemps », se félicite M. Sirard.
S’impose alors la question du cousinage entre la recherche et l’industrie, avec l’écueil de la consanguinité. Si la génétique animale s’est développée en partenariat avec l’industrie pour répondre à des critères de productivité et de rentabilité économique, comment garantir que la recherche ne soit pas entravée par les attentes commerciales? « Il y a un lien de connaissances, mais aussi de confiance, on pourrait dire », rétorque M. Simard en précisant qu’une grande partie de ses interlocuteurs du milieu industriel sont d’ancien.ne.s étudiant.e.s à lui. « Ces partenaires acceptent qu’on prélève des tissus ou (qu’on analyse) leur façon de faire, puis qu’on publie », renchérit le professeur, qui n’hésite pas à illustrer son indépendance scientifique par des exemples. Récemment, explique-t-il, il a publié avec d’autres universitaires du Québec un article comparatif qui concluait que les vaches issues de la fécondation in vitro présentaient une plus mauvaise fertilité que les autres vaches étudiées. « L’industrie a payé pour réaliser une partie des recherches, et a donc accepté qu’on diffuse (les résultats), mentionne le directeur du Centre de recherche en reproduction, développement et santé intergénérationnelle. Il y a un avantage à comprendre le problème pour mieux le régler. »
Considérations éthiques
Après avoir consacré ses recherches à la qualité de l’ovule, les intérêts scientifiques de M. Sirard se sont portés sur les aspects épigénétiques qui permettent la transmission d’informations non génétiques et plus particulièrement le statut métabolique de la mère et son influence sur le futur nouveau-né. Si les premiers bébés-éprouvettes ont aujourd’hui une trentaine d’années, certaines questions persistent, comme les conséquences de la fécondation in vitro sur le métabolisme de l’individu à naître. Des études sur les rongeurs et des données préliminaires sur les humains et les bovins suggèrent que la manipulation in vitro des gamètes et des embryons pourrait entraîner une altération à long terme du métabolisme, de la croissance et de la fertilité.
« Ma responsabilité est d’essayer de corriger une technologie qui n’est pas aussi parfaite que ce que j’aurais aimé. »
Il apparaît en effet que les individus issus de la fécondation in vitro sont à risque de maladies métaboliques cardiovasculaires plus élevées que les enfants conçus naturellement, partage le chercheur. En d’autres termes, c’est comme si l’embryon avait l’impression que sa mère était en manque de nourriture et s’adaptait pour être plus gourmand. Le chercheur a constaté que les bébés-éprouvettes, humains ou animaux, présentaient une tension artérielle très élevée, mais aussi une tendance diabétique. « Ma responsabilité est d’essayer de corriger une technologie qui n’est pas aussi parfaite que ce que j’aurais aimé », confie M. Sirard. À l’époque, de telles conséquences n’avaient pas été anticipées. « Et puis, même, je ne suis pas sûr que j’aurais été capable d’empêcher les gens d’utiliser ces technologies. »
Pour parfaire la technique, c’est encore vers le modèle animal que les scientifiques se tournent, l’accès aux embryons et aux tissus humains demeurant « presque impossible à obtenir » dans ce domaine pour des raisons techniques et éthiques. « Chez l’humain, les ovules et embryons, on ne touche pas, mais chez les vaches, oui, on peut toucher tant qu’on veut », résume M. Sirard, qui siège aussi au Comité central d’éthique de la recherche pour son expertise en procréation assistée. L’avenir de ses recherches se réglera sur les pas de l’intelligence artificielle, devenue « absolument essentielle », aux côtés d’assistant.e.s qui ne manipulent déjà plus les cellules, ni les gènes, mais des données derrière leur titre de « bio-informaticien.ne.s ». Pour sa contribution au domaine des sciences biologiques et des sciences de la santé, Marc-André Sirard a reçu le prix Léo-Pariseau en 2014, soit 10 ans exactement après avoir été président de l’Acfas.
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