L’innovation sociale en psychologie : un amplificateur de richesse

Selon Mireille Mathieu, le transfert des connaissances en psychologie est indispensable au bien-être des individus et de la société.

31 mars 2023
Une photo de Mireille Mathieu entourée de symboles représentant le transfert de connaissances.
En cette année du 100e anniversaire de l’Acfas, nous vous présentons une série de textes dans lesquels seront abordées diverses facettes de la science en français. Pour ce faire, nous nous sommes entretenus avec des gens qui ont occupé le poste de président.e de l’Acfas et qui ont accepté de nous livrer leurs réflexions.

Retraitée depuis plusieurs années, Mireille Mathieu n’est jamais bien loin du milieu scientifique québécois. Psychologue de carrière, elle est membre émérite de l’Acfas, organisation qu’elle a présidée entre 2006 et 2008, professeure émérite de psychologie à l’Université de Montréal et membre d’organismes subventionnaires de la recherche. 

Reconnue par ses pairs comme l’une des pionnières de l’approche comportementale cognitive au Québec, Mme Mathieu a permis, à travers ses recherches, l’intégration pratique de cette théorie dans le champ de la psychothérapie dans la province. 

Encore aujourd’hui, la psychologue continue d’œuvrer et de réfléchir à l’importance du transfert des connaissances issues de la recherche et du transfert de l’innovation sociale : deux éléments qui demeurent au centre de ses préoccupations.

La science comme « moteur » de changement

« J’ai toujours considéré la science comme un moteur de changement. Pour toucher un maximum de personnes, il fallait que la science sorte des bibliothèques universitaires et des revues savantes, via des activités de transfert extrêmement concrètes adaptées aux besoins des gens », explique la chercheuse.

En favorisant la mobilisation et le transfert des connaissances, Mme Mathieu s’est donné comme mission de rendre les fruits de la recherche tangibles. C’est d’ailleurs ce qui l’a menée à créer et diriger, entre 2001 et 2008, le Centre de liaison sur l’intervention et la prévention psychosociale (CLIPP), un organisme de coordination et d’expertise en transfert des connaissances. 

« J’ai toujours considéré la science comme un moteur de changement. Pour toucher un maximum de personnes, il fallait que la science sorte des bibliothèques universitaires et des revues savantes. »

Un engagement qui lui a permis de contribuer aux efforts de prévention des mauvais traitements envers les jeunes enfants. Elle considère qu’afin d’éviter les conséquences à long terme sur le développement cognitif, social ou physique, il est nécessaire d’agir le plus rapidement possible dans les cas de mauvais traitements. À son avis, une des façons de déceler ce type de violence est de faire en sorte que les éducateurs et éducatrices en centre de la petite enfance soient  « aux aguets » afin de détecter celles-ci et d’agir en conséquence en les « signalant aux autorités compétentes ».

Un dossier sur lequel travaille le CLIPP, notamment en intégrant les grandes lignes de l’approche comportementale. Le Centre a donc préparé des « trousses » d’aide pour déceler la violence envers les jeunes enfants.

« Cette trousse était constituée d’un bilan de connaissance qui donnait l’essentiel des informations permettant de déceler cette violence, comme des DVD, un avec des entrevues avec des chercheurs et chercheuses, qui donnaient l’essentiel de leurs savoirs d’une façon très conviviale et un autre qui offrait des mises en situation avec des comédien.ne.s », détaille la psychologue.

Un trousse similaire aurait été fabriquée par le CLIPP pour les mauvais traitements psychologiques et pour les violences conjugales, à l’intention des policiers qui sont souvent en « premières lignes », ajoute Mme Mathieu.

La prévention : un élément majeur

Pour Mme Mathieu, le bien-être mental de la société repose sur la prévention, pierre angulaire du transfert des connaissances dans le domaine psychosocial. En effet, d’après elle, l’innovation sociale augmenterait la richesse de la société et permettrait entre autres, d’effectuer des économies gargantuesques.

« La dépression est le facteur numéro un d’absentéisme au travail et cela coûte une fortune. Et ce, sans parler du suicide, de la violence conjugale, etc. Faire de la prévention et de l’intervention de masse dans ces domaines-là, c’est une façon de faire en sorte que notre société aille mieux », précise-t-elle.

« Notre société vit des problèmes qui peuvent se résoudre grâce à ce type de recherches. Ces recherches doivent être utilisées et doivent résonner dans l’ensemble des grands secteurs de la société. »

Tous les savoirs qui émanent de la recherche fondamentale ou clinique permettraient, selon Mme Mathieu, de concevoir et de développer en amont des « façons novatrices » et des stratégies qui facilitent la prévention avant l’intervention psychosociale.

Mais la prévention n’attire pas l’attention des journalistes ou des politicien.ne.s parce que le processus menant à la prévention « ne se voit pas », explique-t-elle.« On parle plus d’innovation technologique, ce qui est tout à fait correct, on en a besoin. Mais on ne voit rien de clair sur l’innovation sociale. Où sont les actions? Où sont les gestes? Je ne sais pas. »

Mme Mathieu est catégorique sur le fait que la psychologie, comme tout autre domaine issu des sciences humaines et sociales, reste le « parent pauvre » lorsqu’il est question des subventions et de bourses étudiantes.

« Notre société vit des problèmes qui peuvent se résoudre grâce à ce type de recherches. Ces recherches doivent être utilisées et doivent résonner dans l’ensemble des grands secteurs de la société », souligne-t-elle.

Un avenir incertain

Un souhait difficile à concrétiser surtout que le gouvernement du Québec aurait récemment annoncé qu’il ne renouvellerait pas la subvention auparavant octroyée à Humanovis, un centre dédié à l’innovation sociale.

Une nouvelle qui affecte énormément Mme Mathieu. « Ça me préoccupe beaucoup, pour ne pas dire que je suis en colère. On s’est battu pour faire reconnaître l’importance de l’innovation sociale et l’importance de financer le transfert des connaissances dans le domaine social », rappelle la chercheuse.

Si elle est sceptique quant aux décisions du gouvernement en matière d’innovation sociale, Mme Mathieu évoque tout de même la création récente d’une nouvelle entité d’innovation et de transformation sociale au sein du ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie du Québec qui sera dirigée par Marie-Claude Lagacé,  l’ancienne responsable de Humanovis.

« L’avenir nous dira quelles seront les retombées de cette nouvelle initiative », se résout-elle.

 

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